59 - Lucy/Logan

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Lucy

Hier, Nanny m'a accueillie les bras ouverts. Elle n'a posé aucune question, elle s'est juste montrée présente sans être intrusive. J'ai pleuré pendant un long moment dans ses bras, puis elle a fait en sorte de me changer les idées. Ça a commencé par la préparation de burritos pour le déjeuner. Dès qu'elle me voyait flancher, elle me secouait en m'ordonnant de couper les légumes ou de lui passer le sel et le poivre. Une fois le repas prêt, on s'est installé à table, on a parlé de mes futures études, des universités que j'avais sélectionné. J'ai vu son regard briller de fierté. Ça m'a donné un coup de fouet pour me battre contre mes idées noires. Nous avons ensuite passé l'après-midi en compagnie de ses chevaux. M'occuper des équidés m'a permis de me tenir très loin de ces salopards et de laisser mon cœur brisé à Albuquerque.

Le plus difficile a été cette nuit quand je me suis retrouvée seule. J'ai dû lutter pour ne pas me laisser envahir par mes démons et mon immense chagrin. Quand ces monstres ne se faufilaient pas derrière mes paupières closes, c'est le regard rempli de douleur de Logan qui s'y invitait. J'ai encore pleuré des heures et des heures, sans oser aller déranger ma grand-mère dans son sommeil. Épuisée d'avoir trop versé de larmes, j'ai fini par m'endormir à la lueur du jour.

Quelques coups contre la porte me tirent de mon sommeil. Je grogne, avant d'inviter Nanny à entrer. Les mains chargées d'un plateau, elle s'avance vers moi. Un sourire s'esquisse sur mes lèvres en découvrant ce qu'elle y a déposé : un café et deux muffins aux myrtilles. Je me souviens qu'elle m'en préparait toujours lorsque je passais quelques jours de vacances chez elle, enfant. Elle n'a pas oublié. Je me redresse tandis qu'elle s'installe à côté de moi sur le bord du lit. Elle garde le silence plusieurs minutes alors que j'avale avec délice ces délicieuses pâtisseries.

— Cro bon, déclaré-je la bouche pleine.

Un doux sourire illumine son visage.

— Comment s'est passé ta nuit ? finit-elle par me demander après avoir laissé passer un ange.

Elle plisse les yeux afin d'étudier ma réaction. Je hausse les épaules, que puis-je lui dire ? Je n'ai pas envie de la chagriner en lui racontant l'enfer que j'ai vécu et qui m'a maintenu éveillé toute la nuit.

— Ton fiancé a appelé, relance-t-elle.

Entendre ce terme pour désigner le mec que j'aime m'arrache une larme. Je la chasse aussitôt avec rage. Je n'ai pas le droit de pleurer pour lui, c'est ma décision et je dois m'y tenir.

— Qu'est-ce qu'il voulait ?

— Il était inquiet, il voulait savoir comment tu allais.

— Qu'est-ce que tu lui as répondu ?

Le regard qu'elle me lance n'augure rien de bon. Faites qu'elle ne l'ait pas invité.

— De venir vérifier par lui-même. Je lui ai proposé de venir passer l'après-midi avec nous.

— Non !

Ma réponse un peu trop sèche la fait sursauter, puis froncer les sourcils.

— Je refuse de le voir, ajouté-je plus calmement.

Elle attrape mon plateau et le dépose à même le sol. Je grogne de frustration comme je n'ai pas terminé, mais finis par accepter quand je comprends qu'elle veut juste me prendre dans ses bras.

— Hier, tu es arrivée en larmes chez moi, mais je me suis dit que je devais te laisser du temps pour que tu me parles. Tu étais déjà ainsi enfant, assez secrète, mais tu finissais toujours par te confier à moi. Là, j'attends toujours que tu me dises ce qui ne va pas… Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Logan ?

À l'évocation de son nom, mon cœur se brise une nouvelle fois. Cette douleur qui me vrille les tripes est horrible.

— Il avait l'air tout aussi malheureux que toi quand il m'a contacté. Vous vous êtes disputés, ma puce ?

Si seulement, ce n'était que ça.

— J'ai rompu, avoué-je d'une toute petite voix.

Nanny est si sidérée par cette annonce qu'elle en reste sans voix pendant une très longue minute. Elle se contente de me fixer comme si j'avais perdu la tête.

— Pourquoi ? finit-elle par décrocher.

C'est à mon tour de rester silencieuse. Comment puis-je lui parler de cet enfer que j'ai vécu ? Nanny n'est plus très jeune et je ne voudrais pas lui faire du mal.

