Chapitre 9 - Eldyriens (partie 2)

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Ils arrivèrent à Merfol une heure après la tombée de la nuit. Heureusement pour eux, la ville ne possédait pas de remparts. Au même moment dans d’autres villes, les portes auraient été fermées. Le capitaine Binlian les mena vers une auberge respectable. Ils trouvèrent porte close, Binlian frappa fortement deux fois. L’aubergiste ouvrit, visiblement mécontent de leur arrivée tardive. Il maugréa en leur disant que l’on n’entrait pas dans son établissement aussi tard que dans une taverne. Il cessa de grommeler lorsqu’il vit Valdir sortir une bourse bien remplie.

Une fois dans la chambre qu’il partageait avec sa mère, elle et Kaldor se débarbouillèrent le visage et s’affalèrent sur leur lit encore tout habillés. Ils étaient bien trop fatigués et encore accablés pour lutter contre le sommeil. Néanmoins, le jeune homme voulut en toucher deux mots.

— Maman, tu penses que l’on doit faire confiance à ce Valdir et aux deux soldats ?

— Je n’en sais rien, Kaldor. Mais une chose est sûre, il nous a sauvé la vie. Lui et ces soldats ont l’air digne de confiance.

— En tout cas, je serai bien obligé de le suivre…

Ses épaules se voûtèrent alors qu’un sentiment d’impuissance le parcourait.

— Comment ça, tu devras le suivre ? s’enquit-elle, surprise.

Ses récentes mésaventures l’avaient empêché de lui raconter ce qui lui était arrivé avec l’apothicaire. Il lui conta alors sa rencontre en esprit avec le dieu Eldyr, son père, et de la mission qu’il lui avait confiée. Il lui communiqua son sentiment de colère et d’incompréhension devant le fait de n’être né que pour devenir un pion. Enfin, il lui révéla que Valdir était un Eldyrien, comme lui. Un magicien.

— J’ai peur, maman, lui avoua-t-il. Peur de te faire mal avec ma magie. Peur de tuer des innocents. On nous apprend que la sorcellerie est mauvaise et punie de mort. Je n’ai pas envie de mourir, dit-il

Le regard vide de son père se rappela à lui. Il laissa couler quelques larmes et se recroquevilla.

— Oh mon petit chou ! Tu ne vas pas me faire de mal, j’en suis persuadée. Ni même aux autres. Pas si tu apprends de ce Valdir, le rassura-t-elle. Il m’a l’air très compétent. Tu penses que ce n’est pas juste de devoir le suivre, mais, mon chou, la vie n’est pas juste et, parfois, ne nous laisse pas faire ce que l’on veut.

Elle vint se placer près de lui, et au terme d'une étreinte réconfortante, le sommeil les attrapa. Une longue route les attendait le lendemain pour se rendre dans la Province du Temple, située sur la presqu’île au Sud du royaume de Muzin. Elle longeait la côte Ouest et était moins fréquentée que la route marchande reliant Merfol à Balt, puis à Temple-ville.


Une semaine s’était écoulée depuis qu’ils étaient partis et il leur en restait encore une à passer sur la route. Celle-ci reliait Merfol à Balt et serpentait le long de la majeure partie des côtes du royaume de Muzin. Le littoral était presque totalement bordé de hautes falaises de calcaire blanc ou de grès. Les vagues rageuses venaient s’abattre sur ces hauts remparts blancs ou gris, défenseurs millénaires de la terre.

Kaldor avait déjà vu la mer lors de son séjour à Fol, mais seulement depuis le port, où la puanteur régnait dans l’air. Alors, dès qu’il avait pu la voir, à quelques kilomètres de la ville, perché en haut d’une falaise, il l’avait contemplée tout son saoul. Impétueuse, elle heurtait les remparts naturels de la côte dans un bruit sourd, emportant parfois un bout de roche. Changeante, elle était lunatique dans son humeur autant que dans sa couleur. Elle pouvait être paisible et calme, bleu turquoise. Comme il lui arrivait d’être terrible et furieuse, bleu saphir.

