Chapitre 1 - Fête et souvenirs (partie 1)

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An 3550.

 Un groupe de jeunes gens, encadrés par quelques adultes, quittait le village de Boisfeuillus. Celui-ci était habité par une centaine de familles et situé au cœur de la forêt de Sombrebois, qui portait bien son nom. En plein jour, l’on s’y trouvait constamment dans la pénombre. Certains jugeraient l’atmosphère de ces bois oppressante. Il s’agissait d’une forêt dense constituée majoritairement de feuillus. Le village était principalement peuplé de bûcherons et de charpentiers. Il fournissait le bois sous diverses formes – brut, taillé en planche ou encore sculpté – à Merfol, la ville la plus proche située à une journée de marche.

 La troupe s’y rendait justement. À l’arrivée du printemps, en ces deux derniers jours de la première semaine du premier mois de l’année, on célébrait la saison du renouveau. Il s’agissait là de la fête la plus importante de l’année, personne dans la troupe ne la raterait sous aucun prétexte. D’autant plus que pour ce groupe de jeunes gens cela annonçait leur majorité.

 Tous avaient revêtu leurs plus beaux atours. Pour les demoiselles, robes en lin colorées et brodées, une ceinture pour marquer la taille et des pans croisés sur la poitrine pour la mettre en valeur. Pour les jeunes hommes, braies bicolores à carreaux et tunique en lin colorée, voire brodée, cintrée d’une belle ceinture de cuir. Parmi eux se trouvaient Kaldor et son ami Leyt en retrait à l’arrière du groupe.

 Kaldor serait âgé de dix-sept ans dans un mois. Il était facilement reconnaissable par sa chevelure argentée, qu’il nouait en queue de cheval. S’il avait pu changer une chose le concernant, c’était bien ces maudits cheveux. Ils étaient une source intarissable de moquerie de la part des jeunes du village voire de certains adultes.

 Son ami Leyt avait, quant à lui, des cheveux courts et roux. Ses yeux étaient marron et il avait une cicatrice de brûlure sur la joue droite. Il avait écopé de celle-ci, petit, un jour où faisant le pitre autour d’un feu, il était tombé la tête la première sur quelques braises. Leyt était le seul ami de Kaldor et vis-versa. Deux amis dont les différences physiques les mettaient à l’écart des autres.

 Kaldor se souvint de la première fois qu’ils s’étaient rencontrés huit ans auparavant. Avant qu’il ne l’ait croisé ce jour-là dans la forêt, ils ne s’étaient jamais vus. En effet, Leyt habitait en retrait du village avec son père, sa mère étant morte en couches. Son père était chasseur et charbonnier. Kaldor se baladait dans les bois pour trouver du petit gibier, lorsqu’il était tombé sur Leyt qui n’en menait pas large dans un arbre. Il avait grimpé dans celui-ci pour y trouver refuge et échapper à une charge mortelle d’un gros sanglier tenace. Kaldor s’était placé à une centaine de pas de la bête et avait crié pour attirer son attention. L’animal se retourna vers lui et avant qu’il ne charge, Kaldor avait décoché sa flèche.

 Leyt était descendu de son arbre, les jambes flageolantes et le pas mal assuré.

 — Merci beaucoup ! Sans toi, je ne sais pas combien de temps je serais resté perché là-haut. Je me nomme Leyt et toi ? D’où viens-tu ? Je ne connais qu’un archer à Boisfeuillus et c’est mon père.

 — Moi, c’est Kaldor. J’habite ce village. Je ne t’y ai jamais croisé et c’est la première fois que je m’aventure dans cette partie de Sombrebois.

 — C’est parce que mon père et moi vivons à l’écart deux kilomètres par-là, dit-il en indiquant le Nord-Est. Mon père est bûcheron et charbonnier et il n’aime pas trop la compagnie des gens depuis que ma mère est morte l’hiver dernier…

 Kaldor en était désolé et gêné de savoir cela. Il vit Leyt blêmir et lui posa une main en signe de réconfort sur l’épaule.

