Chapitre 1 - Fête et souvenirs (partie 2)

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 Un coup dans les côtes ramena Kaldor à la réalité, faisant éclater la bulle de souvenirs.

 — Eh Kal ! On arrive à Merfol, cesse de rêvasser ! lui dit son ami Leyt.

 — Hum ? Pardon, j’étais perdu dans mes pensées.

 Merfol était une cité construite sur de hautes falaises. Elles bordaient une grande partie du littoral Est du royaume de Muzin. Les vagues venaient souvent s’y heurter avec une folie destructrice. Une bise marine soufflait constamment. Elle emplissait l’air d’une odeur légèrement salée, mêlée à celle de la forêt. Ce n’était pas une ville portuaire, mais forestière, bien qu’elle possédât un petit port qui devait être aménagé et réparé tous les ans. C’était par elle que transitait quasiment tout le bois de la région, sous toutes ses formes : coupé en planches, poutres, tuiles ou monté en meubles ou encore sculpté pour les plus riches. La route commerciale côtière desservait Merfol, ce qui en faisait une cité de grand passage.

 Les adultes les menaient à travers les rues, bondées de boutiques de menuisiers et ébénistes. Ils marchaient en direction d’une place spécialement réservée pour l’occasion et où les jeunes d’une dizaine de villages des alentours allaient se retrouver. Pour la nuit, chaque parent avait loué une chambre dans l’une des auberges se trouvant dans les rues perpendiculaires à la place. Au milieu de celle-ci se dressait une fontaine avec ses sculptures d’animaux crachant de l’eau. Les jets d’eau ne fonctionnaient que lorsqu’il y avait du vent. Un moulin faisait marcher tout un système de pompes et pistons, lui avait expliqué le père de Kaldor un jour. Pour sûr, c’était impressionnant.

 Il y avait déjà, çà et là, de nombreux groupes d’adolescents qui se regardaient tant curieux que méfiants. Pendant cette fête du printemps, les jeunes hommes qui allaient devenir majeurs dans l’année allaient rencontrer des demoiselles dans l’optique d’un futur mariage. Si les deux jeunes gens se plaisaient, alors ils échangeaient en quelque sorte un vœu de fiançailles. Cette réunion encourageait le brassage des gens et non le clivage géographique. Mais attention pas n’importe comment non plus, seulement entre roturiers. De plus, cela donnait une illusion de liberté aux jeunes. Néanmoins, la plupart du temps les parents s’étaient déjà arrangés entre eux, quant au mariage de leurs enfants. Pour ce qu’il en savait, Kaldor ne pensait pas que son père s’était déjà entendu avec un autre parent pour un mariage.

 Comme d’habitude, les gens regardaient Kaldor soit avec un air curieux, soit moqueur. Il avait beau être habitué, cela le mettait toujours en colère, même s’il ne le montrait pas. Cela lui rappelait son adoption. Il en toucha deux mots à son ami.

 — Que veux-tu ? C’est dans la nature humaine que de se moquer. On ne peut la changer. Je n’aime pas non plus que l’on me parle de ma cicatrice.

 — Je sais bien Leyt, mais ça m’énerve. En tout cas, je suis sûr d’une chose, pas une fille ne voudra de moi ici. Peut-être même nulle part ailleurs.

 — Oh arrête d’être défaitiste ! Ce n’est pas avec de telles pensées que tout ira bien. Tu la trouveras ta belle. Et n’oublie pas que l’amour rend aveugle. Peut-être qu’elle aimera tes cheveux, le taquina-t-il. On fait bien la paire, toi et tes cheveux et moi et ma cicatrice.


 Plus tard, dans la soirée, Kaldor s’était retrouvé seul sur la place. Il avait perdu de vue son ami dans la foule. Après l’avoir cherché quelques instants, il s’était résigné à être seul. Durant toute la journée et le début de soirée, des filles et même quelques garçons étaient venus lui demander comment il avait fait pour avoir des cheveux argentés. Embarrassé et tentant de contenir sa colère, il bafouillait une réponse incompréhensible. À présent énervé, il s’était mis en retrait dans la pénombre, pour être tranquille.

