II

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Après avoir quitté la scène de crime, Dylan et Andrew firent un crochet par le commissariat pour prendre une douche. Toutefois, même le citron ne parvint pas à masquer complètement l’odeur que leurs habits, et même leur peau, dégageaient.

Des vêtements propres sur le dos, ils se rejoignirent devant la voiture du capitaine avant de filer à l’hôpital où le mécanicien qui avait découvert les corps avait été emmené.

Ils passèrent par l’accueil pour s’enquérir de la santé du pauvre homme puis se dirigèrent vers le numéro indiqué par l’infirmière.

Arrivé devant le battant, Dylan frappa un coup discret.

Quelques secondes plus tard, un jeune homme d’une trentaine d’années se présenta dans l’encadrement de la porte.

— Oui ?

Drew et Dylan lui présentèrent leur insigne.

— Pardon de vous ennuyer, monsieur. Nous cherchons Monsieur Capelli… nous voudrions lui poser quelques questions s’il n’est pas trop fatigué.

— Allez-y, je vous en prie. Mon père s’est reposé un peu tout à l’heure, mais il est réveillé.

De la main, il balaya l’air devant lui, laissant Drew et Dylan pénétrer dans la chambre plongée dans une semi-obscurité bleutée. Puis il referma le vantail avant de prendre place dans le fauteuil en face du lit.

Dylan parcourut la distance qui la séparait de l’homme alité puis sourit.

— Bonjour, Monsieur. Pardonnez-moi de venir vous ennuyer. J’aurais quelques petites questions à vous poser si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

Le vieil homme releva le visage vers elle.

— Je ne sais pas si je peux vous apprendre quoi que ce soit de plus que ce que j’ai déjà dit à vos collègues, mais je ne peux rien refuser à un si beau sourire.

— Merci beaucoup, Monsieur. Pourriez-vous me dire à quelle heure vous vous êtes rendu à la gare ce matin ?

— Aux environs de huit heures. J’aurais dû y aller plus tard mais je ne tenais plus en place ; j’ai fait mes débuts de mécano sur cette locomotive, voyez-vous.

— Je comprends parfaitement que vous ayez été impatient. J’imagine que je l’aurais également été. Avez-vous repéré quelque chose de suspect sur les lieux avant d’ouvrir la porte menant à la salle de contrôle ?

— Euh… hormis qu’elle n’était pas verrouillée alors qu’elle aurait dû l’être vous voulez dire ?

Dylan hocha la tête.

— Non, rien. Mais il fait sombre là-bas dedans, vous savez. Et ma pauvre torche n’éclaire plus des masses. Ça fait quelques années que je me dis qu’il faudrait que je la jette et que j’achète une de ces Maplite…

Un léger rire fusa de l’autre côté de la pièce.

— Maglite, papa. Avec un « g ».

Le vieil homme fronça les sourcils.

— Tant qu’ça éclaire, ça peut bien s’appeler comme ça veut. Je disais donc que je devrais acheter un des ces jolis joujoux. Mais je tiens trop à ma vieille torche… elle me suit depuis mes débuts.

Les yeux de Dylan se plissèrent de malice.

— Et, quand vous êtes entré, il n’y avait personne dans la pièce ?

— Personne hormis ces pauvres filles, non.

Il s’interrompit un instant avant de reprendre.

— Je suis désolé… je ne vous suis pas d’une grande aide…

— Ne vous en faites pas, Monsieur Capelli. Une dernière question et nous vous laissons vous reposer : y avait-il, à l’époque, quelqu’un d’autre qui travaillait sur les machines avec vous ? Qui aurait, par conséquent, pu avoir accès à la clef.

Le vieil homme se gratta le haut du crâne puis lança :

— Maintenant que vous le dites, oui, il y a bien eu un jeune homme. Enfin, quand je dis jeune, il devait avoir sensiblement le même âge que moi. Il est pas resté longtemps. Dmitri Kassiakov. Ou peut-être Kassirov. Il est parti après s’être blessé à la jambe, après tout juste trois semaines de travail.

— Merci beaucoup, Monsieur Capelli, intervint Andrew en avançant vers le lit et en lui tendant sa carte. Au cas où vous vous souveniez de quelque chose.

