IX. Introspection

4 minutes de lecture

Récapitulons.

Caméra. Arrivants. Conseillère. Parents. Mürad.

Une journée normale en Pensionnat, songea Will. 

…Enfin presque.

L’installation d’une caméra dans sa chambre la nuit dernière, à son insu, n’était pas une surprise. Les Veilleurs se sont toujours assurés de ne laisser aucune once d’intimité ou de répit aux pensionnaires. C’était une initiative comme une autre pour abolir le peu de tranquillité qu’il leur restait.

Raté. Pour assister aux ébats de Mürad et sa main droite, il faudra repasser.

Rien de nouveau au premier repas. Mise au parfum des nouveaux arrivants, comme d’habitude.

Inintéressant.

Il ne tenait pas à s’attarder sur l’épisode de la Conseillère, et tout ce que cela impliquait. Il n’avait aucun souvenir de ses parents. Impossible pour lui de déduire si la Conseillère avait simplement été dans la provocation, ou si elle avait dit vrai à propos de leur décès.

Peu importe.

En revanche, l’épisode qui l’intéressait cette nuit, c’était celui de Mürad.

…Mürad qui s’échange des baffes avec les Veilleurs était un évènement on ne peut plus normal.

Mais habituellement, tout se passait en public. 

Forcément. Beaucoup plus humiliant pour le type, et ça refroidit aussi les spectateurs par la même occasion.

Pourquoi alors, l’emmener hors de la vue de tous ? Où ? Et pourquoi toute cette mise en scène avec Dingo ?

Will fronça les sourcils, perplexe.

Il effectuait son introspection depuis des heures, fixant le plafond souillé d’humidité du creux de son hamac.

Il se souvenait qu’avant, les murs de sa chambre étaient entièrement blancs. 

Bien que seules les parties surélevées le soient restées longtemps, hors de portée des dégradations de Mürad. 

Dans la pénombre, il aimait contempler ce blanc immaculé. La couleur l’apaisait, aidant à faire le vide dans son esprit éreinté. Mais depuis un moment, l’air s’était considérablement rafraichi, saturé d’humidité à en devenir irrespirable et à en faire moisir les murs. Les Veilleurs avaient d’ailleurs condamné toutes les fenêtres des chambres pour éviter aux pensionnaires de s’asphyxier en aérant.

Mesure étonnamment nécessaire, de nombreux pensionnaires à l’instinct de survie discutable s’étant tués de cette manière durant la première saison glacière...

Hormis ces murs, lui et Mürad disposaient d’une armoire aux portes dégondées où ils entreposaient leurs effets personnels. En l’occurrence ; la même tenue vestimentaire grise en cinq exemplaires chacun – tous troués et rapiécés-, l’uniforme de référence des pensionnaires.

Une armoire, une paire de hamac dont la dangerosité n’était plus à prouver, et des murs suintant la moisissure. 

Will sourit avec sarcasme à cette pensée. Il se demandait si ces imbéciles de Veilleurs disposaient de meilleures conditions de vie qu’eux. 

Evidemment. Ils sont aux commandes. Ils ont sûrement de belles chambres à l’abri des regards. 

A l’abri des regards…  Sans doute un compartiment secret du Pensionnat, là où ils ont emmené Mürad ? 

Plausible. Où pourrait être cet endroit…

Il fut saisi de curiosité. 

Les distractions étaient rarissimes au pensionnat. Repas. Bagarres. Conseillère. Lynchages. Tâches ménagères. Douches – lorsqu’il y avait suffisamment d’eau claire pour eux du moins -.

Dormir. 

Un quotidien dans lequel il végétait avec la plus grande indifférence. Chaque jour était strictement identique au précédent. Avec le temps, même les roustes distribuées par les Veilleurs avaient perdu de leur suspense.

Toujours les mêmes qui prennent, mêmes jours, mêmes heures. A force de résilience et d’une bonne dose de lâcheté, certains pensionnaires en venait même à tendre la joue au moment M, dans l’attente résignée de leur pénitence arbitraire. Dimitri faisait indiscutablement partie de ceux-là. 

Will, lui, esquivait, trouvait des diversions, détalait dans les dédales du Pensionnat jusqu'à ce que les Veilleurs se lassent de le pister dans ces couloirs sans fin, et rejettent leur dévolu sur le premier malchanceux qui croisait leur route. 

Certains rendaient les coups, Bien que cela ne fasse souvent qu'aggraver leur cas.
L'unique exception étant Mürad.
Terrifiant bagarreur pour tout le monde, Veilleurs compris.
À leur première saison au pensionnat - une saison Noire, se souvint Will. Probablement appelée comme ça parce qu'on n'y voit strictement rien à deux pas-, le spectacle de Mürad envoyant valser des Veilleurs hébétés était un plaisir de tout instant. Mais rapidement, les raclées se transformèrent en batailles rangées, opposant la bête déchaînée à une cohorte de Veilleurs résignés. Mürad perdait toujours, mais revenait à chaque fois orné d'un sourire ensanglanté, signe qu'il n'avait pas été le seul à y avoir laissé des poils. 

Du sens dans les violences du Pensionnat, il n'en voyait guère. Soumis, grandes gueules et cinglés en prenaient tous pour leur grade. N'importe quel comportement semblait se valoir pour un Veilleur, et méritait d'être puni. Quoique les filles parvinssent mieux à passer sous les coups que les autres. 

En revanche, elles étaient les premières à disparaître. Parfois elles revenaient, muettes et effacées, parfois non. 

Will pensait que les disparues - celles qui revenaient - étaient seulement emmenées dans un quelconque recoin du Pensionnat ou à l'Extérieur pour y subir il ne savait quoi. Mais l'histoire de Mürad changeait tout. Peut-être qu'il ne connaissait pas si bien le Pensionnat. Que les Veilleurs ne résidaient pas à l'Extérieur. 

Qu'il existait une Aile secrète. 

Et si c'est secret, c'est qu'il y a pleins de choses intéressantes à y découvrir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Erwan C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0