 — Bon sang ! En plein dans l’œil ! s’exclama Leyt en regardant le sanglier pour changer de sujet. Qui t’a appris à viser comme ça ?

 — Heu… Un inconnu était arrivé mal en point il y a deux hivers. Un villageois l’a trouvé inconscient dans la neige. On l’a amené à mon père. Il est l’épicier du village et il s’y connaît un peu en plantes médicinales. Il l’a soigné. Une fois remis, l’inconnu est resté à la maison tout l’hiver et m’a enseigné le tir à l’arc. D’après ce que j’ai compris, il était archer. C’est lui qui m’a fabriqué cet arc.

 Kaldor refoula ce souvenir au fond de sa mémoire et tenta de trouver un sujet de conversation, mais nul ne vint. Personne dans le groupe ne semblait vouloir parler, tous marchaient en silence.


 Un autre souvenir revint à son esprit. Le jour où, âgé d’une dizaine d’années, il demanda avec insistance d’où pouvait bien provenir la couleur de ses cheveux, ses parents lui avaient révélé un grand secret.

 — J’imagine que le moment est venu. Comment te dire ça ? Mon fils…, commença-t-il d’un ton mal assuré.

 Son père avait marqué une pause pour regarder sa mère, qui l’avait encouragé à poursuivre d’un signe de tête. Elle s’était assise à côté de son petit garçon et avait pris ses mains dans les siennes. Un geste qu’elle voulut rassurant, mais qui avait augmenté son appréhension. Quel pouvait bien être ce secret pour que sa mère ait peur ? s’était-il demandé. Alors que son père tardait à reprendre la parole, cherchant ses mots. L’attente augmentait la tension de Kaldor qui se sentait prêt à exploser.

 — Quoi, papa ?! Dis-le-moi ! le pressa-t-il d’une voix mi-tendue, mi-apeurée, à la limite stridente.

 — Fiston, nous t’avons adopté.

 Ces mots s’abattirent sur lui comme un marteau sur du fer rougeoyant. Son monde éclata avec de vives étincelles. Les larmes se pressèrent à ses yeux et embuèrent l’image qu’il se faisait de lui. Ce n’était pas possible, il ne pouvait pas être un garçon aux origines floues. Non ! Ce n’était pas vrai ! Ce devait être une blague, juste une mauvaise blague.

 — Non ! Non, je n’y crois pas ! cria-t-il ne pouvant plus retenir l’assaut des larmes. Vous me faites une mauvaise plaisanterie. Ce n’est pas possible !

 — Mon fils…

 Kaldor se leva brusquement et arracha ses mains de celles de sa mère, qui parvenait à peine à contenir ses pleurs. Son père tenta de poser une main protectrice et apaisante sur lui. De colère, il la repoussa. Il regarda tour à tour ses parents de ses yeux rouges et humides.

 — Tout le monde n’arrête pas de me dire que j’ai ton nez et ton front, papa. On me dit souvent que j’ai les mêmes joues et le même sourire que toi, maman. Pourquoi seuls ces maudits cheveux devraient-ils tout changer ? Maman, dis-moi que ce n’est pas vrai, s’il te plaît… J’avais toujours pensé que la couleur de mes cheveux était due à une maladie…

 Kaldor s’arrêta, tête baissée et épaules voûtées, alors il pleura. Sa mère se leva et vint le prendre dans ses bras. Il répondit à son étreinte. Il la serra fort, par peur de la perdre. Son père semblait abattu d’avoir annoncé la vérité.

 — Oh mon petit chou, dit-elle d’une voix étranglée. Je suis désolée, ton père dit vrai. Mais sache que cela n’a jamais terni l’amour que nous te portons. Nous t’aimons et t’aimerons toujours, mon petit Kal.