Pietro examina le petit rectangle cartonné puis le posa sur la table de nuit.

— Je n’y manquerai pas, souffla-t-il alors que Drew et Dylan atteignaient la porte de la chambre.

De retour dans la voiture, Dylan joignit le secrétariat de la mairie, si ce Dmitri avait travaillé à la gare, ils auraient forcément une trace de lui dans leurs registres.

L’information obtenue, la jeune femme chercha dans la base de données de leur service afin d’obtenir son adresse. Par chance, Kassirov habitait toujours en ville. L’homme à la retraite, ils auraient peut-être la chance de le trouver chez lui.

L’immeuble devant lequel ils arrivèrent était vétuste, pour ne pas dire insalubre. L’ascenseur semblait en panne depuis des lustres et la minuterie de la cage d’escalier fonctionnait par intermittence, dispensant une lumière jaunâtre qui peinait à éclairer les recoins des paliers tagués jusqu’au plafond.

C’est donc presque à l’aveuglette que Drew et Dylan atteignirent le douzième étage.

Arrivé devant l’unique battant de cet étage, Andrew se courba en deux et tenta de reprendre son souffle. Dylan, quant à elle, était à peine essoufflée.

Un sourire goguenard aux lèvres, elle allait apostropher Drew, mais celui-ci, toujours dans sa position initiale, leva l’index devant lui pour l’arrêter.

— Ne t’avise même pas de faire un commentaire.

La jeune femme prit un air étonné.

— Moi ? Je n’oserais pas…

Andrew se releva et lui fit les gros yeux avant de lui sourire.

— Tu as de la chance d’être toi.

Il se tourna ensuite vers la porte avant d’appuyer sur la sonnette.

Ils patientèrent presque deux minutes devant le battant puis il s’ouvrit enfin sur un vieil homme échevelé et maigre comme un clou.

— Monsieur Kassirov ? Pardon de vous déranger, lança Andrew en présentant son badge, ma collègue et moi-même aimerions vous poser quelques questions.

L’homme s’était rapproché du capitaine et le regardait, les sourcils froncés.

— À quel propos ? questionna-t-il avant de bâiller bruyamment.

— Du poste que vous avez occupé à la gare de Waterfall il y a quelques années.

L’homme se gratta la fesse, faisant descendre d’une dizaine de centimètres le jogging trop grand qui lui couvrait le bas du corps.

— La gare… la gare.. Ah oui ! Cette gare-là ! Mais elle est fermée depuis des lustres ! Qu’est-ce que vous venez m’emmerder avec ça ?!

Dylan étouffa un éclat de rire.

— D’accord. Suivez-moi. Et me lâchez pas des yeux, je suis pas sûr que vous puissiez ressortir un jour si vous vous perdez.

Drew et Dylan se regardèrent, haussèrent les épaules, puis suivirent Kassirov dans l’appartement. Les jeunes gens s’aperçurent rapidement que le vieil homme avait probablement raison de les mettre en garde. À l’intérieur régnait un capharnaüm sans nom. À n’en pas douter, ce monsieur souffrait de syllogomanie ; des piles d’objets hétéroclites formaient des murs entre lesquels de petites allées avait été épargnées afin de se frayer un chemin vers les « différentes pièces ».

— Bah alors, vous attendez quoi ? J’vous ai dit de pas me quitter des yeux !

Andrew et Dylan se regardèrent de nouveau puis suivirent leur hôte à travers le dédale de journaux et autres « trésors » accumulés à n’en pas douter depuis des années.

Ils débouchèrent bientôt sur ce qui ressemblait à un salon délimité par d’impressionnantes enfilades de cartons numérotés. Devant un vieil écran cathodique qui semblait ne même pas être branché, l’homme avait rapproché deux canapés dépareillés dont l’un tenait debout grâce à une pile de magazines qui lui servait de quatrième pied.

— Asseyez-vous, j’vais faire du café. J’peux pas réfléchir sans.

Ne souhaitant pas contrarier le vieux Russe, Andrew et Dylan prirent place sur le sofa vert pomme, délaissant celui auquel il manquait un pied, puis attendirent le retour de Kassirov.

