Partie 1 : Le vaillant soldat

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Chère lectrice,

Cher lecteur,

Qui que tu sois, tu t’es sûrement demandé, quand tu t’ennuyais, comment des gens pourtant calmes se déchaînent autant une fois énervés. J’ai beau valoir mieux que toi, ma langue n’est pas aussi bien aiguisée que mes autres attributs. Voici l’histoire d’un type qui a réussi à se mettre tout un village à dos. Et cet imbécile, c’est moi.

Tout partait d’une bonne intention, tu t’en doutes bien. Je préfère me présenter afin de mettre les choses au clair. Je m’appelle Justar Lamot, jeune et vaillant soldat de Taragne. Il paraît qu’il est déconseillé de se décrire soi-même, ce que tu ne dois pas savoir, vu que ta culture littéraire se résume probablement aux recettes de cuisine. Alors je te laisse imaginer toi-même mon apparence (indice : je suis beau et musclé).

Cette mésaventure s’est produite à une lointaine époque (il y a trois jours). Je revenais d’une campagne militaire assez rude au cours de laquelle je me suis illustré. J’ai encore le dessin dans mon sac, d’ailleurs. Ces épreuves avaient fait de moi un vrai guerrier, celui qui sait fourrer sa longue épée là où il faut. J’avais mérité un peu de repos, tu ne trouves pas ? C’est ainsi que je suis rentré dans mon village, l’allure fière, les jambes en coton, paré à recevoir un accueil triomphal. Ou au moins des remerciements pour mes loyaux services. Ou au moins la joie des connaissances de me revoir. Ou au moins… qu’ils se souviennent de moi !

Mon patelin était situé à l’est du pays, noyé dans un amas de verdure que certains défendaient corps et âme sans que je sache pourquoi. Tu serais toi-même ébahi par la splendeur des lieux si je n’avais pas eu la flemme de les détailler. J’élude donc le passage où personne ne m’a reconnu, malgré mes grands gestes et mon charisme légendaire. Ce serait humiliant, tu comprends ?

Allons directement à l’essentiel ! Ce village, j’y étais attaché pour une raison : l’amour de ma vie y résidait, et j’étais décidé à conquérir son cœur. Plus facile quand il y en a deux. J’avais le souvenir de deux charmantes et inséparables jeunes filles, pas de raison qu’elles aient changé depuis. Si je ratais avec l’une, je pouvais essayer avec l’autre. Inutile de révéler que derrière une plume aussi talentueuse se cache un séducteur hors pair.

Mais comment les retrouver dans ce village immense d’une centaine d’habitants ? En rencontrant quelqu’un qui les connait, bien sûr ! Faïda Fenn, forgeronne émérite, attachée aux chérubins que nous étions. Je l’avais repérée dans son établi, sur sa meule, en train d’aiguiser des dagues en fer. L’activité idéale pour s’améliorer dans le domaine comme tu le sais. Cette ravissante et surtout costaude femme avait fait quelque chose de particulier : elle m’avait reconnu !

— Justar ! s’était écrié FF (j’abrège son nom car il doit être trop difficile à retenir pour toi). Quel bonheur de te revoir après deux ans d’absence !

— Tout le plaisir est pour moi ! avais-je répondu, plein d’entrain. Par contre, je suis parti il y a trois ans…

Contournant son erreur comme les dagues, elle voulait juste me serrer dans ses bras. La violence de son étreinte était telle que je préfère la censurer afin de ne pas heurter la sensibilité des jeunes lecteurs. Puis bon, c’est facile d’avoir des gros bras quand on ne travaille pas le reste du corps, hein !

— Le temps importe peu, avait affirmé FF. L’important, c’est que tu reviennes entier après cette terrible guerre ! Il y a bien eu une guerre, pas vrai ? Que nos impôts soient utiles…

— Bien sûr ! avais-je menti (hé hé, je sais garder des secrets). J’ai défendu mon royaume corps et âme, et maintenant, j’ai bien mérité un peu de repos. Et j’ai ma petite idée sur le sujet…

— Comme quoi, mes entraînements t’ont bien formé ! Je me souviens encore de toi, quand tu étais enfant, tu démolissais déjà des mannequins en bois envahis de termites. Mes fessées n’étaient pas obligatoires, mais l’essentiel est de voir le résultat. Alors, maintenant que tu es rentré, quels sont tes projets ?

