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Simon

Ah les fameuses sorties nocturnes des bidasses en folie.

Beuverie, baston, pute… un peu l’équivalent des saloons dans les westerns.

Et bien ils avaient bons dos les cowboys des temps modernes. Car ce soir-là ils jouaient au… tenez-vous bien… trivial poursuit.

Et en guise de saloon nous avions le foyer du fort : une télé correcte, un lecteur DVD, des tables, et des chaises.

J’entends déjà les biens pensants dire : « Au moins le trivial poursuit, c’est culturel. »

Franchement j’en doute. Après tout ce n’est que des noms, des chiffres, et autres anecdotes balancés bêtement. Si vous suivez un peu, vous partagerez sûrement mon point de vue.

Présentement j’y jouais juste histoire de tuer le temps, à l’instar du beauf avachit devant la télé. D’ailleurs c’est justement ce que faisaient ceux n’étant pas à notre table.

Il existait bien quelques excuses : nos faibles moyens, le temps dégueulasse…et surtout notre flemme.

Après les distractions passons aux personnes.

Nous avions Jérôme comme responsable du foyer. Il n’était pas un véritable engagé chiant voir méprisant. Son contrat n’était que d’un an. Il fumait même des pets avec nous. C’est vous dire !

Nous (c’est-à-dire les appelés) étions tous présents à part évident Thomas, bien obligé de faire bande à part.

Même Vincent comptait parmi nous. La pluie l’empêchait de se balader en ville comme d’habitude.

« Voilà question sportive.»

« Au fait Simon ils te voulaient quoi les gendarmes ? »

L’auteur de cette interruption auparavant devant la télé, se nommait Tarek.

Malgré ce que porte à croire cette entrée en matière plutôt brute, c’était un sacré baratineur.

Un autre aspect était à relever chez lui. Il était le seul d’entre nous à ne pas arborer le crâne rasé. Le sommet de sa tête était épargné et rabattu sur le coté. En plus il portait une petite barbiche. Pourquoi nos supérieurs ne lui disaient-ils jamais rien ? On était censé être tous quasiment imberbe.

« Comme pour Vincent et Thomas. J’ai fait mes classes avec ce Hamed, qui vient de déserter. Alors ils vérifient si je sais quelque chose. Quel est le prénom du plus douillet des judokas français ? »

« Je pensais que vu ton ancien boulot, ils attendaient un peu plus de toi : une théorie ou un truc dans le genre. »

Je certifie toujours que Tarek détenait un talent pour la parole. Simplement il me visait d’une manière indirecte.

« David. C’est vrai ? Ils ne t’ont pas demandé si t’avais remarqué un détail, même de façon détournée ? Réfléchis bien. »

Et voici Didier, l’arme involontaire de Tarek. Cet ancien étudiant en droit était sans doute pire que l’inculte de base ne lisant que les blagues de télé Z. Il sortait toujours des propositions bateaux provenant d’un bouquin et complètement incongrues, juste dans l’intention la ramener.

En résumé il étalait sa culture de la manière la plus grossière qui soit et vous donnait envie de brûler la première bibliothèque venue.

Comme si ça ne suffisait pas, ma personne bénéficiait d’un petit bonus du fait que Didier était fan d’Agatha Christie.

Par contre son visage lui préférait de Sergio Léone. Toujours les yeux plissés et ruisselant de sueur à la moindre chaleur, il ne manquait plus que la musique d’Ennio Morricone, et c’était dans la boite. Ca se trouve il n’avait jamais regardé un western spaghetti. Trop populaire.

Donc Tarek me mettait cet emmerdeur dans les pattes. Heureusement qu’au vue de notre nombre de parties précédentes, jouer n’exigeait pas beaucoup de concentration de notre part.

« Question cinéma : dans quel film Rudolf Valen… »

« Le fils du cheikh. Il est resté le même temps que nous avec les gendarmes. Ça signifie bien qu’ils ne lui voulaient rien de spécial. »

Ce soutien inattendu du si silencieux Vincent reposait en plus sur un mensonge. Comment pouvait-il connaitre la durée de mon interrogatoire ? Seul Thomas devant passer après, m’avait attendu.

