Troisième leçon

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Le surlendemain, j'arrive en cours sûr de moi et vais directement vers Lydia. On discute jusqu'à la salle de classe et on se sépare une fois dedans. En maths, je me concentre à fond ; me faut au moins ça pour réussir médecine.

Je suis plutôt content de moi, au final. On a beaucoup bossé des exercices et dans l'ensemble, j'ai tout réussi en réfléchissant un peu plus que d'habitude.

Quand je sors à dix heures, mes yeux cherchent machinalement une tête brune. Je le trouve nulle part et laisse tomber. Je pars m'asseoir sur notre banc et mange ma pomme.

Quand je relève les yeux sur la cour, je le vois assis en face de moi, sur le banc à côté de l'entrée, comme l'autre matin. Il est penché sur son téléphone, écouteurs dans les oreilles.

— Tu fais quoi, mec ? me demande Harry qui vient d'arriver, et qui me dérange dans mon observation.

Il s'assoit sur le dossier du banc, pieds sur l'assise, un peu plus loin pour pas me gêner avec l'odeur encore récente de sa clope.

— T'es devenu accro à la cigarette après combien de temps ? Je demande. Harry hausse les épaules.

— Je sais pas. Pas très longtemps, j'imagine. J'aurais pas dû commencer, sûrement.

— Ouais. T'es con, je confirme. Mais tu dirais... Genre trois, quatre jours c'est possible ?

— J'ai beaucoup fumé, au début. C'est possible. J'en sais rien, j'ai pas fait d'étude la d'ssus.

— Ouais... Ouais c'est ptet juste le début qui fait ça en fait. (Je réfléchis en hochant la tête, convaincu par ma théorie). Merci mec.

— On se retrouve au self ? Ça va bientôt sonner et faut que j'y aille si je veux une bonne place en physique, il saute sur ses pieds.

— Ouais, nickel. À toute, je lui fais signe et le regarde partir.

Merde, j'ai oublié de lui demander si c'était plus simple d'aller contre l'addiction ou de s'y laisser prendre pour s'en lasser... Mais d'un côté, je connais déjà sa réponse. Lui s'y est laissé prendre, et ça ne l'a jamais laissé...

La cloche sonne et chacun ronchonne autour de moi. Un gros troupeau se dirige vers la porte du bâtiment et s'y engouffre petit à petit. Je suis le pas en levant les yeux au ciel. Bande de moutons qu'on est, putain.

La deuxième sonnerie retentit alors que je navigue encore dans le couloir. Fait chier, je vais être en retard. Quand je réalise que j'ai anglais avec Mme Spencer, je finis par courir comme si ma vie en dépendait. Cette connasse est en retard aussi mais presse le pas quand elle me voit arriver.

— Vous êtes en retard, Monsieur Cannaghan. Vous savez ce que ça signifie. À dans une heure, elle siffle de sa voix insupportable avant de claquer la porte devant moi. Bordel.

Je réfléchis rapidement. Peut-être que Lydia a pas cours à cette période. Je sors sur la cafet' mais je connais aucun des gars qui y sont attablés. Je décide finalement d'aller à la biblio. Je vais bosser ma chimie.

Je passe l'heure là-bas, à m'arracher les cheveux sur les réactions acido-basique, les tableaux et tout leur bordel. À chaque fois que je sens que j'avance, j'ai aussi l'impression de bien plus reculer.

Putain, j'en ai marre. Je claque mon livre et me dirige finalement vers le cours quand ça sonne, je récupère mon devoir sous les yeux hypocrites de cette salope de prof, et je repars pour mon cours de français. La journée se passe comme ça : merdique. Merdique du début à la fin, et je suis de mauvaise humeur, je regarde mon portable toutes les deux minutes, j'en ai plein le cul.

Le lundi, c'est ma pire journée. Je commence assez tôt, je finis carrément tard.

A dix-huit heures, je sors enfin du lycée, exténué. Vivement la fin, plus que quelques mois avant les trucs vraiment intéressants bordel. Comme aux pauses, chacun se presse par les sorties du lycée, créant quelques bousculades. J'en ai marre, je suis de mauvaise humeur.

Il avait dit à lundi putain !

Je cherche discrètement dans la foule, mais aucun petit brun semble présent.

Il me saoule ! Je rentre chez moi et recommence mon manège jusqu'au lendemain. Et c'est comme ça jusqu'à jeudi ; je croise jamais ce putain de gosse, et les rares fois où c'est le cas, il disparaît aussi vite sans même me voir. Et ses leçons alors ?! Il m'a même pas écrit sur l'appli..

