Chapitre 5 - Magie runique

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 Kaldor avait été embauché par l’apothicaire et était ravi de son apprentissage. Cela faisait environ un mois qu’il était au service de maître Grépas. Au début, il avait trouvé le temps long. Ne plus voir son entourage du jour au lendemain, l’avait rendu d’humeur morose durant les deux premières semaines. Ne pas être en contact de ses proches pendant le premier mois était une condition de l’apothicaire. Celui-ci voulait que la concentration de l’élève soit uniquement dédiée à l’apprentissage.

 En fin de compte, le contentement que Kaldor retirait de chaque enseignement lui avait vite redonné bon moral. Il se révélait être un excellent étudiant. Au bout de ce premier mois, il connaissait déjà une dizaine de remèdes à base de plantes pour traiter la plupart des maux classiques.

 Un jour, le jeune homme avait montré son impatience quant à la formation en magie runique, en vue de pratiquer des sorts de soin. Elle était aussi appelée magie blanche, comme le lui avait précisé Grépas. Ce dernier n’avait pas été offensé de l’attitude de Kaldor. Il lui avait dit, amusé, que ce domaine fascinait les jeunes gens et que lui-même était passé par-là.

 — Je comprends ton enthousiasme pour la magie, mon garçon. C’est un art tellement passionnant, capable de réaliser des miracles, comme de terribles choses…, si l’on plonge dans la noirceur. Comme tu le sais, la sorcellerie est normalement interdite, excepté dans le cadre de celle employée par un guérisseur. Elle est tolérée parce que si l’on souhaite toujours la pratiquer, on ne doit en aucun cas « se souiller » avec des sorts permettant de blesser ou détruire. Tu comprends ?

 — Oui, maître Grépas.

 — Tu dois aussi savoir qu’user de magie blanche est plus difficile qu’avec les autres types de sorcellerie. Pourquoi à ton avis ?

 La réponse était simple pour qui était en mesure d’observer la vie autour de lui. Il y avait toujours plus de blessures tant physiques que morales entre les hommes. Parce que l’humain choisissait souvent la voie aisée.

 — Parce qu’il est plus facile de meurtrir et détruire que soigner, répondit Kaldor. On le remarque tous les jours où que l’on soit…

 — Bien. Ton observation est malheureusement exacte. Mais ce n’est pas tout. Tu dois savoir que lorsque tu emploies la guérison magique, tu puiseras l’énergie nécessaire en toi-même.

 L’apothicaire lui expliqua qu’il existait différents sorts de guérison : des génériques et d’autres plus spécifiques. Tout dépendait évidemment du cas qui se présentait au soigneur. Une simple coupure au doigt ne requérait pas la même énergie qu’une fracture ou bien un mauvais sortilège.

 — Ce que tu dois retenir, c’est que plus la blessure est grave, plus tu t’épuiseras vite et si tu ne sais pas contrôler l’utilisation de ton énergie vitale, tu peux en mourir. C’est pour cela que la magie blanche est associée à l’utilisation des plantes médicinales. Elles sont très utiles dans les cas où tu n’as plus de force et puis certains cas ne demandent pas de sortilèges. C’est plus commun, mais fort pratique !

 — Je vois. Mais alors, qu’en est-il des autres sortes de magie ?

 — C’est une bonne question, mon garçon, approuva Grépas, ravi de le voir si captivé. Je suppose qu’elles tirent aussi leur énergie du corps et également dans l’environnement. Je n’en sais pas plus à ce sujet, je ne connais personne qui use de magie runique autrement que pour les soins. Passons à un petit exercice pratique.


 L’apothicaire se leva de sa chaise, rajusta sa tunique verte de guérisseur et alla chercher un pot dans lequel était planté un petit pied de verveine. Plante surtout utilisée lors d’infusions digestives. Kaldor trouva qu’elle n’avait pas vraiment bonne mine, mais elle ne semblait pas malade pour autant. Il posa le pot devant son apprenti et alla dans son bureau pour y chercher un petit carnet, qu’il feuilleta.

