Prologue

3 minutes de lecture

Le noir immuable.

Encore.

Les lueurs de la lune effleuraient naïvement la masse nuageuse toujours plus sombre qui recouvrait le ciel depuis des mois.

Calme et silencieuse, la ruelle mal éclairée laissait entrevoir de temps à autre des ombres malsaines et inquiétantes entre deux carcasses de voiture.

Les cris du département central s’étaient tus depuis longtemps, et n’auraient pour rien au monde perturbé le sommeil supposé du voisinage, habitué à ces fréquents « dérangements ». Au sein du pensionnat, le mutisme finissait par devenir une habitude.

Et chacun savait ce qu’il en coûtait de troubler les habitudes.

Sur le rebord de sa fenêtre, une jeune fille tendait l’oreille, guettant anxieusement le moindre signe d’agitation par-delà les murs de l’enceinte. Assise en tailleur, les mains crispées sur une cigarette de facture douteuse, elle attendait que ses jambes arrêtent de trembler pour agir.

Elle avait envie de se tuer, mais elle refusait de leur faire ce plaisir. C’est exactement ce qu’ils attendaient d’elle.

De toute manière, elle serait morte demain.

Elle ne pouvait plus attendre. Elle prit une grande inspiration, sécha ses larmes, jeta son mégot, et sauta dans le vide.

Le sol glacial. Le gout âpre du sang. Elle s’était écrasée sur le sol, écopant d’une nouvelle flopée de plaies et d’ecchymoses à ajouter à sa collection. Merde…
Le souffle coupé, elle se releva tant bien que mal, geignante et titubante. Le plus dur restait à venir.

Surmontant la douleur, elle inspecta la cour.

Devant elle ; l'imposante enceinte, dominant largement de taille le pensionnat. Derrière celle-ci ; la rue. Elle n’avait rien pour se défendre, et se rendait compte de la folie de ses actes.

Tant pis.

Elle se frotta les mains dans l’espoir naïf de les réchauffer, puis entreprit la lente et pénible ascension.

Un noir sans partage oppressait l’atmosphère de cette partie de la ville, épargnée des luminaires agressifs du pensionnat. Les halos de la lune, palliant habituellement cette opacité, étaient éclipsés par les brumes de la saison glacière, omniprésentes à cette altitude.

Une main, tremblante et sanglante, surgit de l'enceinte du cratère, suivie d’une autre. S’agrippant avec incertitude au sommet du mur, elles hissèrent non sans peine le reste du corps éclopé auquel elles appartenaient.

La fille était enfin là.

Le plus simple étant derrière, il lui restait maintenant à descendre de l’autre côté de l’enceinte.

Son corps n’était plus qu’une succession de convulsions anarchiques. Ses muscles, traumatisés par la montée, subissaient les morsures du froid avec une indifférence inquiétante.

Précairement, la jeune fille se redressa pour mieux évaluer la descente. Malgré la brume, elle perçut la naissance de l’enceinte, moins d’une poignée de mètres plus bas. Les murs ne surplombaient en rien le reste de la ville comme elle l’avait toujours imaginé, mais étaient au contraire enfoncés dans la Terre, épousant les formes de l’immense cratère dont le pensionnat en était le centre.

IL avait rodé toute la nuit à Décombres, certain que la fille prendrait le risque de s’enfuir, avant sa mise à mort.

Se secouant la tête comme pour se débarrasser d’une information encombrante, elle s’accroupit à l’extrémité du mur qui, étrangement incurvé, devrait se descendre d’une glissade.

Son pantalon de toile se déchira au frottement de la pente bétonnée, mais contre toute attente, l’emmena sans encombre jusqu’au sol.

Elle l’avait fait! Elle avait quitté l’enfer du pensionnat. Elle retrouvait à présent les ruines de la ville où elle avait grandi, avant d’être arrachée à ses parents par les Veilleurs.

IL connaissait bien les alentours du Pensionnat car IL y était né, et IL savait où les parents de la fille vivaient.

Si elle s’était habituée au constant fond sonore du pensionnat, ici, le silence était lourd, angoissant. Reconnaissant cette partie du quartier, elle estima brièvement le chemin le plus court pour arriver à la cave ou elle résidait il y a 15 ans, avec ses parents.

IL savait que la fille voudrait les rejoindre.

C’était maintenant ou jamais.

Le souffle saccadé, elle se mit brusquement à courir vers le dédale de rues qui s’offrait à elle. Se rappelant d’un passage à travers un immeuble effondré, elle bifurqua pour s’engager dans les décombres.

Heureusement, IL lui ferait comprendre son erreur.

Un craquement sinistre. La jeune fille, figée et terrifiée, se fit violemment tirer en arrière.

Un hurlement déchira la nuit.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Erwan C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0