Près d’un quart d’heure plus tard, il revint muni d’un plateau sur lequel il avait disposé une antique cafetière rafistolée au chatterton, trois tasses dépareillées et ébréchées, ainsi qu’une boîte en fer blanc qui devait contenir le sucre, ou peut-être des biscuits.

S’asseyant sur le divan au pied manquant, il servit le breuvage brun puis tendit leur tasse à ses invités.

L’appartement avait beau être bordélique au plus haut point, les récipients et les petites cuillers étaient immaculés. De plus, le café dégageait un arôme très agréable.

— J’vous écoute maintenant, lança-t-il en se renversant contre le dossier du canapé.

Cette fois, ce fut Dylan qui s’y colla :

— Depuis combien de temps n’êtes vous pas retourné à la gare de Waterfall ?

L’homme réfléchit tout en sirotant son breuvage brûlant.

— Bah, depuis que j’ai démissionné. Qu’est-ce que je serais allé y foutre ? En plus, après mon accident, j’avais pas trop envie d’y remettre les pieds. J’ai marché pendant presque dix ans avec une canne après ça…

— Désolée de faire remonter ces souvenirs douloureux, Monsieur Kassirov.

Il soupira et agita la main devant lui.

— Avez-vous gardé un double des clef des salles de contrôle ?

À nouveau, il plongea le nez dans sa tasse.

— J’en avais bien un, en effet. Seulement, quand j’ai voulu le rapporter, j’ai jamais pu le retrouver.

Il s’interrompit un instant avant de reprendre :

— Je sais ce que vous vous dites « c’est pas étonnant, vu le bordel qu’il y a chez lui », mais vous seriez surpris. Je connais par cœur chaque pièce de ma collection, je sais également où je les range et à quoi elles servent. Tout est scrupuleusement classé et étiqueté à part les magazines et les journaux vu qu’ils comportent déjà une date.

— Pardon… Monsieur Kassirov, s’excusa Dylan.

— Je peux vous montrer ma collection, mais vous verrez, y a pas celles que vous cherchez. J’ai même dû les payer ces foutus bouts de métal ! Quand je leur ai dit à la mairie qu’on me les avait dérobées, ils les ont retenues sur ma dernière paie, ces requins !

— Avez-vous une idée de qui aurait pu vous les avoir subtilisées ?

— À une époque, quand ma femme et ma fille étaient toujours de ce monde et que mon fils me parlait encore, beaucoup de monde traînait ici. Et beaucoup de gens pas très recommandables, si vous voyez ce que je veux dire. Du coup, n’importe lequel de ces larrons aurait pu faire le coup. Surtout que les clefs ont pas été les seules choses à disparaître.

— Puis-je savoir ce qu’on vous a volé d’autre ?

— Des bricoles, si mes souvenirs sont bons. Quelques bijoux de pacotille qui appartenaient à ma fille, mais qu’on aurait pu croire en or tellement ils étaient bien reproduits, des bibelots sans grande valeur et ma montre à gousset. J’en ai voulu au fils de pute qui m’a volé ça ! J’y tenais… mais bon, c’était qu’un objet.

Il but une nouvelle gorgée de café puis demanda :

— Il s’est passé quequchose là-bas que vous me posez toutes ces questions ?

Dylan attendit l’assentiment d’Andrew pour lui donner quelques détails.

— Nous avons retrouvé des cadavres de femmes que leur assassin a entreposés là après les avoir mutilés.

Le vieil homme soupira puis déglutit.

— Et après, on me demande pourquoi je vis en marge de tout ça… J’espère que vous trouverez celui qui a fait ça. Même si j’aime pas beaucoup les gens, je déteste encore plus qu’on leur fasse du mal.

Dmitri s’avérait presque sympathique sous ses airs d’ours mal léché.

— Merci infiniment, Monsieur Kassirov. Nous allons vous laisser maintenant. Je vous donne ma carte au cas où vous pensiez à quelque chose, déclara Dylan en se levant et en déposant sa tasse vide sur le plateau. Votre café est délicieux !

— Merci pour votre hospitalité, lâcha Andrew en se levant à son tour.

L’homme les reconduisit à la porte et les jeunes gens redescendirent prudemment dans la rue où ils réintégrèrent la voiture d’Andrew.

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