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Simon

Le service militaire comptait pas mal de paradoxes.

Déjà sa grande justification était de faire de nous des hommes, des vrais. Et pour celà nous devions nous écraser et obéir sans rien dire pendant dix mois. Trouvez-vous cela viril ?

J’en avais un autre perso : le fait de devoir attendre le week-end pour pouvoir bosser (au black) réellement.

Toujours dans la catégorie curiosité, je me demandais, si l’entretien d’embauche ne serait pas plus pénible que la tâche en elle-même.

Mon employeur potentiel était en plein délire égocentrique :

« Tu vois, je lui ai confié mon âme d’artiste, et il m’a trahit. Comment peut-on faire cela ! Je te le demande. »

« Bon écoute Manu. » Dis-je en me redressant sur le canapé en face. « Reprenons chronologiquement. Donc lorsque tu allais à ce bowling, tu parlais à cet employé de ton intérêt pour la photographie.»

« De ma passion ! »

« De ta passion, d’accord. »

Dommage que je me sois planté sur ce mot, sinon le coup de la chronologie aurait été suffisamment pompeux pour le détourner et revenir à l’essentiel.

« Où va une société qui traite les artistes ainsi, je te le demande ? »

« Je suis d’accord. C’est même pour ça que je suis là. Allez dis-moi en quoi je peux réparer cette injustice. »

Et surtout me faire un peu d’argent. Ma pauvre Aurélie devait s’occuper du loyer toute seule à présent. Et Dieu sait qu’il n’était pas donné dans le coin.

Ma copine et moi habitions la Côte d’Azur. Le coût de la vie y était élevée, en contre-partie avec juste deux heures de train je pouvais rentrer les week ends.

« Hé bien il m’a raconté, qu’il avait dégoté un leica modèle… avec zoom…. »

Ca y était. Je venais de décrocher. Comprenez-moi bien, je n’avais rien contre la photographie.

Peu importait le sujet d’ailleurs, tant que Manu en parlait, cela devenait soporifique. Son parler lent, et sa manie de balancer avec prétention ses connaissances, le cocktail était intenable. Et encore je vous épargne la gestuelle.

Un élément apparemment important passa, et me ramena ma concentration au passage. Il s’agissait de la mention de deux mille cinq cents francs.

« Et ces deux mille cinq cents francs c’était en liquide ? » Demandais-je d’un air attentif pas trop feint.

« Bien sûr, comme l’appareil était tombé du camion, il ne fallait pas laisser de trace. »

« Et il a un défaut ton leica ? »

« J’en sais rien. C’était une avance pour pas qu’il ne me passe pas sous le nez ! » Répondit-il offusquée.

Visiblement Manu avait déjà fourni cette précision auparavant.

Histoire de rattraper le coup, je me la jouais de nouveau professionnel.

« Qu’elle a été précisément sa réaction après la réception de l’argent ? C’est important. »

« Lorsque je l’ai revu deux jours après comme convenu au bowling il a ri, juste rit sans la moindre explication. »

« On ne peut pas vraiment lui en vouloir sur ce coup là. » Pensais-je bien intérieurement.

« Bon et qu’est-ce que je suis censé faire ? » Dis-je à haute voix cette fois-ci.

« Il faut que tu le retrouves. »

« Et t’as quoi sur lui ? »

« Il s’appelle Steve et a dans les vingt-cinq ans, blond, il mesure.. »

Je ne lui demandais même pas le nom de famille, ni l’adresse, et ni le téléphone. Donner une telle somme à un inconnu sans la moindre précaution n’était pas surprenant de la part de Manu.

Il s’agissait d’un habitué de l’arnaque du côté du pigeon exclusivement. Son cerveau était pourtant au complet. Hélas il ne se donnait pas la peine de s’en occuper. D’ailleurs il ne se donnait pas de peine en général.

Issue d’une riche famille en particulier son défunt père, Manu du haut de ses trente ans affichait tout juste une année de travail complète.

Le fait de compter ce con, fainéant, et prétentieux dans mes relations, je le devais à la personne assise à l’autre bout du canapé, Hadrien.

Bien qu’il provienne d’un milieu nettement moins aisé, il était un de ses vieux amis autant que j’en sache.

Ils étaient particulièrement mal assortis.

Hadrien avait le look du métaleux pur et dur des années 90 : cheveux longs, jean troué au genou, t-shirt de Eddie the Head (mascotte d’Iron maiden), bague à tête de mort... pas un détail ne manquait.

Manu lui ne ressemblait à rien de particulier avec sa chevelure désordonnée et sa tenue se limitant à un t-shirt simple et un caleçon à l’état douteux.

