Chapitre 6 - Dieu et monstre (partie 2)

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Kaldor marchait dans la forêt, en direction de son village de Boisfeuillus. Il fallait presque une journée à pied pour s’y rendre en venant de Merfol. Il avait déjà parcouru les deux tiers du chemin lorsqu’il décida de s’octroyer une pause pour manger, aux environs de midi. Maître Grépas, prévenant, lui avait préparé une tranche de pain avec un morceau de jambon fumé et une tranche de fromage.

Il repensa à ce fameux jour où il avait rencontré la fille tellement bavarde qu’il avait eu du mal à dire deux mots. Il avait secrètement espéré la revoir en ville, mais rien. Il avait pourtant parcouru les rues tant de fois, à chacun de ses temps libres. Pourquoi s’était-il mis martel en tête qu’elle pouvait s’intéresser à un roturier comme lui ? Un nouveau souvenir de la fête du printemps lui revint. Ce jour-là Leyt revenait à l’auberge, rond comme un tonneau, et manqua la première marche de l’escalier.

— Ah ! Mon pauvre Leyt, comme c’était drôle de te voir te vautrer, dit Kaldor tout haut, avant de mordre dans le pain.

— Je croyais t’avoir dit de ne plus en parler, lui rappela son ami.

Kaldor faillit s’étouffer, il toussa une bonne dizaine de fois avant de pouvoir se retourner. Il vit alors son ami en chair et en os, adossé à un arbre à quelques mètres derrière lui. Comme à son habitude, il avait son arc en bandoulière et son carquois. Il y avait quelque chose d’anormal, il se tenait le bras gauche et avait l’air de souffrir.

— Leyt ! Mais que fais-tu ici ? C’est bien loin de ton terrain de chasse habituel. Et qu’est-il arrivé à ton bras ?

— Ce que je fais ici, je partais à ta recherche et je dois bien avouer avoir eu une sacrée chance ! répondit-il avec un sourire, avant de prendre un air grave. Un homme habillé tout en noir est venu au village très tôt ce matin. Il a une longue cape noire et sa tête est enfouie dans sa capuche.

Kaldor blêmit. Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Son ami remarqua le changement sur son visage.

— Kal, tu connais ce type ?

— Non, mais l’apothicaire, chez qui je suis en apprentissage, a éconduit un homme qui correspond cette description. Maître Grépas lui a seulement dit que j’étais rentré chez-moi sans préciser où. Comment a-t-il pu trouver où j’habite ? s’inquiéta Kaldor.

— Je ne sais pas, mais on ferait mieux de se mettre en route au plus vite, suggéra Leyt. Je te raconterai la suite en chemin.

Kaldor acquiesça, mais ne voulut pas partir avant d’avoir inspecté le bras de son ami. Quand il le toucha, Leyt ne put s’empêcher de douleur. Kaldor lui annonça qu’il avait probablement le bras cassé. Leyt ajouta qu’il avait du mal à respirer, à cause de deux ou trois côtes cassées. Ne connaissant pas de rune pour soigner les fractures, il lui fit une attelle et un bandage de fortune. Puis, ils se mirent en route aussi vite que le pouvait son ami.

Celui-ci lui raconta la suite de sa mésaventure. Il s’était rendu chez les parents de Kaldor pour récupérer deux trois choses à l’épicerie. Elle était encore fermée, ce qui lui avait paru anormal vu l’heure. Alors il s’était rendu dans la maison et avait surpris l’homme en noir en train de frapper le père de Kaldor attaché à une chaise.

— Il ne cessait de demander où tu étais et chaque fois que ton père lui répondait la même chose, que tu étais en ville, il le frappait. C’en était trop pour moi, alors j’ai tiré une flèche dans son bras. Il l’a enlevé comme si ce n’était qu’une petite écharde ! J’avais tellement peur que je me suis enfui, mais il m’a rattrapé à la limite du village. Il m’a jeté un tronc d’arbre ! Je suis resté sans bouger. Une fois qu’il fut rentré à l’intérieur, je suis parti à ta recherche.

Quand ils arrivèrent dans le village, la grand-rue était déserte. Certains villageois regardaient furtivement par les fenêtres. Ils se rendirent devant la maison de Kaldor. Une foule, constituée d’hommes armés d’outils, était massée devant. Le bourgmestre était parmi eux et s’approcha des deux amis lorsqu’il les aperçut.