Finalement, alors que je sors d'un cours pour aller manger à midi, j'entends quelqu'un inspirer et une main se poser sur mon poignet. Je me tourne et m'éloigne du flot d'élèves d'un pas, pour découvrir Thomas en face de moi, les yeux posés sur mon visage.

— Oh, t'existes encore ? Je demande avec sarcasme.

Il rougit aussitôt, baisse la tête et repart sûrement d'où il vient, loin de moi.

— Attends ! À mon tour d'aller l'attraper par le poignet et de le tirer un peu. Il relève lentement le regard sur moi, hésitant.

— C'est bon, excuse-moi. Je me demandais où t'étais passé. T'as pas donné de nouvelles.

— J'étais pas sûr que tu en voulais... Il triture ses doigts.

— Pourquoi ? Je fronce les sourcils. J'ai dit un truc qu'il fallait pas ? Chez toi.

— T'es parti vite sans rien dire alors... Je sais pas trop. J'avais l'impression que tu tirais un peu la gueule...

— Nan. Je voulais juste pas rencontrer ta mère et répondre à toutes ses questions un samedi matin. T'aurais pu demander. Tu m'as dit à lundi avant que l'ascenseur descende. J'ai entendu, je bougonne. Le coin de sa lèvre remonte un peu et je vois ses yeux sourire.

— Tu m'as rien répondu. Je savais pas, il s'approche rapidement et pose un baiser sur ma joue.

Je reste deux secondes sonné, comme surpris par sa marque d'affection. Ah, ouais, juste. Sois pas surpris Will, c'est toi qui lui as dit de s'entraîner sur toi.

— La porte s'était déjà fermée, je justifie. Mais j'attends depuis lundi quand même... Il penche la tête sur le côté, ses yeux verts plongés dans les miens.

— Qu'est-ce que tu attends ?

— Quoi ? Rien. Juste, bah seulement que tu me dises bonjour... Je grommelle en détournant le regard.

J'attends rien. J'attends quoi ? Pourquoi j'attends ? Cette histoire d'ignorer l'addiction ça marche pas, c'est encore pire.

— Alors... Bonjour ! Il me lance un air joyeux et je vois qu'il n'y a plus personne dans le couloir.

— Bonjour... Je marmonne aussi.

Ça me ressemble pas. Je le regarde sans rien dire.

— Donc... On se reverra plus tard ? il semble hésiter en me détaillant.

— Euh, ouais. Pourquoi ?

— Enfin, si tu veux. T'avais l'air de me chercher alors...

— Ouais, je veux dire, pourquoi plus tard ? T'as un truc à faire là ?

Ta gueule Will, putain de psychopathe.

— Je vais aller manger, il sourit et se déplace de quelques pas derrière moi pour atterrir à son casier.

— Ouais, bien sûr, c'est logique. Tu manges avec qui ? Il l'ouvre et attrape un gros livre de physique.

— Chez moi.

— Ah. Bien sûr. Ok. On se voit après alors ?

J'ai jamais été aussi maladroit dans une conversation. J'ai l'impression de me ridiculiser et de me décrédibiliser toutes les deux secondes. Heureusement que personne est là pour voir ça. Sauf lui.

— Oui si tu veux. Je serai là.

Il prend encore un cahier et le fourre dans son sac, puis referme la porte du casier qui claque contre le fer.

— Ok. Tant mieux. On fait comme ça alors, je marmonne avant de me retourner et marcher comme un robot jusqu'à la cafétéria.

Là-bas, j'attrape toutes mes affaires et me dirige à la table qu'occupent habituellement mes amis. Je m'assois dans un soupir, sors mon repas de mon sac et commence à manger avec entrain, prenant mes médocs en même temps.

— C'est encore pas le jour de Will, ricane Lydia de l'autre côté de la table.

Je vois Harry et Kyle acquiescer.

— La ferme. Je grogne. Votre fin de soirée vendredi ? Vous avez pécho ?

— Enfin le grand Will s'intéresse à nous ! Tu sais que ça fait presque une semaine ? Mauvais pote va ! ça, c'est Lydia.

On s'est vus avant, pourtant, ça c'est Harry.

De son côté, Kyle grogne juste. Lydia se décide ensuite à répondre en voyant mon air.

— Personne, elle répond pour tous.

— Rude, je me marre. Je vous apprendrai un jour.