— Il… J'ai…

C'est tellement dur de se confier.

— Est-ce en raison de ce que tu as subi avant de te retrouver à l'hôpital ?

Quoi ? Comment peut-elle être au courant ? Sidérée, j'écarquille les yeux.

— Ton père m'en a parlé.

Pour confirmer que ça a bien avoir avec ça, je hoche la tête, puis je lui explique tout ce que j'ai ressenti quand ma mémoire m'est revenue. Que j'ai préféré rompre mes fiançailles plutôt que de voir Logan souffrir par ma faute.

À la fin de mon récit, mon visage est inondé par les larmes. Nanny reste silencieuse, je n'ai aucune idée de ce qui lui traverse l'esprit. Elle me serre juste dans ses bras jusqu'à ce que mes pleurs se tarissent.

— Prépare-toi, j'aimerais te montrer quelque chose avant que Logan arrive.

Je ne m'attendais pas du tout à cette réaction, mais décide de lui obéir. Une fois qu'elle est sortie de ma chambre, je me lève, enfile mes fringues de la veille, les seuls que je possède ici, puis pars me rafraîchir un peu dans la salle de bain, avant de descendre rejoindre Nanny. Assise sur un fauteuil, elle tient sur ses genoux, ce qui me semble, à première vue, être un album photo. Je vais m'installer sur l'accoudoir et attends qu'elle prenne la parole, en jetant un coup d'œil à la photo qu'elle regarde. Un homme aux cheveux châtains, dans une tenue militaire.

— Qui est-ce ? finis-je par demander pour briser le silence.

— L'amour de ma vie, ton grand-père. Il est mort au Liban.

La douleur qui traverse son regard me prouve que malgré les années, elle ne l'a jamais oublié.

— Ta mère n'était encore qu'un bébé quand il s'est envolé rejoindre les étoiles. Je n'ai jamais réussi à refaire ma vie après lui. J'ai essayé, mais ça n'a jamais été pareil. Quand on perd son âme sœur, c'est une partie de nous qui s'éteint avec elle.

— Je suis désolée, Nanny. Mais quel rapport avec Logan ?

Elle me lance un regard rempli de tendresse.

— Vous me rappelez Harrison et moi au même âge. Nous nous étions rencontrés au lycée et sommes très vite tombés amoureux l'un de l'autre. C'était un sportif aussi, mais il voulait rejoindre l'armée, pour suivre les traces de son père. Lors de sa première mission à l'étranger, je me suis rendue à une fête. Un de ses amis m'avait accompagnée. Je l'appréciais beaucoup donc je ne me suis pas méfiée. L'alcool coulait à flot et quand il m'a ramené chez moi, il était complètement soûl. Je n'ai rien pu faire contre lui.

Comprenant où elle veut en venir, je plaque mes mains sur ma bouche. Elle aussi a été violée.

— Je me sentais tellement sale que lorsque Harrison est revenu, je refusais qu'il me touche. Comment pouvait-il encore vouloir de moi ?

Je hoche la tête, consciente de ce qu'elle a ressenti, puisque, c'est exactement le sentiment qui me traverse.

— J'ai fini par lui avouer. Il m'en a voulu un moment, non pas parce que j'avais subi cet acte, mais parce que je ne lui avais rien dit. On s'est séparé une semaine, j'ai cru mourir durant sept jours. Puis, je suis allée le trouver, parce que je ne pouvais pas vivre sans lui. Il a accepté qu'on se remette ensemble. Les jours qui ont suivi, les semaines mêmes, il a tout fait pour que je retrouve confiance en moi. Sans lui, je n'y serais jamais parvenue. Et sans moi, il serait devenu fou. Il était à deux doigts de tuer son ami. Il m'a prouvé que c'était à deux qu'on pouvait surmonter cette épreuve.

Nanny laisse passer un silence durant lequel elle pose ses yeux sur moi, avant d'ajouter face à mon incompréhension :

— Là où je veux en venir, c'est que tu as besoin de Logan, tout comme il a besoin de toi pour que vous puissiez vous en sortir. Tu ne peux pas le mettre de côté, en pensant que c'est le mieux pour lui. C'est à lui seul de prendre la décision en ce qui le concerne.

— Je…

Quelques coups retentissent contre la porte.

— Va ouvrir, m'interrompt-elle.

J'hésite, néanmoins sous son regard déterminé, je finis par me lever et me dirige vers l'entrée, le cœur battant la chamade.

