Préface 

2 minutes de lecture

Il est des textes qui vous sautent au visage comme des drôles de diables sortis de leur boite. ÉTé94, de Bahia Zouane, est de ces objets volants pas très bien identifiés, mais dont on est certain d’une chose à mesure qu’il nous pénètre : voilà de la littérature. De celle qui dérange, qui démange, qui vous fait écarquiller les yeux et passer par toutes sortes d’émotions. Chocs et attendrissement. Révolte et empathie.

Les rôles sont distribués à la va comme je te pousse. Le père trime pour faire la maison jolie. La mère joue les vamps. Bilkiss l’héroïne, sa grande sœur Nesrine et leur petite frangine Touriya essaient de grandir dans les jupes d’une mère qui a le feu au derrière. La phrase n’y va pas par quatre chemins : « Qui était cette blonde aux lèvres rouges, plus rouges que les roses du jardin, avec un décolleté abyssal et des fesses monumentales dans un pantalon en cuir noir ? C’était bien Maman. » Bahia Zouane donne le la d’une partition où tout fout le camp, où les voisins zyeutent les filles par-dessus les clôtures du jardin, reluquent la mère provocante avec des hanches et des seins énormes. Au collège, Bilkiss vend les BD pornos qu’elle dessine elle-même pour gagner un peu d’argent. Le regard des hommes lui pèse et pourtant, elle aimerait tant être aimée pour de bon.

Une langue âpre, crue, imagée, qui ne cherche pas à arrondir les angles. Des scènes saisies sur le vif dans leur vérité, leur éclat et leur violence parfois, leur tendresse brusquée. Tout cela ne suffirait pas à nous précipiter dans l’univers du roman. C’est qu’il y a autre chose dans Eté 94. Surtout ne pas s’arrêter aux grossièretés qui ne sont jamais vulgaires, à la manière de cette jeune femme d’appeler un chat un chat, ou plutôt un cul un cul, puisqu’il est souvent question d’anatomie dans ce roman puisé au plus authentique des sentiments : l’amour d’un père pour sa fille, d’une fille pour sa mère, d’une mère, bien que fugueuse et en crise tardive d’adolescence, pour sa progéniture qu’elle rabroue et bouscule avec les accents les plus profonds de l’amour.

C’est une voix singulière qui s’exprime dans Eté 94. On ne sait jamais si l’écriture est une arme, une façon de crier, ou une autre façon de dire « je t’aime ». Il y a chez Bahia Zouane l’expression d’une révolte qui va bien à la jeunesse, tempérée par l’affection qu’on porte toujours aux siens. Malgré tout. Il y a l’envie de ne pas se trahir, et quoi de plus traitres que les mots ? Alors la jeune femme y va de sa sincérité, maquille outrageusement ses personnages mais jamais son cœur battant. On est avec elle. Elle reste avec nous. Eté 94 est une saison qui ne passe pas de si tôt.

Eric Fottorino

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