— Comme si toi tu l'avais fait ! T'es parti super tôt, du con !

— Ouais, mais moi c'est parce que j'avais pas envie, pas parce que j'y suis pas arrivé, je me moque en lui tirant la langue.

— Peut-être que nous aussi, elle se remet à me sourire, guillerette.

— Harry, c'est clair que c'est parce qu'il a pas réussi, je me fous de lui. Kyle a d'yeux que pour moi alors il a sûrement pas cherché, je parie que t'es parti juste après moi. Et toi Lydia... Qu'est-ce qui expliquerait qu'une croqueuse d'hommes comme toi soit repartie les mains vides, mh ?

Ouais, je suis pas connu pour ma délicatesse.

— J'avais envie de danser, elle explique avant d'enfourner son cookie.

— Et je suis resté, grogne Kyle.

— Même pas drôle, je boude en mangeant ma salade de pomme de terre.

Mes amis rient à côté et le reste du repas se déroule comme ça. Quand on a fini, on sort de la cafet pour aller se poser dehors.

Maintenant que j'y pense, j'ai pas dit quand après à mon petit brun, et je finis à quatorze heures.

Lydia nous entraîne vers l'herbe alors que je réfléchis et tout le monde s'y couche. Y a pas mal de soleil aujourd'hui.

Je pose ma tête sur les genoux de la belle, mes jambes sur celles de Kyle, lui-même à moitié appuyé contre Harry. Je regarde le ciel, j'aime le bleu, couleur de la liberté. Lydia soupire et je la sens remonter son tee-shirt.

— On est bien là...

— Ouais. Ça donne pas envie de s'enfermer dans une salle de classe...

— C'est bientôt l'heure, pourtant. Tu reprends à 13, non ? demande Harry en passant ses mains derrière sa tête.

— Ouais, pour une heure d'histoire... Tout ce que j'aime, je soupire en levant la tête pour chercher Thomas des yeux. Les premiers élèves commencent à passer le portail. Pas beaucoup, peu reprennent à treize heures au lycée.

Je me lève en époussetant mon jean, déprimé.

— C'est reparti... Profitez de vos quarante-cinq minutes supp les gars.

Ils hochent tous la tête en me faisant un signe de main, et je pars pour mon dernier cours assommant, et sans avoir vu ma petite proie en plus. En sortant, je me dis que j'en ai ma claque de la mondialisation. On fait ça tous les ans, bordel !

Mon sac sur l'épaule, je traîne dans le lycée sans trop savoir pourquoi. Une flopée d'élèves arrivent pour rentrer dans leur cours. Lorsque la cloche sonne une première fois, une main saisit mon coude depuis l'arrière, et je souris en reconnaissant déjà cette poigne devenue familière, à la fois timide et déterminée.

— Hé. On se voit tout à l'heure ? me dit Thomas lorsque je me tourne vers lui.

— Ouais, quand ?

— Je finis à seize heures. Et toi ? On peut se voir à la pause !

— Ok. On se voit à seize heures, je lui souris. Aucune envie qu'il sache que je fais ça juste pour lui.

— Ça marche. Tu seras en quoi ? Je peux te rejoindre à ta salle, ma prof nous laisse sortir avant. J'irai une heure à la bibliothèque, après.

— On a qu'à se trouver là-bas, je souris.

— Si tu veux.

— Ok. Vas-y avant que ça sonne et de te retrouver en retard, je tapote sa tête avec un dernier signe avant de partir de mon côté.

Je vais directement à la biblio et me plonge dans mes bouquins, commençant déjà à préparer médecine. Je sais qu'une heure est passée lorsque la cloche retentit, moi le nez dans mes livres. Je m'arrête pas pour autant, j'ai encore un moment, alors j'attends Thomas en continuant mon travail. Je me lève plusieurs fois pour chercher d'autres livres plus utiles, jusqu'à ce que quelques élèves arrivent et s'installent pas loin. Ils parlent et ça me dérange. Je lève les yeux au ciel, enfonce mes écouteurs dans mes oreilles, musique à fond, et continue de réviser.

Après un moment et alors que j'essaye de comprendre un schéma, une masse s'appuie sur mes épaules et mon dos. Surpris, je tourne la tête pour voir qui s'étale sur moi et tombe nez à nez, littéralement, sur Thomas, le visage posé sur mon épaule.

Je ris et embrasse sa joue, amusé. Je retire mes écouteurs et coupe ma musique. J'avais pas vu le temps passer.

— Ça va ?

