-01- Les Mandaloriens

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BIIIIIP ! BIIIIIP ! BIIIIIP ! BIIIIIP ! BIIIIIP !

— Ii est six heure ! Fin du couvre-feu ! Votre crédit-retard est épuisé, ne perdez pas de temps.

La précision de mon « talking-todo » m’a toujours impressionné… il m’indique l’heure à laquelle je dois me lever, celle ou je dois partir travailler, prendre mes repas, faire mes courses et me coucher. En temps normal, il y a un peu de marge, mais j’ai épuisé mon crédit.

Cette fichue machine ne tient pas compte des problèmes de circulation, de plus en plus fréquents depuis la dernière vague de COVID-2022, ni du fait que je dois contourner le « quartier perdu du royaume » pour me rendre à mon travail…

Alors il faut tricher… partir dès la fin du couvre-feu au lieu de prendre le temps de déjeuner et traverser le quartier perdu au lieu de le contourner. C’est interdit, mais ça me fait gagner quinze bonnes minutes sur le trajet du boulot… et tant que j’arrive à l’heure et que personne ne me voit, tout le monde s’en fout.

Et puis, les migrants qui occupent ce quartier sont bien moins dangereux qu’on le dit. Ils ont bien trop peur des hommes de race blanche pour me faire des misères.

Alors je m’habille rapidement et je traverse les petites rues pour éviter les contrôles, autre source de perte de temps. J’arrive dans le quartier perdu et je me dirige vers le tunnel qui passe sous les rails de la gare.

Biloup ! Biloup ! Biloup !

Et c’est à ce moment là que mon portable sonne.

C’est curieux… il est un peu tôt pour s’inquiéter d’un possible retard…

Je viens de pénétrer dans le couloir souterrain qui passe sous la gare et je m’arrête pour répondre. À une vingtaine de mètres, trois policiers sont en train de casser la figure à un migrant, je n’ai pas envie que les cris de ce bonhomme gêne la communication.

— Allô ? Monsieur le directeur ? … Ah, vous avez besoin du mot de passe de l’ancien serveur ? J’arrive dans dix minutes… c’est vraiment urgent ? … Attendez, je vous l’envoie par SMS.

Je raccroche et j’ouvre un « nouveau message texte » sur mon portable… c’est un vieux machin dépourvu des gadgets, des réseaux sociaux et du clavier intégrés qu’on trouve maintenant sur toutes les tablettes, mais il fait le taf… il faut juste chipoter un peu avec les touches pour écrire le texte, et c’est encore plus compliqué quand il faut mélanger des chiffres et des lettres… mais au moins, ni google+, ni facebook ne peuvent m’espionner.

Il faudra juste que je change le mot de passe lorsque j’arriverai au boulot… et que j’avertisse le patron pour éviter qu’il ne me fasse un caca nerveux.

Je suis sur le point d’appuyer sur la touche « envoyer » lorsqu’un des policiers tourne vers moi sa tête casquée et se met à crier :

— VIDEO !

Aussitôt, les trois bonshommes se désintéressent de leur migrant et se ruent sur moi. Je tourne les talons et je commence à courir… sans beaucoup d’illusions, car à défaut d’être futés, les flics sont rapides. L’un d’entre eux me lance sa matraque dans les jambes. Je me plante la gueule, ils me rattrapent et les coups commencent à pleuvoir.

— Arrêtez ! Je vous en prie… j’étais juste en train d’envoyer un texto.

Ils me ramassent et me balancent tête la première contre le mur du couloir.

— Ça sonne creux, ricane l’un d’eux.

— C’était juste un texto… je vous le jure.

À une autre époque, j’aurais pu les menacer de faire appel à mon avocat, à la ligue des droits de l’homme ou à un truc du genre… mais depuis que « Grand Zeus » a été démocratiquement élu parce que c’était le seul moyen d’échapper à Eglantine Swastika, les « gardiens de la paix » ont acquis, dans le noble but d’assurer la sécurité, des droits que certains jugeraient excessifs. Mais tant que les bavures ne concernent que les autres, tout le monde s’en fout… moi y compris.

— Arrêtez les gars ! S’exclame l’un deux. On va lui laisser une chance… On va jouer aux devinettes, comme à la télé. Si tu réponds juste, tu peux t’en aller, mais si tu te plantes, on t’écrase la tête contre le mur, ça te va ?

— Je ne suis pas doué pour les devinettes…

Je n’ai surtout pas envie d’entrer dans leur « jeu ».

— Tu as le droit de déclarer forfait, ricane le chef. Bon, la question est simple : on nous surnomme « les mandaloriens », mais pourquoi ce surnom ? Tu as dix secondes…

Mes Mandaloriens ? Quel drôle de nom…

— Neuf ! Huit !

Ça doit venir d’un film ou d’un jeu vidéo…

— Sept ! Six !

Non ! Ça vient d’une série télévisée de SF.

