Partie 2 : L'indomptable chasseuse

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J’effectue une ellipse supplémentaire pour me retrouver devant la demeure de Nagta. Oui, tu pourrais rétorquer que le voyage compte plus que la destination, mais c’est mon histoire, donc je décide de la façon dont je la raconte. Je disais donc : la solide maison en pierre se présentait devant moi, à l’orée du bois. Mon amour d’adolescence y logeait, une relation d’autant plus forte qu’elle n’était pas réciproque. Ce mal allait être réparé dès mon entrée.

Eh bien, j’étais impressionné ! Nagta en avait une fameuse, de collection ! Des têtes d’animaux ornaient tous ses murs, à côté de son arc. Le feu m’aidait à me repérer à l’intérieur de cet endroit… sans fenêtre. Pas très pratique pour aérer, tu en conviendras. Mon amie, comme prévu, s’attaquait à un morceau de taille. Un cerf à moitié équarri subissait les assauts répétés de cette rousse de forte stature. Trois ans à l’armée, et j’étais plus sec qu’elle ? Oui, la jalousie est un vilain défaut, tout ça… Le but est d’être complémentaire entre partenaires.

Qu’est-ce qui est le plus humiliant ? Ne pas être reconnu par le pécore du coin ou être à peine reconnu par une vieille connaissance (pas d’offense si tu es le pécore en question, on ne naît pas tous parfait) ? Nagta avait à peine arqué un sourcil et esquissé un sourire en me reconnaissant.

— Justar, c’est toi ! dit-elle, sa voix plus grave que la mienne (garde tes commentaires pour toi, merci). Comment vas-tu après tout ce temps ?

D’un geste de la main, je lui avais déconseillé de me prendre dans ses bras. Ses mains calleuses étaient barbouillées de sang, serrées sur son couteau profondément enfoncé dans la chair de l’animal. Elle s’y connaissait, en pénétration. Elle m’avait invité à m’asseoir en face d’elle pendant qu’elle se lavait les mains dans un seau à ses pieds et écartait la dépouille. Drôle de lieu pour une retrouvaille, même si ça doit t’être familier.

— Je vais bien, avais-je répondu. Le voyage a été plus éprouvant que tout mon séjour à l’armée, ha ha ! (Aucun rire, premier insuccès) Et toi, comment ça se passe ? Faïda m’a dit que tu avais… changé.

Son sourire à pleines dents avait failli me mettre mal à l’aise. Méconnaissable, c’était le mot ! Son visage était strié de tatouages et ses épaules étaient larges. Elle avait beau être plus petite que moi, son entraînement l’avait adaptée à son métier.

— Moi ? avait lancé Nagta, emplie de fierté. Je suis devenue celle que j’ai toujours voulu être ! Le dernier chasseur est mort en chutant d’une tour et m’a laissée la place vacante. Il suffit de tous les nourrir pour être appréciée. Je n’ai jamais eu autant d’amis que maintenant ! Entre deux chasses, quel plaisir de partager un verre avec eux !

— Mais ton véritable ami, avais-je rebondi (au sens figuré du terme), c’est moi !

— Ami ? On devrait être plus que ça.

Pardon ? Je croyais mener la danse, je me trompais… Son métier de chasseuse s’étendait au-delà des animaux. Cinq répliques avaient suffi à nouer le lien entre nous (tu peux vérifier si tu veux). La vie est simple, parfois. Et m’attarder sur ça permet d’éclipser mon bégaiement.

— Tu es plus rouge que mes cheveux ! s’était moquée la chasseuse. Si tu es intéressé, c’est dommage, parce que ça veut dire que tu n’as pas tiré ton coup à l’armée ! Il y a plein de femmes là-bas, pourtant… Et des hommes aussi, si tu as d’autres préférences.

— Ne parlons pas de ça, je suis venu pour toi, avais-je certifié.

— Vraiment ? Ne t’excite pas, Justar, je m’empiffre toujours de la chair animale avant de goûter au plaisir d’autres chairs. Rien de tel qu’un repas et un verre pour connaître quelqu’un !

Aussi surprenant que ça puisse te paraître, Nagta s’était aussi découvert des talents en cuisine. Des talents consistant à déposer des morceaux de viande dans de l’eau bouillante et à remuer avec une louche en bois. Elle m’avait aussi proposée un alcool transparent riche en patates, mais ce n’était pas raisonnable. Il me fallait être lucide pour la suite (ne viens pas croire que je ne résiste pas à l’alcool, j’ai déjà bu deux bières sans m’écrouler). Par contre, un regard mal placé, et seules ses flèches s’introduiraient dans ma peau.

Faute de temps, certaines personnes préfèrent manger de la nourriture rapide et mauvaise pour la santé (sens-toi visé, c’est le but !). Comment ce met pouvait-il être qualifié ? Un cerf cuit à l’eau, sans assaisonnement… Et pas entièrement vidé, parce que, selon elle, « les intestins sont tendres et moelleux ». Le premier fluide visqueux s’était échappé du mauvais orifice, à savoir de ma bouche. À ne jamais reproduire à la maison, les enfants.