— Ça va. J'ai pas pu entendre ce que t'écoutais, il dit sans se bouger de moi.

Je plante l'écouteur dans son oreille et remet la musique. C'est Wish you were here, de Avril Lavigne. Il le réajuste et écoute un moment avant de s'éloigner pour s'asseoir sur le pan de la table à ma droite, l'écouteur toujours dans l'oreille.

— Mathias voulait venir ici aussi, je lui ai dit qu'il pouvait. Tu restes l'heure entière ?

— C'est qui Mathias ?

— Un gars en sport avec moi.

Je grimace et reprend mon bouquin. Il me saoule, je voulais être seul avec lui. Et j'en ai rien à foutre d'être seul avec lui toute façon. Je fronce les sourcils.

— Alors ? Tu restes l'heure entière ?

— Ouais.

Comme si j'allais le laisser tout seul avec ce mec. Il hoche la tête et sort une feuille et son trieur. Il prend son stylo, je le vois du coin de l'œil, puis se penche vers moi.

— Tu fais quoi ? Il demande.

— Je révise.

Il se penche encore un peu plus.

— Mais quoi ?

— Le concours d'entrée en école de médecine.

Il siffle bas à côté de moi.

— Bonne chance, il dit avant de s'éloigner à nouveau.

— Ouais. J'ai quand même une petite chance... Je soupire. Et toi tu vas bosser quoi ?

— Philo. Explication de texte.

— Courage, je baisse les yeux.

Je m'attendais pas à passer une après-midi comme ça ce matin... Après quelques minutes, je vois qu'il passe bien plus de temps sur son téléphone que sur sa feuille. Son texte est quand même sorti et tout surligné, c'est de Pascal.

— Tu fais quoi ? Je demande, suspicieux. Il tourne la tête vers moi, surpris.

— Je te dérange ?

— Non... Juste... Non, rien, continue, il me regarde étrangement, puis range son téléphone dans son sac à terre avec un sourire pour moi.

— Ta semaine... Ça s'est bien passé ? Je demande.

— Ça va. Ils commencent à me laisser tranquille. Y en a un ou deux qui ont voulu me faire chier en sport mais ça va, Mathias a été super gentil, il me sourit comme pour me rassurer.

— Il est pas là d'ailleurs... (Et c'est tant mieux). Dis-moi qui t'emmerde, j'irai leur dire deux mots.

— Ça va. J'ai pas vraiment d'emmerdes, il me sourit et change de stylo. Je parlais avec lui, il va pas venir au final.

— Ah. Pourquoi ?

— Autre chose à faire.

— Dommage... (.... Tant mieux. Je souris en coin quand il me regarde pas). Et, du coup, alors... Après ta philo t'as un truc à faire ? Il secoue la tête. Tu veux aller boire un café ?

— Non.

— Ok... Je me mords la lèvre et reprends ma lecture.

J'ai pas l'habitude de me prendre des vents comme ça.

— Tu veux aller boire un café ? C'est moi qui drague, pas toi, il sourit en coin. Mon sourire revient, plus grand.

— Puisque tu prenais du temps, je me suis dit que je devrais peut-être te montrer, il rit et tape mon bras.

— Allez, travaille. J'ai envie d'un café.

— Alors... Tu es du genre de celui qui fait dépenser l'autre quand il se fait draguer ? sourit Thomas en écrivant les premiers mots sur sa feuille.

— C'est la moindre des choses après m'avoir fait attendre presque une semaine, tu crois pas ? Je ris.

— Tu attends un café depuis une semaine ? Tu aurais pu l'avoir en restant chez moi, tu sais, il raille.

— C'est plus sympa si tu m'y invites, je hausse les épaules, amusé.

— Je t'ai invité chez moi, il réarrange ses papiers pour souligner autre chose sur son texte et écrire quelque chose dans la marge.

— Je me suis invité chez toi.

— Et vraiment pas sobre.

— Ouais... (Je rougis. Ça m'arrive jamais. C'est vrai que c'est franchement la honte). J'aurais pas dû.

— T'as pas passé un bon moment ?

— Si. Pour ce que je m'en souviens. Mais je suis pas non plus à ce point d'habitude. Je veux dire, je viens pas chez des gens que je connais à peine, surtout s'ils ont des invités...

Il hoche la tête, le regard sur sa feuille, et moi je dis plus rien, l'observant se concentrer, avec l'envie de replacer cette mèche qui lui tombe devant les yeux.