— Ah la mer ! Elle reste belle et attirante pour tout être humain, lui dit Valdir en s’approchant de lui. Elle a inspiré maints poètes. Peut-être parce que les hommes se retrouvent en elle. Elle cache dans ses abîmes de nombreuses richesses, comme l’homme cache dans son esprit de nombreux secrets. Tous deux jaloux de les garder.

— Je ne vous savais pas poète, mon cher Valdir. Excusez-moi mais j’ai toujours trouvé la poésie inutile et navrante, ricana Adrim.

— Il n’y a rien de pitoyable dans la poésie mon cher Adrim. Vous n’avez peut-être pas l’esprit assez ouvert et développé pour en apprécier la beauté. Voyez les mots comme des couleurs et la plume comme le pinceau. N’importe qui peut dire simplement ce qu’il voit alors que le poète modélise les mots pour en faire un tableau.

— Quelles belles paroles, maître Valdir ! le félicita la mère de Kaldor.

Adrim resta interloqué quelques instants.

— Je rêve, où il vient de me qualifier d’imbécile, dit-il en prenant son frère à partie.

— C’est ce qu’il semblerait en effet. Allons, il est temps.

Les compagnons reprirent la route qui s’éloigna du bord. Le chemin passa à nouveau, quelques heures plus tard, au bord d’une falaise, frappée par la marée montante. Au loin, Valdir leur signala qu’ils pouvaient voir des baleines qui frappaient l’eau de leur nageoire caudale. Kaldor et sa mère en restèrent bouche-bée. Ces énormes animaux étaient si gracieux dans leur danse marine.

Soudain, un grondement lointain se fit entendre en provenance d’un gros bosquet éloigné de la route de plusieurs centaines de mètres. Des oiseaux s’envolèrent des arbres. La peur s’insinua dans le corps du jeune homme. Une quarantaine d’hommes à cheval et armés surgirent des arbres en hurlant. Quasiment le double de l’escorte de Kaldor et sa mère.

— Des bandits ! cria Binlian.

— Ils sont plus nombreux que nous. Quels sont vos ordres, capitaine ? demanda un soldat.

— Soldats, en formation défensive ! Bandez-vos arcs ! Attendez… Attendez… Tirez !

Valdir ordonna à Kaldor et sa mère de venir près de lui. Il ferma les yeux et sembla se concentrer. La vue autour d’eux devint légèrement floue pendant quelques instants. Sa mère tendit la main pour toucher et rencontra une résistance, comme un mur invisible.

— Kaldor, que se passe-t-il ? lui demanda-t-elle, troublée, en lui prenant la main.

— J’ai créé un bouclier magique autour de nous, rien ne passera au travers tant que je tiendrais bon, répondit l’Eldyrien.

Les soldats de l’Ordre purent lancer deux salves de flèches avant de sortir les épées de leurs fourreaux. Ils se mirent en position défensive prêts à encaisser la charge hurlante des bandits. Le jeune Eldyrien sentait sa mère trembler de peur contre lui. Il ne voulait pas lui montrer qu’il était terrifié lui aussi, mais il laissa échapper quelques tremblements. Elle raffermit la prise qu’elle avait sur sa main.

Soudain, le cheval qui tirait la charrette prit peur et bouscula Valdir qui tomba à terre. Déconcentré, il ne put maintenir son bouclier magique. L’animal continuait de se débattre et tentait de briser les liens qui le retenaient à la carriole. Le frein de celle-ci cassa devant les assauts répétés du cheval, qui partit en trombe. La mère de Kaldor fut percutée et arrachée à lui. Elle chancela et tomba à la renverse dans le vide.

Kaldor la regarda chuter sans savoir quoi faire, estomaqué. Il n’en croyait pas ses yeux. Que pouvait-il faire ? Il ne pouvait pas la perdre elle aussi ! Ce serait trop injuste ! Il chercha Valdir du regard, mais il était occupé à se défendre face à deux brigands. Non, non ! Elle ne pouvait pas mourir. Elle ne le devait pas ! Des larmes lui embuèrent les yeux et les ferma. Il serra fort ses poings. Il venait de prendre une décision. Le regard rivé sur sa mère, il sauta dans le vide.

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