 Alors qu’il s’apprêtait à rejoindre sa chambre à l’auberge, Kaldor fut interpellé par deux jeunes femmes. Il fut décontenancé et surpris par les yeux bleus et le regard intense de la damoiselle qui lui parla.

 — Bonsoir. J’aime bien la couleur de vos cheveux. Ce n’est pas commun. Comment faites-vous pour avoir une telle couleur ?

Encore cette question, mais peu lui importait face à de pareils yeux.

 — Euh… Bon… Bonsoir et merci. Je suis né comme ça et je ne peux l’expliquer. Vos cheveux sont très jolis aussi. Oh, mais quelle réponse débile ! Je me suis perdu dans ses beaux yeux et j’ai dit n’importe quoi, je vais passer pour un imbécile ! se dit-il.

 Mais pour sûr, ses cheveux étaient jolis. Ils étaient noirs et lui arrivaient presque à mi-dos. Deux petites tresses partaient de son front pour venir se rejoindre à l’arrière de sa tête. Ah pourquoi fallait-il que ça lui arrive quand Leyt n’était pas là pour lui souffler ce qu’il devait faire. Son ami savait mieux y faire que lui avec les filles. Non, il fallait qu’il se ressaisisse. Il pouvait bien y arriver tout seul !

 — Merci. Tu es de quel village ? lui demanda-t-elle, passant directement au tutoiement.

 — Je suis de Boisfeuillus, et toi ?

 — Je ne suis pas des villages des alentours ni de Merfol, mais j’y viens de temps en temps, car j’ai de la famille ici. En fait, je suis de Temple-ville.

 De Temple-ville ! Ce n’était pas la porte à côté.

 — Puis-je vous offrir à boire ? demanda-t-il, ragaillardi par l’intérêt de la jeune femme.

 Kaldor entendit quelqu’un pouffer de rire non loin de là. Il s’agissait de Pol et de sa bande de trublions. Il n’y avait pas un jour sans qu’ils n’embêtent quelqu’un au village, adultes, filles ou garçons. En ce qui concernait Kaldor, c’était souvent au sujet de ses cheveux, mais il se contenait sans rien dire. Lassés par cette attitude, les trublions l’avaient délaissé.

 Malheureusement ce soir, ils semblaient bien éméchés. Même si quelques adultes surveillaient la consommation d’alcool, il y en avait toujours pour se fournir en douce ailleurs et en plus grande quantité.

 — Hé sale trogne ! T’es en train d’me chiper ma future mariée ? l’apostropha ledit trublion.

 — Non pas du tout Pol, répondit Kaldor sur un ton blasé. Si elle est venue me parler et pas à toi, c’est qu’elle ne te trouve pas digne d’intérêt. Et pour sûr, tu es grossier, un peu benêt sur les bords.

Kaldor qui avait bu aussi voulait garder la jeune femme pour lui, fier de l’avoir intéressée. Par prudence les deux filles s’étaient enfuies. Soudain, il reçut un coup de poing dans la mâchoire.

 — Tiens, c’est pour t’rappeler d’ne pas marcher dans mes plates-bandes. Qui voudrait de toi d’toute façon. Tu n’es qu’une stupide curiosité d’argent.

 Ledit Pol se tourna vers ses amis pour rire avec eux. Cela en fut trop pour Kaldor qui le bouscula de toutes ses forces. L’autre continua à rire. Rouge de colère le jeune homme lui décocha une droite. La douleur qu’il éprouva le surprit. Pol en profita pour répliquer, frappant Kaldor à la mâchoire. Alors, une forte voix retentit.

 — Arrêtez ! Ou je vous ramène de suite au village par la peau des fesses ! Vous n’avez pas honte de vous comporter ainsi ! Allez, ouste ! Rentrez vous coucher !

 Il s’agissait du bourgmestre de Boisfeuillus. Il raccompagna les deux bagarreurs à leur chambre respective. La soirée avait bien commencé, mais il avait fallu qu’elle finisse sur une note pourrie. Kaldor se dit qu’il aurait du mal à manger pendant deux ou trois jours, tant sa mâchoire le faisait souffrir. Il se consola en se disant qu’il reverrait peut-être la jeune femme le lendemain.

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