On passe le reste de l'heure ainsi, et lorsque ça sonne, il est encore en train d'écrire, et moi encore en train de le regarder.

— Je finis juste ça, j'en ai pas pour longtemps, il m'avertit sans arrêter d'écrire.

— Pas de problème.

Ça me laisse encore un peu de temps pour m'habituer à te voir concentré.

Après seulement dix minutes, il ramasse tout, et je fais la même chose.

— Où tu veux aller ? Il demande.

— Ton rendez-vous. Toi qui m'emmènes quelque part.

Dix minutes plus tard, on est en terrasse, au soleil, un café et un diabolo grenadine devant nous.

— Tu te souviens vraiment pas de toute la soirée ? Enfin, la nuit ? me dit Thomas en touchant ses doigts.

— Pas trop. Je sais qu'il y avait ton pote et qu'on a gonflé un matelas. (Il hoche lentement la tête). Je, j'ai fait un truc ? Je suis doucement pris d'un doute.

— Non, non du tout, il sourit et amène sa paille à sa bouche.

— Ok... Pendant un moment j'ai cru, je me suis dit que c'était peut-être à cause de ça que tu voulais plus me voir. Que j'ai dépassé les bornes. C'est mon truc quand j'ai trop bu alors... Je soupire en grattant l'arrière de mon crâne.

— Pas du tout, il répète avant de mettre un glaçon dans sa bouche.

— Ok... Je dis, rassuré, en regardant ses lèvres.

— C'était la mère de Méphisto, le matin, au fait. Pas la mienne, il dit, la joue grosse du glaçon.

— Oh. Vous aviez l'air inquiet alors j'ai préféré partir.

Il sourit et avale la glace.

— Ouais, bien sûr.

— C'était pas contre toi. C'était cool de me laisser dormir, alors que je me suis incrusté. Cool aussi de la part de ton pote de partager le lit.

Il acquiesce et se penche pour sortir des lunettes de soleil de son sac. Il les pose sur son nez.

— Allez, je lui dis.

— Allez ? Il boit à nouveau par la paille.

— Fais ta leçon.

Il rougit sous ses grands verres de lunettes teintées.

— Le café n'a pas marché ?

— Pas tout seul, je souris en coin en remuant ma cuillère. Thomas sourit tout doucement.

— Que faut-il d'autre ?

— Trouve la recette.

Il fronce les sourcils et semble chercher un moment sans plus rien dire, et je continue de le regarder, amusé.

— Allez, dis-moi.

— Comment tu ferais avec une fille ?

— Tu n'es pas une fille, il rit. Je sais pas, ça se fait naturellement.

— Le regard. Le toucher.

Je pose ma main à plat sur la table. Je le vois lever un sourcil sous ses lunettes. Il les fait descendre sur son nez pour me regarder de ses yeux directement, puis pose sa main sur la mienne en en caressant le dos du bout des doigts ; puis il éclate de rire.

— Eh ! C'était bien parti ! Je me lamente. T'espères choper comme ça ?

— C'est tellement gros ! il rit encore et s'éloigne pour reposer son dos dans son dossier. Il remonte ses lunettes et attrape son verre pour boire.

— Les gays on est comme ça. On aime quand c'est direct. Quand c'est clair et quand les signes sont évidents. Il roule les yeux sous ses lunettes, mais je le vois à peine. Ok, tu trouves loufoque d'essayer sur moi, pas de problème. Tu vois le type là-bas ? (Je lui montre un mec pas trop mal, environ vingt ans, assis seul à une table). Sûr qu'il est gay. Va le draguer.

Il me fixe un moment, pose sa limonade et se lève. Il marche jusqu'à là-bas puis je le vois désigner la chaise en face du mec et s'y asseoir. Ils parlent. Je continue d'observer, attentif. Il y reste un moment, et finalement je commence à en avoir marre, tapant du pied. Putain, il fait chier ce morveux. Il revient ensuite, tout joyeux, et se rassoit.

— Alors ? Je grogne, mécontent.

— Il l'était.

— Je sais. T'as son numéro ? (Il hoche la tête). Il t'a dit quoi ?

— De l'appeler, il hausse les épaules et prend son verre pour finir sa boisson. On y va ?

— Y a que moi que c'est drôle de draguer ? Je boude en me levant.

— Je l'ai pas dragué. Je lui ai demandé s'il l'était, il l'était, et je lui demandais s'il aimait être dragué lourdement. Il s'avère que non, et j'ai demandé son numéro parce que j'étais sûr que tu me le demanderais. Il était super sympa.