Quelques rasades d’eau m’avaient remis en forme. La viande était éparpillée partout dans mon assiette tandis que Nagta l’avait engloutie en trois minutes. Une quantité énorme et pourtant insuffisante pour altérer ses abdominaux saillants… Une éructation très poétique s’était échappée de sa bouche alors qu’elle bombait le torse.

— Je suis en forme, maintenant ! avait-elle jubilé. Alors, tu es prêt ?

— Euh…, avais-je hésité avec élégance. On ne brûle pas des étapes ?

— La seule chose qui a brûlé, c’est le cerf. Tes récits de guerre ne me passionneraient pas, et mes récits de chasse non plus. Manger et forniquer sont les premiers plaisirs de la vie, c’est une expérience commune pour la plupart des gens. Je vais voir ce que tu es devenu !

Cette offre ne se refusait pas. Je n’allais pas me débiner si près du but ! Alors je m’étais laissé guidé jusqu’à sa chambre, l’unique pièce un peu fraîche de la maison. Avec son large lit doté d’une couverture à peau de bête, elle profitait bien de ses nuits ! Ne sois pas envieux, tu n’as pas dû dormir sur les vieux lits de camp de l’armée, toi. Sauf si tu es aussi soldat.

Je m’y étais allongé sous un autre sourire étrange de sa part. Je croyais qu’elle admirerait mon corps de rêve (je laisse libre cours à ton imagination), mais elle était trop occupée à se déshabiller devant son miroir tout lisse et tout propre. Être en-dessous ne me dérangeait pas, surtout en apercevant cette silhouette musculeuse déambuler jusqu’à moi, ses mèches rousses maculées de graisse animale.

— Ferme les yeux, avait-elle susurré. J’ai une surprise pour toi…

Que c’était excitant ! Mon épée s’était mise au garde à vous. Les paupières closes, je m’étais ouvert à mes autres sens… Et là, elle s’était emparée de mes poignets, les avait plaqués contre le sommeiller et les avait noués avec une corde. Je t’entends déjà pouffer de rire.

Quand je parlais de nouer des liens avec elle, je ne pensais pas vraiment ça…

— Mais que fais-tu ? m’étais-je affolé. C’est ça, ta vision de l’amour ?

— Si j’étais riche, tu aurais trouvé ça romantique, avait-elle répliqué.

— Quoi ? Pas du tout ! Chacun a ses préférences, c’est juste que… Je n’ai jamais essayé par moi-même.

— Essaie donc, la découverte est la clé du bonheur. Si ça ne te plait pas, je ne vais pas te forcer.

Ainsi avait débuté un combat acharné.

Ma brillante épée était à l’air libre, mais bientôt, l’obscurité s’était abattue sur elle. La voilà à l’ouverture d’une caverne chaude et humide… Elle ne pouvait pas s’y enfoncer davantage, car cette grotte, comme animée d’une volonté propre, la secouait dans tous les sens ! Elle n’avait aucune chance face à un tel adversaire. Ma lame était déjà toute ensanglantée lorsqu’un autre liquide, plus visqueux, s’y était déversé. La pauvre… Coincée dans ce milieu, elle n’avait aucun espoir de s’en sortir. Jusqu’au moment où deux mains salvatrices s’étaient enroulées autour d’elle, y compris sur son tranchant. Ces mêmes mains, arrosées par une lumière monstrueuse, s’étaient avérées féroces. Moi qui pensais que rien ne pouvait émousser cette lame… Grossière erreur ! Les mains l’avaient tordue, torsadée, tortillée ! Loin de ma définition d’un duel à la loyale.

Au moins, Nagta s’était éclatée. Elle avait de la force, mes côtes et mes épaules pouvaient en témoigner. Faisait-elle la différence entre l’animal et l’être humain ? J’en doutais… Je regrettais un peu, même. Avec le recul, ce n’était pas totalement désagréable, mais je ne cherche pas ça en amour.

Oh, je sais ce que tu penses. Le grand Justar Lamot voulait conquérir sa chère amie d’adolescence, et il se lamente maintenant sur son sort ? Que veux-tu… J’ai été vaincu. Une telle prédatrice, tu m’étonnes qu’elle ait choisi de devenir chasseuse. Grand bien lui fasse, j’avais une deuxième chance à saisir.

J’étais immobile et victime, elle était agitée et affamée. Elle s’était endormie à côté de moi, assouvie, et m’avait laissé là, ligoté, rudoyé, comme si j’étais un objet dont elle se servirait le lendemain. Pas question de rester l’instrument de ses fantasmes ! Force, vigueur et endurance m’avaient aidé à me libérer de son terrible joug ! (En vrai j’étais juste parti après avoir partagé un bol de lait avec elle le lendemain matin, mais c’est moins héroïque).

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