Moi je connaissais Hadrien depuis seulement deux ans. Il y a un an, il m’avait mis en contact avec Manu pour du boulot.

A l’époque je bossais dans une petite agence de détective privé. Un poste que j’avais dû abandonner à cause de mon service militaire.

J’y exerçais comme chargé des filatures. C’est dans cette catégorie négligée par rapport à celle des enquêteurs que je m’étais faits mon trou. Car j’étais exactement ce qu’il fallait : n’importe qui.

Manu voulait qu’on lui retrouve une de ses muses. Les muses étaient les grands amours (probablement tous non partagés) de sa vie sur lesquelles il désirait écrire un roman. Toutefois en vrai gentleman, il désirait s’assurer de leur agrément auparavant, dont celui d’une certaine Maryse apparemment introuvable.

Dingue, stupide, naïve, grotesque... même encore maintenant je n’ai pas déniché de qualificatif adaptée cette affaire. Au fond ce n’est pas très grave étant donné que je n’en parle jamais. Personne n’y croirait.

Je transmis donc la proposition à mon patron, qui s’en chargea personnellement gonflant la facture au passage. Qui pourrait le lui repprocher ?

Comment pouvait réagir une femme en recevant l’appel une dizaine d’années après, d’un membre de sa classe de terminale ne lui ayant jamais adressé la parole auparavant ?

Disons que Manu n’obtint pas l’autorisation escomptée, ni quoique ce soit d’autres à part une très violente incompréhension.

Finalement il s’en tirait à bon compte. Elle aurait très bien pû le prendre pour un maniaque réellement dangereux et appeller la police.

Et le pire n’est peut-être pas l’authenticité de cette histoire. Parce que pour en savoir autant je n’eus même pas besoin de passer par Hadrien. Manu me déballa tout spontanément sans que je le lui demande.

Sa mégalomanie doublée à son inactivité sociale le poussait à raconter toute sa vie à absolument n’importe qui à la moindre occasion. D’ailleurs le cas de Steve le confirmait.

Je m’étais bien fait chier. Maintenant il était de temps de passer à autre chose.

« Je vais y réfléchir. » Dis-je en me levant et serrant rapidement la main de Manu et jetant un regard à Hadrien dont il comprit le sens immédiatement.

« Merci, je n’oublierais pas ce geste…. Tu es un frère pour moi….. Je ne réclame que la justice… »

Voilà le résumé en vrac de ce que je dus supporter jusqu’à la porte d’entrée de son appartement.

Il régna d’un commun d’accord entre Hadrien et moi un silence de plomb dans l’ascenseur, destiné à laisser retomber la tension.

Une fois dehors que je repris la parole d'une manière disons brutale.

L'envie de compenser ce temps perdu me démangeait

« C’est quoi ces conneries ? »

« Une occasion de te faire du pognon. Tu connais Manu. Il crachera bien mille balles rien que pour ça. » Temporisa Hadrien

« C’est bien gentil. Mais je fais quoi concrètement ? »

« J’y vais souvent à ce bowling. Steve y est toujours du samedi soir. Je te donne sa description précise, tu l’attends à la sortie, tu le suis, et tu déniches son adresse. C’est simple, non ? »

« Et il se passe quoi en suite ? Je ne vois pas tellement Manu lui faire cracher son fric. »

Il faut savoir qu’à cause de sa vie larvaire, Manu ne bénéficiait pas d’un physique très impressionnant. Ce n’est pas que la santé de Manu m’importait particulièrement. Je voulais juste ne pas être mêlé à une sale histoire.

Enfin j’admets aussi qu’envoyer ce neuneu au massacre me gênait un peu.

« Je m’en occuperais. » Expliqua Hadrien. « Simplement je ne peux pas le faire à la sortie du bowling - il y a toujours du monde - ni suivre Steve. Il me connait, et sait que je suis un pote de Manu. Grâce à toi je pourrais choisir sur son chemin de retour le bon coin pour le surprendre. »

Le petit malin avait quasiment tout prévu. Mine de rien cette affaire illustrait parfaitement la relation entre Manu et Hadrien : le second profitait de la bêtise du premier tout en l’en protégeant.

Quoique dans le cas présent le bénéficiaire c’était moi.

Hadrien était un homme généreux (trop selon moi). Heureusement qu’il savait se défendre en contrepartie. Attention je ne prétends pas qu’Hadrien était une machine à tuer. Simplement il était passé par un collège pourri, un lycée pourri, un quartier pourri…

Bref il avait une certaine expérience de la dureté de la vie.

Etant rassuré j’acceptais le deal. Comment refuser une affaire aussi simple ?

Au fait le vrai prénom de Manu, c’était Emmanuel-Maxence. Il y en a qui n’ont vraiment rien pour eux.

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