Il attrape son sac et le met sur son épaule avant de déposer l'argent sur la table.

— J'ai pas dit lourd j'ai dit direct, je siffle. Laisse tomber... T'as le droit de pas avoir envie de passer par là, toute façon t'as l'air de très bien te débrouiller sans moi.

Il sourit de toutes ses dents et réajuste ses lunettes, et moi j'accélère un peu le pas, vexé. Il a même pas envie de jouer le jeu, il trouve ça drôle, il... Il m'énerve. Il me voit vraiment pas comme... Comme une cible potentielle quoi. Bordel. Je l'entends marcher derrière moi sans se presser.

— Où tu vas ? fait sa voix après quelques secondes.

— Je sais pas. Chez moi si t'as rien de mieux à proposer.

— Tu, tu voudrais rester avec moi ?

— C'est une question ou une invitation ? Je m'arrête en haussant un sourcil, me retournant vers lui.

— Une question, à la base. Une invitation, si je suis en train de te draguer, il dit en rougissant, le regard tombant à terre.

— Et t'es en train de me draguer ou pas ? Je redresse son menton de force pour qu'il me regarde.

— Peut-être.

— On ferait quoi ? Tu me proposerais quoi ? Je souffle. Il hausse les épaules en fixant mes yeux.

— Je suis encore nouveau pour te draguer, il rit un peu.

— Tu te débrouilles pas trop mal, e lui souris doucement, rassurant. Sa bouche s'étire et il me fait voir ses dents.

— Alors, tu veux faire quelque chose ?

— Ouais. Il est dix-huit heures. Un ciné ça me dirait bien, j'annonce.

Ses yeux se lèvent au ciel et il commence à marcher vers ma gauche en riant.

— C'est ce que je disais. Un mec qui veut être dragué en faisant dépenser à l'autre, il dit ça joyeusement, sans reproche et sans méchanceté. Quand je commence à le rejoindre, il s'est déjà éloigné de quelques mètres.

— Eh ! Je peux payer moi ! Je ris en le rattrapant.

— Mais c'est moi qui invite, il dit en sortant son téléphone. Tu as un truc précis en tête ?

— Je te laisse choisir.

— Rien pour me faciliter la tâche, hein ?

— J'ai choisi le ciné ! Je rappelle en passant un bras sur ses épaules alors qu'on se dirige vers le plus proche, à dix minutes à pied. Il se colle un peu à moi pour pouvoir marcher normalement, le nez sur son téléphone. Il râle.

— J'arrive pas à charger les séances.

Je le fais venir contre moi d'un coup.

— Regarde où tu vas, je souris doucement.

Il aurait pu marcher sur une merde de chien si j'avais pas été là. Je suis un héros.

— Merci.

— Tu trouves ? Je penche la tête sur son téléphone. (Vache, on est super proches).

— Non, ça marche pas je comprends pas, il grogne.

— Je m'en occupe, je sors mon téléphone rapidement et teste le site internet qui a surtout l'air bloqué. On va voir sur place... Qu'importe le film, je m'en fous. Enfin je veux dire, ils sont tous bien.

Thomas hoche la tête et me sourit rapidement avant de ranger son engin. On arrive finalement devant le cinéma, et on regarde un peu ce qui est à l'affiche. D'un commun accord, on choisit Les Avengers et on s'avance au guichet, auquel Thomas paye pour nous deux, malgré mes protestations sous le sourire de la caissière.

— T'as pas fini un peu ? râle le gamin lorsqu'on est à l'intérieur en cherchant la salle. Je t'invite j'ai dit, alors arrête de vouloir payer, il met un coup dans mes côtes.

— Aïe ! Hyde le retour !

— Avance, idiot, il grommelle, le sourire aux lèvres malgré tout.

Je me marre aussi, il est adorable. Enfin comme d'hab. pas adorable. Juste j'adore comme il est. Enfin j'aime bien quoi. C'est cool. On prend nos places tout au fond, dans un de ces fauteuils double places hyper confortables.

Il s'étale tout de suite, à moitié couché dedans, une jambe relevée vers lui, et je fais pareil, trouvant la place pour mes longues jambes. Les pubs commencent et je peux pas m'empêcher d'en commenter la moindre, parlant de ceux que je veux voir ou de ceux qui ont l'air trop nuls.

Thomas est amusé par mon manège à mes côtés, et en général, il approuve mes goûts.

— On ira les voir ensemble, je dis en continuant de regarder l'écran.

— Si tu veux, oui.