 — Ah ! Voilà. Tu vas apprendre le tracé de cette rune par cœur. Puis, tu vas l’utiliser sur la plante.

 — Quel genre de rune est-ce ? questionna le jeune homme, perplexe.

 Il se demandait comment on pouvait utiliser la magie blanche sur une plante.

 — Il s’agit d’une rune générique aidant à soigner les coupures. Je te sens un peu indécis quant à la réussite sur cette plante. Sache mon garçon que cette pratique permet de guérir n’importe quel être vivant, qu’il soit humain, animal ou végétal. Bien, exerce-toi, je repasse te voir après ma consultation.

 Quand Grépas revint une demi-heure plus tard, Kaldor avait eu tout le loisir de mémoriser la rune plutôt simple. L’apothicaire pratiqua une petite incision sur la plante et demanda à Kaldor de tracer la rune en l’air avec ses doigts. Il la dessina et fit bien attention à ne pas louper un trait. Il se dit que la plante aurait bien besoin d’un autre soin. Une fois la rune terminée, elle s’appliqua d’elle-même sur la blessure et Kaldor sentit une grande vague d’énergie passer de lui à la plante.

 La rune s’illumina intensément, à la limite de l’aveuglement. Sous les yeux étonnés de Grépas, elle ne fit pas que soigner la coupure, mais redonna toute sa vitalité à la plante qui retrouva une belle couleur verte. Le jeune homme sut au visage étonné de son maître d’apprentissage que cela n’était pas normal.

 — Maître Grépas, je ne comprends pas. Ne m’aviez-vous pas dit que la rune ne pouvait guérir que les coupures ?

 — Ça alors ! C’est la première fois qu’une telle chose arrive, je ne peux l’expliquer.

 L’apothicaire préféra en rester là et donna quartier libre à son élève. Il avait besoin de réfléchir à ce qui venait de se passer. Kaldor avait passé son après-midi à se promener dans les rues de la ville sans autre but précis que de prendre le temps de penser à ce qu’il lui était arrivé. Le jeune homme se dit qu’il avait peut-être mal exécuté la rune. Non, il l’avait bien dessinée, sinon l’œil vif de Grépas aurait décelé la moindre faute.

 Une fois rentré dans sa petite chambre, il ne trouva pas l’envie de lire un traité sur les simples. Que le guérisseur ait réagi de la sorte portait à croire qu’il ne le laisserait pas toucher à la magie avant d’avoir tiré au clair cette affaire. Pourtant, Kaldor avait une petite idée de ce qui s’était passé. Il se rappelait qu’en déclenchant la rune, il avait aussi pensé à l’état général de la plante. Peut-être avait-il réussi à activer la magie par sa seule pensée. Non, une telle chose était impossible selon les enseignements de maître Grépas. Le sommeil l’emporta finalement sur ses réflexions. Il s’endormit tout habillé sur son lit.

 Il rêva d’une vaste pièce dans laquelle un homme sortait de son assoupissement et ouvrait les yeux. Il l’observa s’approcher d’une vasque remplie d’eau et passer la main dessus. Kaldor s’aperçut dans le liquide en train d’essayer la magie runique. « Ainsi, mon fils, il est temps de te contacter », dit-il tout haut.


 Le lendemain était censé être un jour de repos, mais des coups frappés à sa porte le tirèrent du sommeil. Il leva la tête pour entrevoir Grépas dans l’entrebâillement de la porte, le visage grave.

 — Debout, mon garçon ! Le devoir nous appelle. Ah, c’est bien, je constate que tu es déjà habillé. Fais un brin de toilette et on y va, tu grignoteras quelque chose en route.

 L’aube orangée pointait à peine le bout de son nez quand le maître et son apprenti sortirent de la boutique.

 — Pourquoi nous appelle-t-on ? demanda Kaldor, une fois sur la route.