Logan

Les mains dans les poches, j'attends, le cœur battant la chamade, qu'on vienne m'ouvrir la porte. Vingt-huit heures que je ne ne l'ai pas vue. Vingt-huit heures que je deviens fou. Que je n'ai pas fermé l'œil. Que les souvenirs s'amusent à me tordre les entrailles. Les bons comme les mauvais. Je refuse que tout soit terminé entre nous. J'ai besoin d'elle pour me relever, elle n'est pas la seule à avoir souffert de toute cette merde. J'étais là aux premières loges, à le vivre tout comme elle, même si c'est d'une manière totalement différente. Pas moins déchirante, néanmoins. Elle doit me laisser une chance de lui expliquer l'enfer qui a été le mien pendant qu'on la détruisait. Deb m'a dit qu'elle lui en a parlé, mais je veux pouvoir aussi le faire de vive voix. Surtout qu'elle n'a lu aucun des messages que je lui ai envoyé depuis hier matin.

Le battant s'ouvre sur ma fiancée. Hors de question de me dire que c'est mon ex. Parce que ce n'est pas le cas, pas tant qu'elle ne m'aura pas entendu. Elle m'a peut-être rendu la bague, mais je veux pouvoir croire que tout est encore possible entre nous. Nos rêves, nos espoirs, rien de tout ça ne peut s'effacer en un claquement de doigt. J'en crèverai si c'est le cas. Je suffoque déjà pas mal depuis hier matin, alors si elle persiste, je suis mort.

Ses yeux sont rougis, elle a dû verser autant de larmes que moi. Elle me fixe une fraction de seconde, avant de se jeter dans mes bras. Surpris, je reste quelques secondes, les bras ballants. Je ne m'attendais pas du tout à cette réaction. Je croyais devoir batailler pour qu'elle me laisse une chance, mais non, elle est là, blottie contre moi à me répéter inlassablement "pardon". Une fois le choc passé, je l'enlace fortement avant de claquer ma bouche sur la sienne. Mon baiser est dur, brutal, comme pour la punir de ce qu'elle m'a fait vivre ces dernières heures. Je ne veux plus qu'elle me laisse. Jamais. C'est déjà la seconde fois. Il n'y aura pas de troisième, je ne l'accepterai pas.

— Ne me fais plus jamais un coup pareil ! grogné-je, haletant.

Ses yeux me sondent quelques secondes, avant qu'elle ne détourne la tête pour observer quelque chose au loin. Bien trop loin de nous pour moi. De deux doigts, je ramène son beau visage vers moi et la force à me regarder.

— Pourquoi t'as fait ça ? lui demandé-je d'une voix pleine de reproches.

Même si je me doute des raisons, je veux l'entendre de sa bouche pour pouvoir rebondir dessus. Mon ton ne semble pas lui plaire, elle recule de deux pas et croise les bras sur la poitrine. Je sais que je viens de la blesser en lui parlant ainsi, mais j'ai eu tellement mal que je n'ai pas pu m'en empêcher. Je tente un pas dans sa direction, mais elle refuse mon approche en levant sa main devant elle. Putain, quel con je peux être !

— Tu parles de quoi ? Du fait que je me suis jetée dans tes bras ou…

— Du fait que t'as rompu nos fiançailles !

Je me rends compte que malgré ses pardons, je reste en colère après elle. Aurait-elle brisé quelque chose en moi ? Un quelque chose qui a du mal à être réparé malgré ses excuses.

Elle garde le silence un moment en fixant la carrière sur sa droite. La première chose que je vois, lorsqu'elle retourne les yeux dans ma direction, c'est cette unique larme sur sa joue qui me tord les tripes.

Je ne sais plus où j'en suis, je me sens tellement paumé, tiraillé entre cette putain de douleur et cette foutue colère.

— Je me souviens de tout.

Les mots restent coincés au fond de ma gorge, je ne sais pas quoi lui dire. Est-ce le bon moment pour lui avouer que j'ai toujours été au courant depuis que ce fils de pute m'a tout balancé ou bien dois-je attendre qu'elle m'en dise un peu plus ? J'en ai fichtrement aucune idée.

— Tu ne peux pas comprendre à quel point je me sens sale.

Sa voix tremblante me fout un coup pire qu'un uppercut. Je n'ai pas envie de craquer devant elle, mais les larmes me brûlent les yeux.

