VIII. Clientèle

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  • Laisse-moi, Hélius, je veux quitter ce monde seule et avec dignité.
  • Quel dommage que tu aies abandonné la comédie pour la musique... Encore un talent gâché.
  • Je t’en prie, mon cher, mon fidèle Hélius...  Je te lèguerai mes biens les plus précieux...
  • Délicate attention, mais les porte-jarretelles me mettent plutôt mal en valeur. Il faut que nous parlions de...
  • Héliuuuuus, je souffre tellement....
  • …Ton agenda. Et inutile de te recroqueviller dans ta caverne, tes responsabilités n’en disparaitront pas pour autant.

Kat était emmitouflée dans son épaisse couette, de telle sorte que seul un crin de chevelure grise dépassant de l’ensemble trahissait sa présence.

  • Menteur, je suis sûre que si.... Gémit Kat

Hélius roula des yeux, peu enclin à renchérir sur les interminables enfantillages de sa protégée. Imperturbable, il reprit :

  • Richard t’avait à nouveau réservé pour ce soir... 

Grognements désapprobateurs.

  • ...Mais au vu des conditions d’exercice déplorables dont tu as disposé chez lui ce midi, j’ai décliné la demande et envoyé quelqu’un d’autre. Tu es donc libre pour ce soir...

Un soupir d’allégresse émana du igloo de coton : 

  • Mon sauveur.
  • ...En revanche, tu as un nouveau client pour demain midi. Je le connais peu, mais il m’a tout l’air d’un grand dirigeant de la haute. Probablement dans les Armes ; aussi grand que large, raide comme une fourchette... Hélius frissonna à son souvenir. Enfin, très intimidant. Mais bien plus gentleman que ces... dégénérés, dont tu as l’habitude.
  • Connais pas, marmonna Kat d’une voix étouffée, avant de poursuivre d’un ton théâtral :  Il s’inclinera comme les autres face à mon charme légendaire !

Dans la foulée, une jambe fine et élancée jaillit du cocon, avec élégance intentionnée. Kat se libéra lentement de son enveloppe, dans une attitude suggestive qui contrastait tristement avec son apparence chaotique.

Hélius ne put réprimer un rire attendri face au comique de la scène :

  • Arrière, sorcière ! Clama-t-il, alors que Kat se mouvait maintenant au sol, d’une démarche résolument lascive.

L’interpellée se releva, non sans adresser un sourire mutin à sa victime.

  • Allez donc vous débarbouiller, mademoiselle, poursuivit-il en contenant son fou rire. Je serai bien plus sensible à vos charmes lorsque vous serez débarrassée de vos airs d'indigente de l’Usine.

Débraillée, les cheveux emmêlés à en friser et le visage dégoulinant de noir, Kat était bien loin de sa superbe habituelle.

  • Allezdoncvousdébarbouillermademoiselle, répéta Kat d’un ton grincheux, agrémentant son imitation de grimaces nerveuses et gestes saccadés. 

Elle saisit nonchalamment les vêtements que lui tendait Hélius, avant de se diriger vers les douches d’un pas lourd.

                                            ***

Se retrouvant seul, le domestique perdit brusquement son sourire. Malgré l’inquiétude qui lui tenaillait l’estomac, il entreprit l’habituel grand ménage de la chambre de Kat. Une chambre spacieuse, confortable, réservée à de rares privilégiés, que ma protégée prend un soin de tout instant à saccager, songea-t-il avec contrariété.

Le sol carrelé était jonché de mégots, de tenues de soirées froissées suintant d’alcool, de suie et de poussière. Le précieux lavabo individuel – mobilier rare à l’Atelier-, précairement incrusté dans un mur qui semblait mal supporter son propre poids, menaçait de tomber à tout moment. D’autant plus qu’il était surchargé de cosmétiques en tout genre. Encore un privilège dont elle n’a aucunement conscience, soupira Hélius en rangeant l’amas de raffineries dans un petit meuble d'ébène prévu à cet effet. 

Vif et méticuleux, le domestique était dans son élément : le désordre. Des années de service l’avait rompu à l’art du rangement et du nettoyage qu’il pratiquait avec une efficacité irréprochable.
Tornade rédemptrice dans un océan de négligence, il faisait valser les déchets sans ménagement vers leur inexorable destinée : la trappe à enfouissement, sous le lavabo. Vêtements et draps s’envolaient gracieusement à son passage, allant s’empiler sans bévue sur un chariot disposé précisément à l’entrée de la chambre.

Là où Hélius passe, la crasse trépasse, murmura-t-il avec une franche fierté.

Tout en s’affairant à restaurer la splendeur du lieu de vie de sa protégée, il ruminait sur leur précédent échange.

Bien qu’étant à son antithèse, Hélius était très attaché à Kat ; intelligente et drôle, elle n’avait rien à voir avec les légions d’hystériques et mégalomanes imbuvables qui peuplaient l’aile des Talentueux. A l’usure, elle parvenait toujours à faire tomber son masque de servant discret et formel, lui faisant oublier la pénibilité de cette triste époque.

Voilà qu’en dépit de toute la déontologie encadrant son corps de métier, il avait développé une véritable affection pour sa protégée. 

D’où son inquiétude pour demain.

Bien qu’il ne l’ait jamais rencontré en personne, il savait parfaitement qui était l’homme des Armes. Murmures à l’entrebâillement d’une porte, échanges à demi-mot à la lingerie... Tous les Utilitaires de l’Atelier le connaissaient. Mais par-dessus tout, savaient ce qu’il en couterait d’être entendu au sujet de l’homme par les mauvaises oreilles.

Hélius frissonna. Peut-être qu’avec Kat, les choses se passeront différemment. 

Après tout, elle est exceptionnelle.

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