05 - Les territoires perdus

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La nuit est tombée et je retourne dans le couloir ou j’ai changé d’univers. Personne à l’horizon.

Je retrouve l’endroit exact ou j’ai ouvert le premier portail. Selon les explications de mon « maître es karma » (je peux bien lui décerner ce titre avec tout ce qu’il m’a appris), rouvrir un portail existant est beaucoup moins coûteux en énergie qu’en créer un nouveau. Toujours suivant ses explications, le premier portail s’est ouvert spontanément parce que ma vie en dépendait et que mon esprit a mobilisé les ressources nécessaires… ce qui m’a fait perdre connaissance à l’arrivée bien plus que les blessures subies.

Et je n’ai justement pas envie de perdre connaissance en revenant « chez moi ».

Je me place face au mur, j’y pose les deux mains et je pense fortement à une porte qui s’ouvre. Même si je sais que c’est possible, je n’y crois pas trop en fait… et pourtant, une fissure régulière apparaît dans le mur. La paroi s’ouvre en deux et un nouveau couloir apparaît. J’avance d’un pas. Je suis de retour chez moi.

— Halte ! Qui va là ?

Un militaire en kaki me braque avec un fusil d’assaut, il est prêt à tirer.

Je lui réponds du tac au tac :

— Ça se voit non ? Je suis venu te relever.

— Ah ? Et bien ce n’est pas trop tôt.

Il abaisse son arme et s’éloigne en maugréant sur « cette bleusaille qui ne porte même pas un uniforme correct »…

Avec le karma, on peut influencer les esprits faibles.

Je remonte à la surface et je franchis une bandelette rouge et bleue qui doit interdire l’accès dans un sens ou dans l’autre. Puis je me dirige vers les « territoires perdus ». Je les connais assez bien depuis que je les traverse régulièrement pour aller à mon boulot, mais c’est la première fois que je m’y aventure en pleine nuit.

Enfin, je ne risque pas d’y rencontrer un flicard quelconque qui viendrait me casser les pieds pour une histoire de couvre-feu.

Je passe par une petite place, avec un parc et un bosquet d’arbustes. Le jour, c’est quasi désert, mais à présent, il est éclairé par des spots et il y a du va et viens. Un groupe d’autochtones vient à ma rencontre.

— Hé mec ! Qu’est ce qu’une face de bidet vient foutre dans notre terrain de chasse ?

L’expression « face de bidet » fait référence à la couleur blanche de l’émail. Ces jeunes ont le sens de la formule.

— Laissez-le tranquille ! fait le plus âgé du groupe. C’est quelqu’un de bien. Je lui dois la vie.

Et là j’ai une drôle de surprise…

à la tête de mon comité d’accueil se trouve le bonhomme qui a échappé aux « mandaloriens » dans le couloir de la gare. D’un certain point de vue, je lui ai sauvé la vie…

— Je m’appelle Ibrahim, me dit-il. Et j’ai eu la malchance d’avoir un nom et un visage qui n’ont pas plu aux agents de sécurité lorsque nous nous sommes rencontré la première fois. Mais qu’est ce que tu fais ici ? La dernière fois que je t’ai vu, tu es passé à travers le mur et tu as disparu… les casqués n’en revenaient pas, et moi non plus… c’est pour ça qu’ils ont bloqué le couloir. Ils pensent qu’il y a une sorte de passage secret et ils aimeraient bien le trouver. Au fait, tu ferais mieux de ne pas te montrer en ville, ton portrait robot est affiché un peu partout… tiens, regarde.

Il me montre un journal du matin. Mon portrait y est effectivement… et les titres sont éloquents.

« Le forcené qui a agressé trois policiers est toujours en fuite »

« La police royaliste a peur des agressions antiflics – les syndicats exigent des garanties »

Je suis un peu dans la merde…

* * *

Quelques minutes plus tard, je me retrouve au milieu du parc, à raconter mon voyage dans un autre univers à un public d’illustres inconnus… mais mon public est intéressé, et je suis le bienvenu.

Et puis, le saké qu’on m’a généreusement servi me rendent plus bavard que je ne devrais l’être… tout y passe, depuis mon séjour à l’hôpital jusqu’à ma rencontre avec l’extraterrestre à peau verte en passant par ma rencontre avec le double de Grand-Zeus et la manière dont on ouvre les portails.

Tous m’écoutent avec intérêt, même s’il est probable qu’aucun d’entre eux ne croie mon histoire… peu importe, je suis devenu un paria, je fais donc désormais partie de la tribu.

D’ailleurs, que puis-je faire d’autre ?

Parmi mes auditeurs les plus attentifs se trouve une fillette qui ressemble trait pour trait à la fille du maire. Ici, c’est la fille d’Ibrahim. Elle m’interrompt toutes les cinq minutes pour poser une question par ici, demander d’éclaircir un détail par là. Son frère, un ado d’une quinzaine d’années, ne m’a posé que deux questions, mais deux questions très précise : Est-ce que je suis certain que le SDF rencontré près de l’église est bien le double de notre Grand Zeus ; oui, j’en suis certain. Une fois qu’un portail est ouvert, est-ce qu’il faut être initié pour l’utiliser ? Et comment faire pour savoir si on possède l’ADN requis… là je suis bien incapable de répondre, et il semble déçu.

La nuit est bien avancée et je tombe de sommeil… en fait, c’est presque le matin. Ibrahim propose de m’héberger quelques jours, le temps de trouver une solution. Une autre cachette ? Un emploi dans le ghetto ou un chemin vers un univers plus accueillant ? Je ne sais pas vraiment ce qu’il a en tête, mais j’ai l’impression qu’il n’a pas cru un mot de mon récit. Pourtant, il est bien placé pour le prendre au sérieux. Il m’a vu traverser le mur.

Je me réveille vers midi. Ibrahim n’est pas là, mais son épouse me propose une portion de couscous qu’elle a mis de côté pour moi. Je consulte la carte de l’extraterrestre vert et je me mets en route… il me faut deux bonnes heures pour retrouver la cachette du cristal, et une petit demi heure pour revenir avec le cristal.

Et ensuite ? Qu’est ce que je pourrai bien faire une fois que mon extraterrestre aura réglé son problème ? Et bien je n’en sais fichtrement rien… En m’entraînant, j’arriverai peut-être à influencer quelques « esprits faibles » pour qu’ils me prêtent leur carte de crédit et le code d’accès, ça me permettra de vivre sans être une charge pour mes hôtes, même si ce n’est pas très glorieux.

Mais au fond, je n’ai jamais été un héros. J’ai passé la moitié de ma vie à regarder une dictature s’installer petit à petit, sans jamais intervenir. Maintenant que c’est trop tard, ça ne sert plus à rien de beugler à la dictature, chacun se démerde de son côté, comme on l’a toujours fait, et puis basta !

À mon retour, j’entends des cris du côté de la maison d’Ibrahim, je presse le pas. Il y a un blessé.

C’est le fils aîné, celui qui m’a interrompu pour poser des questions.

Il est allongé sur un brancart de fortune, avec une fracture au niveau du crâne.

Plusieurs regards sans complaisance se tourne vers moi…

— Ne le regardez pas comme ça, s’exclame Ibrahim. Ce n’est pas de sa faute.

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