Priez pour nous pauvres pompiers

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L’incendie s'était déclaré pendant la récréation du soir.

Nous entretenions nos glissades favorites. Nous nous récitions les leçons du lendemain en nous frottant les mains. Nous devisions gaiement, en battant la semelle. Nous convertissions nos francs légers comme des cristaux de glace en francs lourds comme des icebergs. Les mieux informés se lamentaient de la mort de Camus et la vapeur de leurs déchirements se figeait dans l'air sibérien de la cour. Les moins informés se plaignaient de l'air sibérien de la cour et ils débitaient des lamentations qui n'amusaient personne.

Quelques poètes observaient la pureté de l'air et savouraient les subtiles transformations du ciel quittant sa tunique de lumière brodée d'or et se dissimulant derrière un voile aux teintes changeantes. La couleur paille fût d'abord gansée d'un fin ruban saumon qui dessinait l'horizon. Puis ces délicates nuances de roses laissèrent la place à des rouges plus intenses qui se violacèrent progressivement. D'ordinaire, cet immuable scénario se terminait dans un ultime trait de fusain qui marquait la fin du jour.

Mais ce soir là, le charbon de la nuit paraissait avoir des difficultés à tracer les contours incertains de l'horizon. Le scintillement des étoiles restait imperceptible. Une lueur pourpre persistait à l'est, au dessus du bâtiment central. C'était inhabituel, inexplicable, inattendu. Enfin, c'était nouveau. A l'ouest, rien de tel, bien sûr.

Les esprits les plus perspicaces s'interrogeaient sur les débordements horaires de notre récréation. Les jeux avaient peu à peu cessés. Les plus folles suppositions commençaient à circuler entre les différents groupes qui s'étaient formés dans la cour. Bientôt, cette lueur suspecte s'intensifia? Sous la poussée d'une gerbe d'étincelles plus importante que les autres, elle prit une teinte rougeâtre qui ne laissa plus de doutes sur ses origines.

C'est alors que le poussah poussif poussa la porte. Vous aurez reconnu B.B.Q. Ce pourceau ponceau, le visage coquelicot, siffla la fin de la récréation.  Il nous fit rapidement monter en salle d'études, sans chercher à imposer le silence dans les rangs où les commentaires allaient bon train.

L'étude de "travail" qui nous était imposée d'ordinaire à ce moment de la journée, se transforma rapidement en étude de "lecture", sous la pression de la nervosité ambiante. Mais c'était encore trop nous demander alors que l'incendie, qui faisait rage de l'autre coté de la cour, colorait la porte vitrée de notre salle d'études de taches rougeâtres qui dansaient sur le verre dépoli. Lorsque notre étude fut déclarée "libre", c'était vraiment à titre de régularisation. Il n'y avait plus grand monde à sa place, chacun cherchant à obtenir des informations sur un événement que l'on cherchait encore, semblait-il, à nous dissimuler par crainte de l'affolement. Pour ne pas ajouter à la confusion, ou par souci de discipline, quelques potaches trompaient difficilement leur émotion par une occupation sur laquelle ils avaient du mal à se concentrer. Au fil des minutes, la nervosité augmentait. Un, puis deux, puis trois élèves, s'enhardirent à sortir de la salle d'étude pour regarder le sinistre spectacle par une des fenêtres du couloir vert. Cela leur fut d'autant plus facile que les pions, très occupés par ailleurs puisqu'ils étaient réquisitionnés pour faire la chaîne avec des seaux d'eau, se montraient très discrets avec nous.

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