-02- Un autre monde

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Ibrahim se redresse, étonné d’être encore en un seul morceau. Les policiers qui l’ont attaqué semblaient pourtant bien décidés à le massacrer.

D’ailleurs, ils sont toujours là. Leur colère se décharge maintenant sur une autre victime. Il n’y a pas à hésiter, Ibrahim se relève et s’élance d’un bond dans la direction opposée. Il n’est ni plus ni moins courageux que n’importe qui. C’est à dire très peu.

Il se retourne une dernière fois au détour du couloir et ce qu’il voit est tout bonnement incroyable.

Deux des policiers soulèvent leur victime et la jettent contre le mur. Ça, ce n’est pas incroyable, c’est la technique habituelle. Mais ce qui est incroyable, c’est qu’au lieu de s’écraser contre le mur, l’homme disparaît, comme « avalé » par la paroi.

Les policiers sont aussi surpris qu’Ibrahim, mais ils ne vont pas tarder à reprendre leurs esprit et leur « conscience professionnelle » reprendra le dessus. Il file se cacher et attend benoîtement que les policiers s’en aille.

Après leur départ, il retourne dans le couloir. Tout semble normal, on pourrait croire qu’il ne s’est rien passé s’il n’y avait pas cette large tâche de sang sur le mur.

Et ce téléphone portable au sol.

Un GSM d’un ancien modèle, ça vaut une dizaine de crédits au marché noir… mais la carte Sim qui s’y trouve en vaut bien plus. Pensez donc… une fausse identité pour une journée entière. N’importe quel trafiquant de drogue lui en donnera bien cinquante crédits.

Il ramasse le GSM, mais il a des scrupules. Après tout, cet homme lui a sauvé la vie. Alors il fait un compromis avec sa conscience : si le bonhomme est vivant et réapparaît dans le quartier, il lui rendra son GSM. Dans le cas contraire, il pourra le vendre sans nuire à personne.

Un dernier message s’affiche à l’écran :

« Espèce d’incapable ! Non seulement vous n’avez pas envoyé le mot de passe, mais vous êtes en retard de vingt minutes. Si vous ne répondez pas immédiatement, vous êtes viré… mais je parie que c’est le dernier de vos soucis. »

* * *

« Maîtriser le Karma tu dois. Ainsi tes sens seront décuplés. Ce que les autres ne voient pas tu verras. Ce que les autres n’entendent pas tu entendras. »

— Encore toi ? l’affreux bonhomme verdâtre ! Décidément, tu as pris un abonnement à mes rêves et tu ne veux plus en sortir.

« De te parler, tes rêves sont le moyen. De ton aide j’ai besoin. »

— Mais pour quoi faire ? Et pourquoi moi ? Et pourquoi tu parles à l’envers.

« Bien des questions tu poses, et peu de temps nous avons. Dans l’église de la grand-place, caché je suis. Me rejoindre il te faut. »

— Mais pour quoi faire ?

« À rentrer chez moi, m’aider tu dois. »

— Je vois, l’E.T. veut rentrer à la maison.

— C’est certainement un fou ! S’exclame une autre voix.

Deux personnages font leur apparition aux côtés de mon extraterrestre vert. L’un d’eux porte une robe de médecin et l’autre un uniforme d’officier de police. C’est le médecin qui vient de parler, et je présume logiquement qu’il parle de mon extraterrestre.

— C’est possible, répond le policier. Dans l’ambulance, il tenait des propos incohérents et affirmait avoir été agressé par des policiers portant des casques de moto, mais c’est peut-être un simulateur. Ses papiers d’identité ne correspondent à rien. C’est peut-être un clandestin d’Europe de l’Est ou un Arménien du Khalifastan.

Merde ! Ils parlent de moi.

« Grâce au karma, les entendre tu peux, reprend mon ami à peau verte. Mais à présent, se réveiller le dormeur doit. »

Et aussitôt, je me réveille.

* * *

Je suis dans une chambre d’hôpital, un énorme bandage sur le crâne. Heureusement, je n’ai ni baxter, ni jambe dans le plâtre. Une infirmière surveille ma tension, il n’y a personne d’autre dans la pièce.

Comment suis-je arrivé là au fait ?

— Allons le voir, peut-être nous en dira-t-il plus sur ces mystérieux « policiers casqués ».

Cette voix vient de l’autre bout du couloir, c’est l’officier de police qui parle. Je ne devrais pas l’entendre, mais je l’entends quand même…

Quel drôle de pays. Non seulement les policiers n’ont pas de casque, mais en plus ils envoient à l’hôpital les gens qui se font massacrer au lieu de les laisser crever. Non que je m’en plaigne, mais c’est vraiment bizarre…

Les deux hommes, le médecin et le policier, entrent dans ma chambre. Ils correspondent trait pour trait à l’image que j’en ai eu dans mon rêve. Encore un mystère à éclaircir. Le médecin congédie l’infirmière d’un geste.

Je commence à me demander si je ne devrais pas prendre au sérieux les conseils de mon extraterrestre à peau verte.

— Alors mon brave, s’exclame le médecin. Comment allons-nous, ce matin ?

— Moi je vais bien, vous je ne sais pas.

Ils se regardent, visiblement surpris par ma réponse.

— Je vois que vous avez été attaqué, reprend le policier. Pouvez-vous me décrire vos agresseurs ?

— Et bien… ils portaient des casques, comme ceux de la police.

— Des casques blancs ? Reprend-il. Comme les motards de la police routière ?

— des casques noirs.

— Aucun policier ne porte de casque noir. Tout les habitants de la république savent cela.