 — Ta mère à raison, mon garçon. Cela ne change rien, nous sommes une famille et nous sommes fiers de t’avoir comme fils, Kal, le rassura son père.

 — Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ? questionna le jeune homme avec une once de colère dans la voix.

 — Je voulais te protéger…, tenta d’expliquer son père d’un air triste.

 — Me protéger de quoi ?! cria Kaldor en courant hors de la maison.

 — Kaldor ! Reviens, s’il te plaît ! lança sa mère affolée.

 Il courut encore et encore, jusqu’à se perdre dans la forêt semant ses larmes tout au long de sa course. Il leur en avait voulu alors que la colère et la tristesse l’assaillaient. À présent, il se sentait bien plus différent que les jeunes qu’il voyait comme des enfants normaux avec une famille normale. Cette différence le rendait morose parce qu’il avait été abandonné.

 — Pourquoi moi et pas un autre ? hurla-t-il vers le ciel, les poings serrés, avant de tomber à genoux.

 Alors que la nuit approchait, il se releva et retrouva tant bien que mal le chemin de sa maison. La vision de ses parents inquiets et tristes qui l’attendaient devant chez eux le culpabilisa. Comment pouvait-il les abandonner alors qu’ils l’avaient recueilli avec amour ? Il eut un pincement au cœur et la colère qu’il avait ressentie envers eux s’atténua.

 Un terrible questionnement faisait rage en lui. Savoir ou non qui étaient ses parents « naturels ». Kaldor préférait employer ce terme car, ses vrais parents étaient ceux qui l’avaient élevé et aimé. Ceux qui se tenaient à ses côtés, débordants d’amour. Il les regarda comme pour graver leurs visages dans sa mémoire. Tous deux avaient de longs cheveux noirs parsemés d’un peu de blancs. Les yeux de sa mère étaient bleus et ceux de son père noirs. Son père portait le bouc et avait un nez long et droit. Sa mère avait une fossette prononcée au menton. Ses joues légèrement creusées étaient surmontées de pommettes saillantes.

 Sa curiosité finit par l’emporter. Il demanda comment était sa mère naturelle.

 — Elle est venue nous rendre visite un soir de début de printemps, raconta son père. Elle nous a dit avoir de quoi exaucer notre vœu le plus cher. Et là, de sous sa cape, elle a sorti un bébé emmitouflé dans des couvertures. Comment savait-elle que nous voulions un enfant sans y parvenir ? Nous l’ignorons.

 — De quoi avait-elle l’air, papa ? demanda le jeune garçon poussé par sa curiosité.

 — Je ne peux pas te le dire. Son visage était tout le temps dans la pénombre de sa capuche. Seule une mèche de cheveux dépassait et ils étaient argentés, comme les tiens. Hum, quoi d’autre ?

 — Elle était grande et il m’a semblé voir un reflet vert dans ses yeux, à la lueur des bougies, avait ajouté sa mère.

 — Et mon père… naturel, vous en a-t-elle parlé ?

 — Hem. Elle nous a dit une unique chose à son sujet. « Son père le contactera quand il sera prêt. »

 — Qu’est-ce que ça veut dire ça ?! Quand je serai prêt pour quoi ?! s’était-il emporté. Croit-il que s’il arrive la bouche en cœur tout va aller pour le mieux ?

 — Je n’en ai aucune idée, mon garçon. Mais ce qui est sûr, aucun d’eux n’est revenu où a donné des nouvelles. Tout ceci ne change en rien ce que nous sommes : une famille.

 La conversation s’était achevée sur une étreinte collective pour tenter d’éloigner les craintes. Mais son père avait eu tort. Depuis ce jour-là, le petit garçon était devenu un jeune homme introverti, gardant intérieurement cette colère d’avoir été abandonné. Colère qui le rendait susceptible quant aux moqueries sur ses cheveux, qui lui rappelaient à quel point il différait de la « normalité ». Oh comme il aimerait bien être normal.

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