Je le mis sur le compte de notre fameuse affinité. En tous cas la remarque était nette et sans bavure. Tarek ne se démonta pas, et improvisa avec une provocation.

« Quatre mois de service et il veut déjà rentrer chez papa-maman. Quel nul ce type.»

Le jour précédent Tarek m’avait déjà questionné sur l’interrogatoire probablement pour passer le temps. Craignant certaines dérives j’avais vite éludé le sujet. Visiblement vexé il prenait sa revanche.

« Littérature : Saint Exupéry... »

« Un mouton. Attend il faut voir ce qui lui est arrivé. Une partie de pognon volé a été retrouvé dans son transistor. On lui a tout mis sur le dos et muté à Malbousquet, vous savez le camp disciplinaire dans l’Arsenal. »

Je déviais là-dessus en parlant des tarés incontrôlables, qu’ils casaient là-dedans sans même un semblant de surveillance.

C’était plus ou moins calculé. La perspective du job pour Manu me rendait moins passif.

« Comment tu sais çà ? »

« Philo : Nietzche… »

« Ce qui ne tue pas rien plus fort. »

« Quand un appelé vole on le fout là. Ce n’est pas dur à deviner. »

« Non, je veux dire pour Malbousquet, comment ça se passe, et tout çà. »

Connement coincé je parlais de Franck, un appelé croisé à Marseille lors de ma semaine de vigipirate en renfort aux douanes (On y reviendra).

Pendant ce temps-là Hervé séchait sur une question au sujet de la femme de Bruce Willis.

Soi-disant placé d’après lui à Malbousquet sous un prétexte fallacieux, Franck s’était fait dépouillé au point de bloquer volontairement sa carte bleue. Puis à force d’insistance et d’un officier pas trop con, il en avait réchappé.

Etant donné notre monde réduit, les confidences de Franck à mon adresse, passèrent pour une coïncidence même aux yeux de Tarek.

D’ailleurs il n’insista pas. Peut-être croyait-il que cette anecdote un peu glauque était la raison de mon esquive précédente ? A moins que le grand Tarek soit à court d’argument ?

Guillaume prit alors le fanion de l’emmerdeur. Pourtant il ne correspondait pas tellement au profil. Il faisait plutôt dans le bon Samaritain. Remarque c’est chiant aussi parfois.

En plus c’est involontaire. Ce qui est peut-être pire au final, puisqu’on ne peut même pas lui en vouloir.

Son air endormis et sa molesse s’ajoutaient au tableaux. En y repensant il constituait la parfaite caricature du fumeur de joint.

« Pauvre gars. Maintenant il est dans la nature et traqué. Tu ne pourrais pas l’aider un peu ? »

« De quoi ? » M’exclamais-je en espérant qu’il ne voulait pas en venir là.

« Tu sais : essayer de le retrouver. »

« Stop, moi je faisais les FI-LA-TU-RES. Je ne vais pas me lancer dans une histoire à la con pour un mec que j’ai connu qu’un mois pendant mes classes. Sans parler des gendarmes. »

Voilà l’une des dérives que je craignais.

« Soit pas comme çà. Je suis sûr qu’on peut trouver des indices. » Ajouta Didier.

Décidemment il n’en loupait pas une.

« Tu vis sur quelle planète toi ! » Balança à son tour Vincent. « On ne sait absolument rien, pas un putain de détail sur cette désertion. Et je ne crois pas que les gendarmes vont nous filer des infos. Alors arrêtes tes conneries. »

Ce fut plus le ton anormalement agressif que les arguments, qui conclurent le sujet.

Un silence de mort suivit, puis Tarek se dévoua pour passer sur autre chose. La culpabilité je suppose.

Vincent allait bien loin à l’égard d’un simple camarade de chambrée. Malgré tout l’attitude la plus surprenante n’était pas la sienne.

Pourquoi est-ce que je flippais ainsi ? Après tout personne n’était en mesure de m’obliger à enquêter. On pouvait juste m’emmerder un peu là-dessus rien de plus.

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