J’avais pris une posture digne, le bras droit brandi et les yeux rivés vers le ciel. Peut-être était-elle peintre, vu qu’elle dessinait un portrait peu flatteur de ma vénérable personne.

— Après le réconfort, l’effort ! m’étais-je exclamé. Ce qui m’attache à ce village, en dehors de sa gastronomie, c’est l’amour ! Que sont devenues Nagta et Lessa ?

Tu savais qu’il était possible de rire et de se mettre en colère en même temps ? Maintenant oui.

— L’amour…, avait-elle murmuré, attirée par ses lames au sol. De mon temps, on différenciait les relations charnelles des vraies relations ! Assume un peu, tu les aimes vraiment ou tu trouves juste un prétexte pour… (Son geste avec une dague et ses doigts était assez explicite).

Ahem… Qu’est-ce que l’amour ? Toi qui es célibataire, sinon tu n’aurais pas le temps pour me lire, tu es incapable de m’aider. Un beau sourire et un regard fixe ne convainquaient pas vraiment cette aimable forgeronne.

— Je crois que…, avais-je commencé.

— Va donc les retrouver, m’avais interrompu FF (quelle malpolie !). Mais je te préviens, elles ont beaucoup changé. Nagta est devenue la chasseuse du village. Ça veut dire qu’elle apporte de la viande à tous les habitants, sauf à ces gens étranges qui refusent d’en manger pour des raisons morales. Elle vit à l’écart, près du rassemblement des arbres là-bas, ceux dont j’ai oublié le nom. Sa dernière chasse date d’hier, donc à cette heure-ci, elle doit être en train de dépecer. Elle a un peu le rôle indispensable du village, tout le monde l’apprécie, même si son comportement est… Enfin, tu découvriras par toi-même, je ne veux pas te décourager.

Elle avait fait du chemin, cette petite ! À mon départ, elle savait à peine tirer sur une cible à trente mètres, alors que les meilleurs archers de l’armée savaient en atteindre sur deux mètres de plus ! FF ne m’avait pas laissé le temps de nourrir mon imagination puisqu’elle avait enchaîné tout de go :

— Lessa, c’est une autre histoire…, avait-elle soupiré. Elle s’est intéressée à la magie de glace et a tenté d’intégrer l’académie des mages de la capitale l’année dernière. Elle s’est méchamment vautrée, ce qui a anéanti son moral. Depuis, elle a sombré dans la dépression. Elle se produit sur la place publique et essaie de gagner sa vie en faisant des tours de magie devant les villageois. Elle reçoit plus de tomates que de pièces…

— Et elle arrive à survivre sans métier ?

— Ah oui, j’avais oublié de te dire. L’ancien chef du village a dû démissionner de son poste suite à quelques scandales de corruption. L’actuel a établi de nouvelles lois, et parmi elles, la rémunération de toute personne à la recherche d’un métier. Lessa en fait partie, donc elle reçoit de l’argent pour survivre.

— Attends un peu… Elle profite de l’argent des vrais travailleurs ? Mais c’est n’importe quoi ! Et après vous osez critiquer les soldats pour se servir de vos impôts ?

— Si tu veux te plaindre, tu n’as qu’à participer aux débats au conseil du village. Le poissonnier et la boulangère s’y disputent souvent, et je dois dire que cette histoire me passe par-dessus la tête. Revenons à Lessa, tu veux ?

J’étais tout indigné ! Ah, pardon, il faut montrer ses sentiments et non les dire. Des traits d’indignation déformaient mon visage ! Mieux. En tout cas, FF disait vrai pour la septième fois, ce n’était pas le sujet. Je reprenais donc la parole :

— Si tu veux conquérir le cœur de Lessa, avait repris la forgeronne, sache qu’il est maintenant gelé. Tu devras être romantique… Car si tu tentes de profiter d’elle, tu sauras que la dague va parfois plus loin que l’épée.

Rectification : j’avais tenté de reprendre la parole. Mais rassure-toi, ce milieu m’était devenu étranger, autrement, je me serais déjà imposé par mon autorité naturelle.

— Elle sera mon second choix ! avais-je déclaré. Nagta me semble plus prompte à des retrouvailles.

— Son cœur est chaud comme la braise, et pas que… Bonne chance, Justar. N’oublie pas qu’ici, avoir une bonne allonge ne suffit pas.

Un conseil avisé que j’aurais dû écouter…

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