Le réfectoire

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Philippe, l'ancien qui s'était vu confier la responsabilité de me servir de guide, était plutôt sympa.

Fils de boucher, il était grand et musclé comme un équarrisseur. Il faisait cependant encore partie du groupe des "minots", constitué des potaches des classes de sixième et cinquième. Suivait la catégorie des moyens, composée des classes de quatrièmes et troisièmes, l'appellation d'origine contrôlée "grand" étant réservée aux secondes, premières et élèves des classes terminales.

Pouvait, en revanche, prétendre au titre d'ancien, tout interne qui n'était plus un bleu, coloration qui ne résistait qu'une année aux lavages de cerveaux de l'internat.

Puisque nous en sommes à la description des différentes ethnies de cette société quasi-collégiale, je ne vous apprendrai rien en ajoutant qu'il existe encore une classification verticale essentielle entre internes, demi-pensionnaires et externes. Ces derniers et pénultièmes ont toujours été considérés comme des touristes par les premiers, qu'unissaient des liens beaucoup plus étroits, tissés par la permanence de leur vie commune.

Le bleu que j'étais descendit derrière Philippe les quelques marches qui menaient au réfectoire des "minots". Celui-ci lui montra l'emplacement des casiers où chacun devait ranger sa serviette de table.

Le réfectoire était à demi enterré et n'était éclairé que par deux soupiraux. Le lieu et les circonstances justifiaient des soupirs hauts, la réalité dépassant l'affliction.

Dix tables alignées le long des murs, et que ne séparait qu'une allée étroite, pouvaient recevoir chacune huit convives.

C'est ici que j'allais devoir prendre mes repas dans un silence total, seulement perturbé par le cliquetis des couverts qu'il convenait de rendre le plus discret possible pour ne pas gêner la lecture du Nouveau Testament. La bonne parole nous était dispensée depuis un pupitre posé sur une estrade à l'extrémité de la pièce.

Le collège ne devait pas consacrer un gros budget à notre alimentation. A côté des nourritures spirituelles, importantes au point de n'avoir pas de prix, les nourritures terrestres ne pouvaient être que futiles. Il faut manger... pour vivre, et partager son pain avec ceux qui n'en ont pas. Ainsi sera t'il.

Les dix commandements du réfectoire commençaient par : "Ici, tu mangeras du jambon gras agrémenté de frites molles. Tu feras la traversée du dessert au camembert-plâtre et aux biscuits décorés de toiles d'araignées".

Cela ne faisait pas si longtemps que la soupe du petit déjeuner avait été remplacée par un café au lait à la peau généreuse. Contrairement à certains de mes camarades qui avaient le cœur au bord des lèvres à la simple vue de cette banquise flasque qui se formait à la surface de leur bol, celle-ci ne me dérangeait pas et je m'en régalais comme d'autres aiment le gras du jambon. Ceux qui n'en étaient pas amateurs utilisaient fréquemment la technique consistant à percer un trou (de phoque) en bordure du bol afin d'en aspirer le contenu tout en laissant cette pellicule froide  en tapisser l'intérieur. 

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