— Bébé…

— Je me suis demandé comment tu pourrais encore me regarder alors que je n'y arrive même plus moi-même. Je ne voulais pas te faire endurer tout ça. Je voulais que tu sois heureux…

Sa phrase s'étrangle dans un sanglot. Au moment où je la vois sur le point de s'écrouler, je me précipite vers elle et la retiens de justesse avant qu'elle ne touche le sol. Blottie dans mes bras, elle laisse sa douleur s'échapper. Elle peut verser autant de larmes qu'elle voudra, je resterai là, solide comme un roc, jusqu'à ce qu'elle parvienne à se reprendre.

— T'es tout pour moi, bébé. Peu importe ce que ces salopards t'ont fait, tu n'y es pour rien…

Elle relève la tête pour planter ses yeux humides dans les miens.

— Mais…

D'un doigt sur la bouche, je lui intime le silence. Je connais les raisons qui l'ont poussée à rompre, elle voulait que je sois heureux, sauf que sans elle, je n'y parviendrai jamais. C'est donc à moi de parler, de lui dire ce que j'ai sur le cœur. De lui prouver que nous avons plongé tous les deux dans le même enfer et que c'est ensemble que nous en sortirons. Les mots fusent dans ma bouche alors que je lui raconte ce que moi j'ai vécu alors qu'elle était captive de ces enfoirés. Je lui parle même de la mort de Chris, tué par ce crevard parce qu'il a cherché à l'aider.

— Il ne m'aimait pas et pourtant, il a voulu me venir en aide ? s'étrangle-t-elle, atterrée par cette révélation.

J'émets un léger rire. La vérité est toute autre. Je l'ai appris, il y a quelque temps quand sa mère m'a demandé de passer récupérer certaines de ses affaires. J'ai pu parler avec son frangin ce jour-là et ce qu'il m'a avoué m'a laissé sur le cul.

— Il était amoureux de moi. C'est pour ça qu'il voulait tant nous séparer. Mais, c'est aussi pour ça qu'il a essayé de te trouver. Il avait fini par comprendre que sans toi, je n'étais plus rien.

— Oh, mon Dieu ! Je… je ne sais pas quoi dire.

— Il n'y a rien à dire.

De tout lui avoir déballé semble avoir effacé ma colère. J'ai plus envie d'être furieux après elle, mais de l'aimer comme il se doit. De deux doigts sous son menton, je lui relève la tête pour venir poser mes lèvres sur les siennes. C'est loin d'être une galoche qui allumerait un incendie dans mon fut, c'est juste un besoin plein de tendresse qui lui montre combien je l'aime.

— Toi et moi, c'est ensemble. Pour toujours.

Son hochement de tête fait faire des saltos arrière à mon cœur.

— Plus de non-dits, plus de secrets.

— Toujours parler avant de prendre une décision qui nous laisse sur le carreau tous les deux, lui dis-je un léger sourire sur les lèvres.

— Toujours.

Je pose un nouveau baiser sur sa sublime bouche, puis sous son regard étonné, je me rends jusqu'à ma bagnole. Après avoir récupéré l'écrin dans lequel j'avais rangé sa bague, je reviens vers elle et pose un genou à terre comme la première fois. Cette fille m'a fait changer du tout au tout. Du queutard que j'étais, je suis devenu un putain de romantique et me voilà en train de faire ma seconde, et j'espère, dernière demande.

— Je sais qu'avec ce qu'on a vécu, ce ne sera jamais simple entre nous. Parfois, j'envie certains des gars de mon équipe qui vivent des histoires tranquilles. Mais, peut-être, qu'au final, c'est ce qui rend notre amour si fort, si beau. Alors, je te le demande une nouvelle fois, Lucy Anna Calaan, acceptes-tu d'être à nouveau ma fiancée ?

Comme la première fois, mon putain de pouls s'emballe. Elle pourrait me rejeter, en me disant qu'elle a la trouille de ne pas pouvoir s'engager sur l'avenir. Pourtant, je veux croire que sa réponse sera la même que ce jour-là. Tout un tas d'émotions traversent son regard alors que j'attends sa réponse. Elle semble lutter avec elle-même, sûrement que ses démons l'empêchent de me donner un "oui" direct. Je finis par penser que c'est peine perdu quand au bout de plusieurs secondes, elle ne m'a toujours pas répondu.

— T'étais pas obligé de te remettre à genou, beau gosse, me lance-t-elle en tendant sa main gauche devant moi.

Je m'empresse de remettre l'anneau autour de son annulaire, avant de me relever tout aussi vite pour la soulever dans mes bras et la faire tournoyer dans les airs. Putain, je suis tellement content !

Cette fois, c'est la bonne, j'en suis intimement convaincu. Plus rien ne pourra nous séparer.

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