Il bouge un peu et finit les deux pieds sur le siège, les genoux relevés et écartés pour regarder entre.

J'ai un certain nombre de pensées vraiment perverses qui me traversent l'esprit, aussi je garde mes yeux plantés sur les bande-annonces.

— Qui tu préfères ? me demande Thomas lorsque les lumières reviennent avant le lancement du film.

— Qui ? Ah, ouais, le film. Ouais. J'aime bien Stark.

Un sourire en coin prend place sur son visage tourné vers moi.

— Comme tout le monde.

— Tu sous-entends que je suis comme tout le monde ? Je me marre. J'aime bien le fait qu'il se foute de ce que peuvent penser les autres, qu'il fasse que ce qu'il veut.

Il hoche la tête en me souriant toujours bêtement.

— D'accord, ses yeux sont remontés et sa fossette s'est creusée.

— Comme tout le monde, ouais, je grommelle en croisant les bras.

— Boude pas.

— Je boude pas. Et toi alors ? Il hausse les épaules et sourit encore plus, si c'est possible.

— Stark.

Je me marre.

— Petit con, je lui envoie un coup d'épaule. Il rit et se masse énergiquement là où on s'est cognés. Prêt pour la troisième leçon ?

— Quoi, j'ai déjà fini de te draguer ?!

— T'en finiras jamais avec celle-là. Tu vas continuer encore et encore jusqu'à ce que ta drague soit parfaite et que j'aie fini ton éducation homo, il lève les yeux au ciel mais acquiesce.

— Pour les autres leçons, t'es un peu obligé de continuer dans la drague de toute façon, je hausse les épaules. Je vais te montrer tous les stades d'une relation.

— Et ça va m'aider à avoir confiance et... m'assumer ?

— Ouais. Parce qu'après tu le feras sur quelqu'un d'autre à chaque fois.

Il hoche lentement la tête et les lumières vacillent.

— C'était le deal. T'es plus pour ?

— Si, si.

— Alors viens dans mes bras, j'écarte un peu plus les jambes.

— Euh, comment ? il se lève en poussant sur ses mains et me regarde d'en haut.

— Entre mes jambes. Viens là.

Je tapote le milieu en me mettant un peu plus de côté. Il s'assoit sur le petit espace et abaisse son dos contre mon torse, je referme mes bras autour de lui et pose ma tête sur son épaule.

— C'est ça, la leçon ? On l'a déjà passée dans mon lit, non ? il dit en se dandinant pour être mieux installé. Ses jambes viennent se poser sur le siège de biais.

— Dans ton lit ?

— Oui, chez moi. On a déjà dormi comme ça, un peu, non ?

— Ah. Je sais pas trop. Sûrement. Je suis assez tactile quand je dors.

— Tu dormais pas, il rit et les lumières s'éteignent définitivement.

— Sérieux ? Je me marre. C'était sûrement par réflexe... Je le serre plus fort.

Son corps remonte un peu et sa tête se pose à nouveau sur mon épaule, le visage tourné pour regarder le film qui semble commencer.

— C'est la leçon. On enlace pas un homme de la même manière qu'on enlace une femme, je chuchote à son oreille avant d'embrasser sa joue.

— Ah oui ? C'est quoi, la différence ?

— Une fille t'a déjà prise dans ses bras comme ça ?

— Ben... Non, non mais là si c'était toi la fille, et que j'étais à ta place, je l'aurais enlacée comme je t'aurais enlacé, il dit en tournant un peu la tête pour me regarder, éloigné.

— La différence c'est qu'avec un homme... T'es... Mince et mignon. Ça donne envie de prendre soin de toi. Ce sera toi la fille.

— Oui. Oui, d'accord, il se retourne et regarde à nouveau l'écran animé.

Je fais pareil. Parfois, pendant le film, je change légèrement de position, ou je cherche sa main pour la caresser. Il se laisse faire. Sauf une fois où il s'est dégagé pour répondre à un message de Méphisto, ce qui m'a fait lever les yeux au ciel et l'embrasser aussi vite dans le cou.

Depuis, il est un peu penché vers l'extérieur, comme pour me donner un accès, sûrement sans faire exprès. On s'extasie comme toute la salle lorsque Stark fait des trucs incroyables, et son corps bouge un peu alors qu'il rit juste après, ce qui me fait sourire et soupirer d'aise. J'aime bien le sentir réagir contre moi, vibrer, s'extasier, s'énerver, ressentir au fil des scènes. J'ai pas envie que ça s'arrête.

