l’éléphant de Gavroche

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Maintenant une corde se déploie depuis le trou obscur, parvient au sol avec un bruit sec. Adoptant une vue panoramique, je m’aperçois que l’éléphant de Gavroche a colonisé l’entièreté de la classe. Sa tête tutoie le plafond et se détache sur fond de solives enfumées. Ses pattes sont largement étalées, si bien que l’espace devant le pupitre du Maître est totalement occupé. Je me demande bien où Monsieur Carrier pourra trouver place, coincé qu’il sera entre le tableau et les flancs rebondis de cet animal qui n’a d’éléphant que le nom, tant sa facture est grossière, entamée par les ans. Et je dois dire que l’être que je suis à l’accoutumée, discipliné, aimant rien tant que l’ordre et l’harmonie, eh bien mon être ne se trouble point et ressent même en son sein une étrange griserie.

« Viens donc me rejoindre, m’invite Gavroche d’une voix tout enjouée. Plus on est de fous, plus on rigole ! »

J’approuve sans réserve cette spontanéité, cette attitude narquoise dont ce bon Monsieur Carrier nous trace régulièrement le portrait dans ses ‘Leçons de Morale’, désignant ce genre de comportement espiègle de ‘grossier’ et de ‘rustre’. Je crois que, parfois, notre Maître exagère un peu afin que la leçon inculquée dans nos jeunes têtes y demeure un peu plus longtemps que ne dure la ‘Leçon de Morale’.

Comme je dispose de bonnes aptitudes pour le grimper de corde, me voici en quelques secondes si près du visage de Gavroche que j’en distingue le moindre détail. Å ma surprise, sa figure, qui au premier abord peut paraître un brin hostile, semble des plus enclines à une prompte amitié. Nous sommes assis tous les deux sur le bord de l’orifice de plâtre, pareils à des spéléologues sortant d’un boyau étroit sous terre et se retrouvant en plein jour. Depuis le sommet de l’éléphant, les choses, en bas, me paraissent minuscules. Les tables des élèves sont de petits rectangles clairs. Le poêle est un jouet d’enfant. La rue, au-dessus du voile au blanc d’Espagne, ressemble au monde en réduction de Lilliput. Si des gens y passaient, ils ne pourraient qu’être des nains.

« Viens, Pierre, que je te présente les deux Moutards que j’ai recueillis. Ils n’avaient rien à manger et tremblaient de froid. Qu’aurais-tu fait à ma place ? »

Convaincu de la justesse de ma réponse, Gavroche continue sans même prendre le temps de connaître ma pensée.

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