— Cinq ! Quatre !

J’y suis, c’est ces espèces de chasseurs de primes avec des armures dans un drôle de métal qu’ils essaient de récupérer.

— Trois ! Deux !

Il y a aussi une sorte d’empire maléfique et une planète avec un grand désert et plein de monstres.

— Un ! Zéro ! Si vous voulez être encore vivant en deuxième semaine, je vous conseille de ne pas vous tromper.

L’imitation d’un speaker de jeu télévisé par leur chef déclenche l’hilarité des policiers casqués.

Casqués ???

— C’est les casques ! Vous portez des casques, comme les Mandaloriens de la série.

— C’est votre dernier mot ?

— Oui, oui… c’est les casques.

— C’est un malin, hein ? S’exclame le chef. Sa réponse est loin d’être bête…

— Sauf que c’est pas ça, répond l’un d’eux avec un rire sinistre.

— QUOI ?

Mon cri déclenche un éclat de rire général.

— Je vais t’expliquer mon gars, fait le chef en me mettant la main sur l’épaule. Il y a deux sortes de gens dans ce pays, les « tout » et les « riens », et notre métier, c’est de mettre des mandales aux riens.

Avant même que je n’aie le temps de réaliser ce qui m’arrive, deux d’entre eux me soulèvent et me précipitent contre le mur. Une douleur violente me traverse le crâne alors que résonnent de joyeux commentaires plus spirituels les uns que les autres :

« ça sonne creux ! »

« On le garde pour la deuxième semaine ? »

« Merde ! L’autre métèque en a profité pour se barrer ! Non, on termine celui-là. Un peu d’écarlate sur ce mur tout gris donnera un petit air de fête à ce triste lieu.

Impossible de savoir qui dit quoi… je suis à terre, totalement incapable de réagir et je me mets à sangloter.

— Je vous jure que je voulais juste envoyer un SMS.

— Allez soyons charitable, propose le chef du trio. Finissons-le tout de suite.

Je suis à nouveau soulevé du sol et poussé en avant et la paroi tâchée de sang s’avance vers moi d’un air menaçant…

Puis c’est le noir total.

Quelle stupide façon de mourir.

* * *

« Ce mur est hanté par le côté sombre du karma, c’est un des domaines du mal »

Une hideuse petite créature verte à la peau frippée tourne vers moi son énorme tête et me désigne le mur du couloir, tâché de sang.

Mon sang !

Impossible de me tromper, mon corps est à terre, juste devant, une plaie béante à la tête.

— C’est idiot ! Comment voulez vous que je rendre dans ce mur ?

« Il suffit d’avancer. »

— Bon, je vais essayer…

« NON ! N’essaie pas. Fais-le, ou ne le fais pas. »

J’avance d’un pas hésitant. À ma grande surprise, le mur s’ouvre sur un passage qui s’ouvre sur un autre couloir, rigoureusement identique à celui que je viens de quitter.

Je me retourne, le passage a disparu, mais je suis bel et bien de l’autre côté… il n’y a plus de sang sur les murs et mon corps a disparu.

Quel rêve idiot.

Mais quand on est sur le point de mourir d’une façon stupide, rien de plus normal que de faire des rêves idiots.

* * *

— Monsieur ? Est-ce que vous êtes encore vivant ?

J’ouvre un œil. Une petite fille d’une dizaine d’années est penchée sur moi. J’aimerais bien lui répondre oui – ou « peut-être », parce que j’ai quand même un doute –, mais aucun son ne franchit mes lèvres. Alors je hoche maladroitement la tête, ce qui provoque aussitôt une abominable douleur à la tête.

— Je pense que vous avez été agressé, mais ne vous inquiétez pas : j’ai appelé la police.

Oh meeeeerde !

J’aimerais bien me lever pour partir, mais il est trop tard : deux hommes en uniforme bleu se dirigent vers nous. Ils ne sont pas casqués mais portent à la place un curieux béret qui ressemble un peu à ceux que les policiers portaient avant l’élection de Grand Zeus.

Aurais-je remonté le temps ?

Un des policiers se penche vers moi et m’assure que les secours sont en route, pendant que son collègue essaie de convaincre la fillette que je suis juste tombé par accident. Quelle bande de faux-culs !

La petite ne se laisse pas intimider et lui répond du tac au tac. Ça m’étonne que le policier ne lui file pas une taloche pour la faire taire.

Quelques minutes plus tard, je me retrouve sur un brancard à roulettes que deux infirmiers poussent vers l’ambulance. La petite me suit toujours. Je dois être pour elle une sorte de curiosité.

— Je peux monter ? demande-t-elle bien poliment.

— Vous êtes de la famille ?

— Oui, c’est mon papa !

Je préfère ne pas réagir devant l’énormité du mensonge. Au fond, ça ne me dérange pas d’avoir un peu de compagnie. Ce qui est en train de m’arriver n’est franchement pas banal.

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