Pourtant, tout le monde commence à comprendre que le film est bientôt fini lorsque les Avengers gagnent du terrain, et ça me donne juste envie de courir voir un autre film pour l'avoir encore deux heures contre moi. Je sais qu'il s'en fout et qu'il voit pas où ça le mène, tout ça. Mais moi... Je commence peut-être à m'attacher à ce gamin. Juste un peu.

— Eh, tu me serres un peu fort, il me fait remarquer en caressant ma main sur son ventre.

— Oh. Ouais. Pardon.

Je continuerais rien que pour qu'il me lâche pas. Mais je desserre mon étreinte quand même. Ses doigts continuent de jouer avec le dos de ma main alors que ses yeux brillent devant la fin du film, et je me sens soulagé par ce petit geste. Enfin, soulagé, c'est un grand mot, juste, juste... Ça fait du bien.

Bientôt, le générique s'affiche sur le grand écran, les gens se lèvent déjà. J'ai pas envie, bordel. Mais je veux pas passer pour un psychopathe. Je le libère, détachant mes bras de son ventre lentement. Sa tête tourne vers moi.

— T'as aimé ? il demande, sourire aux lèvres. C'était bien, ton câlin.

Je souris sans rien dire pendant quelques secondes.

— Ouais. C'était bien.

Il se replace contre moi, regardant l'écran où défile tout le casting.

— Il va falloir y aller.

— Ouais... Je murmure en reposant ma tête sur son épaule.

— C'est dommage, on était bien là. La lumière va nous niquer les yeux.

— Ouais. C'est dommage, je confirme en hochant un peu la tête contre lui.

Il sort son téléphone et met tout de suite une faible luminosité.

— Il est déjà vingt heures quarante-sept. Faut y aller, il tape sur mes genoux et s'en sert pour se relever, je le rattrape pour le faire retomber sur moi.

Il est léger. J'embrasse de nouveau son cou lentement, profitant des lumières encore éteintes. Je le sens tout de suite frissonner et ses mains se referment sur ma cuisse et mon genou, ce qui me fait sourire. Je continue et appose ma langue sur sa peau. Elle est chaude, elle a bon goût. Je sens sa respiration se couper une seconde, puis reprendre calmement. Sa main sur mon genou se met à le câliner et l'autre ne bouge pas. Ça me rend dingue. Il est tellement réceptif. Ça me donne envie d'essayer tout un tas de trucs. Prends ton temps, Will... Va pas lui faire peur. Apprivoise-le.

Les lumières se rallument lentement, crescendo , et je le lâche aussitôt. Je le repousse lentement pour lui permettre de se relever, et quand je suis sûr qu'il tient sur ses jambes, je me lève aussi.

— On y va, je commence à avancer, assez lentement pour savoir qu'il me suit.

Derrière, il attrape son sac et me suit tranquillement. On suit les dernières personnes qui s'en vont jusqu'à la sortie de secours, celle qui donne sur la rue derrière le cinéma. Une fois là, on s'habitue à la lumière lentement, je plisse encore les yeux et lui aussi.

— C'était cool. Merci d'avoir payé.

Sa tête bouge de haut en bas en souriant.

— Normal. C'était mon rendez-vous !

Je souris encore.

— On se voit demain en cours !

— Oui.

— Ok. Salut, je lui fais un dernier signe avant de me détourner et prendre le chemin vers le centre commercial.

Je dois manger et vite, j'ai pas le droit de prendre trop de temps pour mes médicaments. J'y arrive rapidement, je crois même que j'ai un peu couru, et je m'achète un sandwich rapidement et une bouteille d'eau. Je commence à mâcher, puis je prends mes pilules. Rassuré, je me détends et m'assois sur un banc. Une heure de retard, c'est bon.

À cette heure, y a plus vraiment beaucoup de monde, si ce n'est dans les resto du centre.

Je recommence à marcher jusque chez moi tranquillement, et quand j'arrive ma mère me tape un scandale, forcément. Je la rassure rapidement, embrasse sa joue, et elle me demande ce que j'ai avec un petit sourire en coin. Je marmonne qu'il y a rien du tout et que je vais me coucher, je suis crevé.

— T'es sûr que t'as bien mangé, Will ? elle lance tout de même derrière ma porte.

— Ouais, j'ai bien mangé. Merci m'man, j'enlève mes fringues, me regarde dans la glace, toujours aussi surpris par ce que je vois, et je me couche. Demain est un autre jour.

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