Tu vois, ces Momignards

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« Tu vois, ces Momignards, je ne les connais même pas. Je ne connais ni leurs prénoms ni leur âge. Je ne sais même pas s’ils ont des parents. Mais c’est égal, est-ce qu’on peut laisser ainsi dans le froid de la rue des Marmots grelotter sous les coups de la bise ? Il faut bien avoir un peu de cœur parfois. Ah, certes, c’est pas chez les Bourgeois qu’on peut trouver des bras ouverts, pas plus que chez les Grands de ce monde ! Ils ne pensent qu’à eux et pourvu que leur panse soit pleine, ils estiment que tout va bien. On est vite d’accord aves soi, ne crois-tu pas ? »

Cependant Gavroche m’avait fait avancer dans le ventre sombre et encombré de sa demeure de bois et de plâtre. Il tenait un rat-de-cave à la main, qui fumait plus qu’il n’éclairait.

« Méfie-toi des trous, me conseille Gavroche, tu pourrais retomber dans le monde d’en bas et ses tracasseries. N’es-tu pas bien ici avec notre Père Victor, avec Hugo notre bienfaiteur, lui l’Ecrivain des pauvres et des sans-grades ? Oui, bien sûr, ici, il y a les Thénardier et leur sombre bêtise, le sinistre policier Javert qui traque Jean Valjean, il y a surtout la misère partout répandue, comme il y a le peuple des rats dans les égouts. Mais, Pierre, tu le sais, ici on est dans une histoire ‘morale’ comme dirait votre bon Monsieur Carrier. C’est une histoire pour faire réfléchir et donner aux gens un peu plus d’espoir, peut-être un peu plus de bonté. Ça s’apprend tout ça. Il faut juste de la bonne volonté ! »

Tout au bout de notre périple dans les ténèbres, il y a comme une lucarne qui s’ouvre sur le jour. C’est là la chambre secrète où Gavroche trouve refuge lors des longues nuits d’hiver. Alors me revient brusquement en mémoire un court passage des ‘‘Misérables’’, lu de nombreuses fois dans le ‘Souché’ :

‘’ Le lit de Gavroche était complet : c'est-à-dire qu’il y avait un matelas, une couverture et une alcôve avec rideaux.

Le matelas était une natte de paille, la couverture, un vaste pagne de grosse laine grise fort chaude et presque neuve. Voici ce que c’était que l’alcôve : le lit de Garoche était sous un grillage de fil de laiton comme dans une cage ; l’ensemble ressemblait à une tente d’Esquimau ; c’est ce grillage qui tenait lieu de rideaux. ‘’

Me voici donc en pleine féérie. Est-ce qu’hier encore j’aurais pu imaginer une seule seconde que je me retrouverais, aujourd’hui, en compagnie de Gavroche et de ses deux hôtes, dans le ventre obscur de cet éléphant de cirque ? Oh combien les choses sont étonnantes. Parfois elles dépassent même l’imagination !

« Plutôt que de rêver, Monsieur, tu ferais mieux de rejoindre le lit et de tâcher de dormir un peu en notre compagnie, je te trouve bien fatigué, bien ailleurs », ajoute Gavroche à mon intention, sur un ton un brin sentencieux.

Que feriez-vous à ma place ? Tourneboulé comme je le suis par cette aventure sans pareille il ne me reste qu’à gagner le profond de l’alcôve, à me blottir tout contre mes nouveaux amis. Ce Gavroche est un copain épatant, ses petits réfugiés sont si touchants, si gentils.

Encore quelques phrases viennent à moi depuis le lointain des ‘‘Misérables’’ :

‘’Les deux enfants se serrèrent l’un contre l’autre. Gavroche acheva de les arranger sur la natte et leur monta la couverture jusqu’aux oreilles, puis répéta pour la troisième fois : ‘pioncez !’ et il souffla le lumignon.’’

Je m’amuse un instant des paroles délurées de Gavroche. Oh, combien j’aurais aimé que ce bon Victor Hugo parle de moi, signale ma présence ! Mais il ne pouvait le faire puisque je suis né bien après que sa vie a été accomplie.

A peine cette idée effleure-t-elle ma tête embrumée et déjà je m’endors dans les dernières fumées du rat-de-cave.

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