— Ah ce n’est pas trop tôt ! Mon garçon, il y a un homme qui te cherche et il n’est, pour ainsi dire, pas très aimable. Tu le connais ? Est-ce que tu l’as rencontré en ville ? demanda-t-il suspicieux.

— Je vous jure que je ne le connais pas, se récria Kaldor, vexé de passer du statut de victime à coupable en un clin d’œil.

Soudain, son père passa à travers la grande fenêtre du salon et atterrit à quelques pas de la foule. Kaldor fendit cette dernière pour aller rejoindre son père. À l’approche de son fils, celui-ci tenant de se relever mais la peur et le choc lui avaient liquéfié les jambes. Il se tint la tête qui devait lui tourner. Kaldor s’agenouilla auprès de lui pour l’aider à s’asseoir et le serrer dans ses bras.

— Tu as plein de coupures, remarqua le jeune homme. Tu n’as rien de cassé ?

— Fiston ? C’est bien toi ?

Son père plissa les yeux. Sa vue troublée par le choc l’empêchait de bien voir.

— Par Kaelliom, c’est bien toi ! Non, je crois n’avoir rien de cassé.

— Oh comme c’est touchant, j’en ai les larmes aux yeux, railla l’homme en noir.

Il tenait la mère de Kaldor par le bras et la jeta sans ménagement aux pieds de son fils. Kaldor serra ses parents dans ses bras, avant de se relever.

— Vous me cherchiez, je suis là. Alors que me voulez vous ? demanda Kaldor avec une lueur de défi dans le regard.

Le jeune homme était ragaillardi par la colère qu’il éprouvait envers l’inconnu qui venait de violenter ses parents.

— Tu es complètement fou de vouloir me défier. Tu ne sais même pas à qui tu as à faire, vermisseau. Quant à ce que je veux, c’est te voir mort. Le Maître l’a ordonné, ainsi doit-il en être.

— Ce n’est pas moi qui tabasse deux personnes pendant que les autres regardent. Alors s’il y a bien quelqu’un de fou, c’est bien vous ! Vous êtes un monstre ! lança courageusement Kaldor.

L’homme en noir eut pour seule réaction de soulever un pan de sa cape. Il dévoila une dague à la lame noire et dentelée, à faire froid dans le dos. Elle voleta seule jusque dans la main de l’homme. Sans aucun doute un magicien. Il lâcha la dague qui resta en suspension en l’air devant les visages médusés de l’assistance. Il l’envoya, trois fois, frôler différentes parties de Kaldor, coupant parfois ses vêtements ou sa peau, juste pour s’amuser.

Le jeune homme perdit son courage, pétrifié par la peur. Il n’avait plus aucune envie de défier l’homme du regard. Comment un homme pouvait-il être aussi cruel et « s’abreuver » de la peur des gens ? Cette attitude n’était ni logique ni raisonnable pour l’esprit de Kaldor. Déconcentré par ses réflexions, il n’avait pas vu la dague filer droit vers sa poitrine. Il sentit son père le pousser et vit avec horreur la dague s’enfoncer dans sa poitrine.

— Père ! Papa ! Non, non, non ! cria Kaldor.

Il resta pétrifié un moment par cette horrible vision, puis il parvint à ramper tout tremblotant de peur et d’incompréhension. Il sentit son cœur s’emplir de froideur, puis se déchirer lorsqu’il entendit sa mère pleurer et gémir à côté de lui.

— Papa ! cria-t-il à nouveau.

Pas un mot ne sortit de la bouche de son père, mort sur le coup. Son regard mort allait hanter le jeune homme toute sa vie. Il n’y avait plus rien à faire pour lui, mais Kaldor refusait de le lâcher. Un flot continu de larmes coulait le long de son visage.

L’homme en noir s’approcha lentement de lui, mais sortant de sa stupeur, la foule se mit à lui lancer divers objets. Ceux-ci ricochèrent sur lui sans jamais le toucher. Il fit un geste de la main et toute la foule se trouva plaquée à terre.

L’inconnu se posta à côté de Kaldor, qui serrait toujours le corps sans vie de son père contre lui. Une épée apparut dans la main de l’homme, comme par magie. La lame semblait faite de feu noir. Il leva son épée et l’abattit sur le jeune homme, qui entendit son ami Leyt hurler son nom.

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