— Ah ? On est en république ?

Merde ! Je viens de gaffer…

— Oui, on est en république. Contrairement au Khalifastan qui est une dictature militaire. Vous connaissez le Khalifastan bien sûr ? Ils mènent une politique raciale très féroce contre les arméniens.

— Non, je ne connais pas… Je ne suis pas très doué en géographie.

— Ce n’est pas grave, soupire-t-il. Revenons à vous et vos agresseurs. Ils portaient des casques noirs mais ce n’étaient pas des policiers, même s’ils ont prétendu le contraire. Je voudrais maintenant vérifier votre identité. Votre nom est bien Gontran Bonaventure ? Impossible d’activer la vérification de votre carte d’identité magnétique.

— Je suppose que c’est un bug informatique. Je m’appelle bien Gontran Bonaventure. Gontran, comme le canard qui a toujours de la chance dans les aventures de Donald.

Le policier hésite, il semble ne pas comprendre. Il faut que je précise tout :

— Donald Duck, le canard ! Le personnage de Walt Disney.

— Vous devez faire erreur, monsieur Bonaventure. Le seul canard inventé par Walt Disney s’appelle Saturnin et…

— Monsieur l’inspecteur, fait soudain le médecin. Je pense que notre blessé est encore sous le choc et nous devrions le laisser se reposer.

Ils sortent de la chambre… et ce n’est pas trop tôt.

Ils reprennent leur discussion dans le couloir sans se douter que je les entends.

C’est vraiment pratique d’avoir des sens surdévellopés.

— Au moins les choses sont claires : il est fou et en plus, il n’est pas d’ici. Je vais envoyer mon rapport à l’office des étrangers et on le renvoie au Khalifastan par le premier avion. On ne peut pas accueillir toute la misère du monde.

— Mais cela équivaut à une condamnation à mort, remarque le médecin. Dès qu’il débarquera là-bas, ils le condamneront pour « intelligence avec l’ennemi » et il sera exécuté ou envoyé dans un camp ou je ne donne pas cher de sa peau.

— Ce n’est pas de mon ressort, mais que voulez vous faire d’autre ?

— Nous pourrions… – il baisse la voix, mais j’entends toujours – le faire interner en section psychiatrique. Son cas est intéressant et je connais un spécialiste qui sera intéressé par un cobaye, surtout s’il a subit un traumatisme crânien. Je lui téléphone cet après-midi pour qu’il lui réserve une place et demain à la première heure, on l’expédie là-bas. Ce sera mieux pour lui que le Khalifastan, et il rendra service à la médecine et à l’humanité…

Ils entrent dans l’ascenseur et je ne les entends plus. Mes super-pouvoirs ont donc des limites. Une chose est sûre, il faut absolument que je me tire d’ici.

Tiens, la petite vient de sortir du cagibi ou elle était cachée. On peut dire qu’elle a de la suite dans les idées. Elle se dirige vers ma chambre. Ça ne m’arrange pas trop parce que c’était le moment idéal pour filer à l’anglaise. Je me lève, je récupère des vêtements et j’ai juste le temps d’enfiler un pantalon avant son arrivée.

— Tiens, te revoilà ! Dis-je d’un air faussement surpris.

— Je viens de voir l’inspecteur, répond-elle candide. Il dit qu’il faut vous envoyer dans un camp et que vous serez condamné. Vous êtes un bandit ?

— Oui, je suis un bandit. – je n’ai pas le temps de lui explique ce qu’est un réfugié, et encore moins que je viens probablement d’un autre monde – et il faut que je me cache. Tu sais ou est la Grand Place ? Celle ou il y a une église.

Je sors sans attendre sa réponse et je me dirige vers l’escalier de secours. Naturellement elle me suit.

— Oui, je vais vous y conduire, répond-elle sans hésitation. C’est une bonne cachette, il n’y a déjà presque personne en temps normal, et depuis le Covid-22, il n’ y personne tout court.

— Tu n’es pas obligée de m’accompagner, si tu m’indiques simplement le chemin…

— Hé là-bas ! Arrêtez !

Un interne nous interpelle alors que nous sommes presque dehors. Je reconnais un des brancardiers qui m’a conduit à l’ambulance.

— Toi ma petite ! Tu m’as raconté des histoires. Ce monsieur n’est pas ton papa. Tu es la fille du maire et tu devrais être à l’école. Et vous monsieur, qui vous a permis de quitter votre chambre.

— Ce que vous êtes bêtes, s’exclame la fillette. Ce monsieur est l’électricien qui doit réparer le réseau électrique de la mairie. S’il ne le fait pas maintenant, toute la ville sera paralysée, et ce sera de votre faute… mon papa ne sera pas content et il vous fera jeter dehors !

Mais qui lui a appris à mentir comme ça ? Question idiote… son papa fait de la politique !

— Oui, je suis électricien, dis-je en hochant la tête. Et je vais beaucoup mieux, merci.

Il hésite… et nous sortons sans attendre qu’il se décide à nous laisser passer ou à donner l’alerte.

La petite me prend par la main et me guide dans les petites rues.

— C’est vrai que tu devrais être à l’école… à moins qu’elle ne soit fermée à cause du Covid-22.

— Elle est ouverte, répond-elle. Mon papa l’a rouverte parce que le président l’a ordonné, mais il ne veut pas que j’y ailles parce qu’il y a plein de professeurs malades et que les classes sont surpeuplées. Les autres enfants par contre… et bien ils doivent y aller puisque le président l’a dit.

Ça fait au moins une chose en commun à tous les univers.

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