 — Il s’agit de sauver un groupe de personnes ayant participé à un banquet hier soir. Ils ont été empoisonnés. Soi-disant qu’un jeune marmiton a pris une racine de ciguë pour un petit panais. Je ne voulais pas te refaire utiliser la magie avant un moment, mais dans pareil cas, je ne pourrai y arriver seul. Une trentaine de personnes c’est trop d’un coup pour moi. Soigner un empoisonnement demande de l’énergie.

 — Heureusement pour ces personnes, il y avait seulement une petite racine de ciguë, sinon elles seraient déjà mortes, n’est-ce pas ?

 Grépas opina du bonnet. Ils s’arrêtèrent devant une luxueuse villa située dans le quartier noble de la ville. Le serviteur les laissa entrer sans poser de questions. Nul besoin, puisque l’apothicaire était vêtu de la tunique verte des guérisseurs, ses insignes – un bouquet d’herbes avec un mortier et un pilon – brodés au niveau de son cœur.

 — Ah ! Vous voilà enfin ! les accueillit le vieux propriétaire de la maison. Je suis le seul en bonne santé, car trop vieux pour ces banquets qui n’en finissent pas. Je vous en prie, sauvez-les tous et vous serez grandement récompensé, maître apothicaire.

 — Nous allons faire ce qui est en notre pouvoir.

 Le vieil homme les remercia et s’en fut dans ses appartements. Conformément aux instructions qu’avait données Grépas au messager, qui l’avait prévenu, les malades avaient été rassemblés dans une même pièce. Le guérisseur n’avait pas envie de courir dans la chambre de chacun d’eux et de les avoir tous à l’œil en même temps.

 Grépas ausculta chaque patient et conclut qu’il fallait agir au plus vite. Ils en étaient à un stade avancé. Ils ressentaient une baisse de leur force musculaire, en plus de troubles digestifs et de forts maux de tête. L’apothicaire sortit son carnet de runes et chercha celle adéquate. Kaldor vit que son tracé était complexe. Son maître d’apprentissage lut son anxiété sur son visage.

 — Ne t’en fais pas, mon garçon. Je vais commencer et tu auras le temps de te faire au tracé. Regarde bien comment je m’y prends.

 Kaldor acquiesça. Au bout de quatre malades, il se sentit capable de tracer la rune. Une petite voix au fond de lui le poussait à déployer son pouvoir sur tous les patients restants. Il ne sut pourquoi, mais il fit ce que la voix lui suggérait.

 — Kaldor, mon garçon, que fais-tu ?! s’alarma maître Grépas, sentant un grand pouvoir émaner de son apprenti. Arrête ! Tu vas te tuer ! Tu n’es pas prêt pour autant de malades à la fois !

 — Je n’arrive pas à m’arrêter ! s’exclama l’élève, paniqué.

 Sa main ne lui obéissait plus, comme si la magie avait pris le dessus. La dernière boucle du tracé terminée, le pouvoir de la rune se déploya. Celle-ci vint se placer, en l’air, au centre de la pièce et l’illumina si intensément que Kaldor ferma les yeux. Il sentit la magie déferler à travers lui, aspirée par la rune. Il entendait à peine maître Grépas lui crier d’arrêter.

 Le jeune homme se retrouva à l’intérieur de lui-même et se sentit si léger. Il avait cette sensation bizarre d’être ailleurs et en même temps toujours dans la pièce. Devant lui se tenait une sphère lumineuse semblable à du métal en fusion. Elle irradiait d’énergie. Sans hésiter, Kaldor s’y plongea. Il sentait la magie parcourir tout son corps, ressentant çà et là des picotements, comme s’il se transformait.

 Comme lors de son dernier essai avec la plante, il fut submergé par la magie. Son pouvoir explosa et se déploya à travers toutes les personnes de la pièce et même au-delà. Alors que les malades se relevaient un par un, complètement guéris, Kaldor tomba à genoux. Il était comme anéanti par une extrême fatigue. Puis celle-ci eut raison de lui et il finit par choir, étendu sur le sol de la pièce. Grépas eut tout juste le temps de lui retenir la tête, pour qu’il ne se cogne pas.

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