Morale de cette histoire

3 minutes de lecture

Mais un jésuite n'est pas content si l'on se contente d'être content. Voilà qui serait faire peu de cas de la morale de cette histoire. Se limiter à applaudir ses ampoules et ses fatigues n'est pas suffisant. Rire des nuits d'orages et des plages goudronnées, c'est sport, mais pas chrétien. Non, en fait, c'est l'occasion de dire au Seigneur notre émerveillement devant la splendeur de sa création. Au milieu de tant de gens qui ne pensaient qu'à s'amuser, il était bon d'apprendre à trouver aussi Dieu dans sa création. Ce camp devait être l'occasion d'apprendre que l'argent que l'on garde pour soi seul nous façonne des coeurs toujours plus avides, durs et insensibles. Ceux qui ont partagé leur argent, leur sourire, leurs affaires, l'eau de leur précieuse gourde, ceux-là sont rentrés le portefeuille vide, mais se trouvent être en marche pour devenir ces frères universels dont le monde a tant et tant besoin.

Voilà comment parle un jésuite à son retour de Majorque. En évoquant l'arrivée à Campos, il dit: "Rappelez-vous cette caserne désaffectée, cet orage magnifique en pleine nuit, et ces familles ouvrières entassées dans quelques pièces qui, pendant que nous nous dorions au soleil, vivaient assez maigrement de la cueillette des amandes. Peut-être, notre passage au milieu d'elles nous a-t-il aidé à deviner, dans l'insouciance de nos vacances, des problèmes et des souffrances lourdes à porter, plus difficiles encore à résoudre."

L'auteur de ces propos s'agitait, il n'y a pas si longtemps, sur un quai en regardant partir sans lui un beau bateau blanc ! Que de souvenirs merveilleux. Il nous dit également: "Chacun pendant ce camp s'est enrichi à la mesure du don qu'il a fait de lui-même. Chacun a compris aussi que pour connaître un pays et ses habitants, il ne suffit pas d'aller y passer une quinzaine de jours : il faut sortir de soi, exercer son regard, ouvrir son coeur et son intelligence à des hommes, à des mentalités, à des modes de vie qui spontanément nous sont fermés. Il faudrait qu'en rêvant à ce merveilleux camp des Baléares, il nous vienne le désir d'en faire bien d'autres à l'étranger et d'en revenir, non pas médiocres et satisfaits, mais passionnés du service des autres et plus fraternels".


Après cela, on ne peut que dire Amen. Mais ces très honorables principes paraissent plus faciles à mettre en oeuvre par un chauffeur de vespa que par un "homo pédibus Baléarii". Imaginons la scène: Nounours numéro 2 (ils sont deux jumeaux) dort sur la plage, il s'y est effondré après une journée entière de marche harassante sous une chaleur impitoyable. La douceur du zéphyr caresse ses pieds déchaussés aux ampoules sanguinolentes. Il était hors de question, pour le groupe de marcheurs, d'aller plus loin. Ils étaient trop fatigués et la nuit tombait. Ils rejoindraient le reste de la troupe demain. C'est alors que l'orage éclate. Terrible. Les éclairs succèdent aux éclairs dans un bruit monstrueux. On se croirait en plein jour. En quelques minutes, le ciel se déverse sur leurs têtes hébétées. Nounours, instantanément trempé, a les cheveux collés sur le visage. Il a tant d'eau dans les yeux que c'est à peine s'il distingue un peu plus loin une baraque en pierres qui paraît abandonnée. Tout le monde s'y précipite, alors il court également en direction de cette maison à moitié en ruine. Malgré la pluie, ses pieds meurtris et tâchés du goudron de la plage le brûlent. A présent, il est avec les autres dans le taudis inhabité. Ils sont là, comme des zombies, accroupis sur la terre battue du plancher, mal protégés par une toiture très endommagée. D'ailleurs, les tuiles qui manquent sur le toit jonchent le sol tout autour de la bâtisse, éclatées en mille morceaux. Certains d'entre eux en ont encore quelques éclats plantés dans leurs pieds dont, décidément, ce n'est pas le jour ! Dans un angle, Criquet, recroquevillé sur lui même, ne chante pas. Il pleure. Un petit coup de déprime passagère. Il faut avouer que l'ambiance s'y prête. A cet instant précis, nounours s'exclame "Quel orage magnifique !". Et de renchérir: "Quel merveilleux camp. Dieu, que j'ai envie d'en faire beaucoup d'autres ainsi pour ouvrir mon coeur et mon intelligence aux autres."

Comment ? Vous avez du mal à l'imaginer ? Une telle attitude vous paraît impossible ? Vous avez tort. Cela est parfaitement naturel. Mais ne vous avais-je pas prévenu ? "Plus jésuite que moi, tu meurs !"

Annotations

Vous aimez lire Oncle Dan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0