Se mettre dans la peau d'un tueur

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Lettre reçue de Boris, le piédateur des Alpes



 Je vous donne mon bonjour, Anne Lué, c’est Boris qui vous écrit.



J’ai beaucoup apprécié votre lettre et je sais vous en remercier. Je me demande juste comment vous avez trouvé mon adresse postale mais cela est un détail. Ce n’est pas mon lieu de résidence, aussi si vous avez envoyé la police, ils reviendront bredouilles.


Vous vous demandez ce qui est arrivé dans ma vie pour que je passe à l’acte ? Et ce qui m’a poussé ensuite à perpétrer mes actions ? Je vous remercie de cet intérêt auquel je dois avouer ne pas savoir quoi répondre, c’est bien la première lettre de ce genre que je reçois. Je ne suis une star dont on demande des conseils et de raconter sa vie que dans des réseaux dont les ténèbres gardent l’obscure identité à votre connaissance.


Mais en quelque sorte vous me demandez de raconter ma vie, puisque ce que je fais est dans le prolongement de mon existence passée. Alors je vais vous raconter.

J’ai grandi dans un lieu-dit dans les Alpes françaises, dans une famille pauvre. Mon père buvait autant que ma mère et quand ils n’avaient pas une bouteille pleine en mains, ils pouvaient me battre à coups de pieds. Comprenez ici qu’en donnant des coups, le doux breuvage peut s’échapper du récipient et se perdre sur le sol. Cela arrivait fréquemment néanmoins et je me prenais plus de coups encore.

Mes seules interactions humaines étaient, pour ainsi dire, avec les pieds de mes parents. Et plus je me prenais de coup, plus je développais une fascination pour eux. Ils étaient pour moi symbole de douleur, oui, c’était quelque chose que le reste du monde n’avait pas. Le reste n’avait aucun goût. Alors j’ai commencé à observer avec attention les pieds des gens. Ceux de mes parents en premier, puis ceux de toutes les personnes que je croisais dans mon petit lieu-dit puis à l’école et au Collège.

Au Collège, je suis tombé amoureux des pieds d’une fille de mon âge. Elle était dans ma classe. Jusqu’au jour où, devant mes avances probablement lourdes pour voir ses pieds nus, cette fille me donna un challenge. Lui faire un cadeau qui décorera ses petits pieds. En fait plutôt quelque chose à mettre autour de ses chevilles.

Tout content de cette mission, je suis rentré très vite chez moi. J’ai couru tout le long des cinq kilomètres qui séparaient le dernier arrêt du bus à chez moi. J’ai ouvert la porte avec précipitation et elle a frappé ma mère dans le dos. Elle est tombée à la renverse. Elle tenait dans ses mains une bouteille, de whisky je crois, et comme elle est tombée en avant, la bouteille a éclatée en morceau en propulsant des bouts de verres qui ont tranchés le cou de ma mère. Le sang se répandait partout sur le sol, ma mère n’a pas survécu. Sous le choc de la scène qu’il vit entièrement, mon père me frappa et me frappa encore au sol avec ses pieds. Il portait seulement des chaussettes ce jour-là et quand je me suis aperçu de cela, une idée m’est venue à l’esprit.

Un bout de verre assez grand était à portée de main, je l’ai pris et quand le pieds droit de mon père est revenue en ma direction, je l’ai agrippée et je l’ai tranché au niveau de la cheville. Puis j’en ai fait le tour. Mon père était à terre à son tour et il se tenait maintenant la cheville entre les mains, son visage se tordait de douleur. Moi, je devais être heureux. Je venais d’acquérir le cadeau pour ma fiancée. Il me restait à découper chaque orteil de mon trophée, de les mettre sur une ficelle, et j’aurai mon cadeau.


Voilà comment j’ai retourné le symbole des pieds qui hantaient mon enfance en quelque de beau, de digne d’un cadeau.

Je ne vais pas vous cacher que mon cadeau ne fut pas apprécié par la fille. Elle l’a rejeté avec un grand dégoût et a crié très fort dans la cour jusqu’à ce que les surveillants viennent. Je me suis enfui à ce moment-là. Mais je ne regrette aucunement cette scène. Le rejet violent peut-être mais je peux comprendre que personne n’est la même vision que moi. Je viens ainsi de raconter le début de mon histoire et mes premières actions.



Maintenant abordons la suite.

Pourquoi ai-je continué ? Parce c’est le pieds ! pardonnez ce jeu de mot.

J’étais libéré du poids qui a fait toute mon enfance, la violence des pieds. Maintenant je l’avais apprivoisée et je pouvais en faire ce que je voulais !

J’ai continué à regarder les pieds des autres, dans la rue, dans les magasins, sur les places… partout. Il m’arrivait d’en suivre pendant plusieurs minutes en ne fixant qu’eux. Quelque fois je me faisais arrêter par les gens, le possesseur de ces pieds la plupart du temps, qui me demandait ce que je faisais, si je n’étais pas fou dans ma tête. D’autres fois je continuais à les suivre jusqu’à ce qu’ils entrent dans un bâtiment et la porte d’entrée les enfermaient. Il m’est arrivé de noter quelques adresses sur un carnet. Mais dans ce premier temps de ma nouvelle vie, je n’ai pas commis d’action. Cela s’explique par le fait que je n’avais aucune raison de le faire. Je n’avais pas de petite amie qui me demandait un cadeau.

Ce n’est que dans un second temps lorsque j’ai intégré ce réseau dont je vous cachais le nom ci-avant. C’était bien des années après mon Collège. La Police m’a retrouvé. Je trainais tardivement dans les rues comme à mon habitude. Un agent m’a d’abord appelé par mon nom. Je l’avais oublié, alors je ne me suis pas retourné. Puis un autre agent apparu devant moi et me prit de force. Une voiture m’emmena au poste et me mis derrière les barreaux. Là-bas j’ai rencontré mon voisin de cellule qui n’a pas arrêté de me parler, de me toucher, de me bousculer violement. Je l’ai envoyé contre les barreaux pour qu’il s’assomme la tête dessus puis j’ai pris ses pieds l’un après l’autre, je les ai coincés entre deux barreaux puis j’ai fait craquer tous les os de ces membres dans l’espoir de pouvoir les récupérer dès que je trouverai le moyen de lui ouvrir le corps.

Les agents de la Police arrivèrent vite pour m’emmener dans un établissement spécialisé, un asile. On m’a donné une chambre vide où passer le reste de la nuit. Le lendemain et tous les jours qui suivirent se ressemblèrent. J’ai fait des jeux de société avec mes camarades en prenant des pilules régulièrement. Une fois par semaine je rencontrais un médecin dans sa blouse blanche.

Un jour je me suis enfui. Après dix ans, j’en avais marre de voir les mêmes paires de pieds. Ceux de mes camarades, ceux des infirmières, ceux du médecin. Je voulais en voir d’autre. C’était une envie que je ne pouvais que repousser en moi.

A l’extérieur tout a changé. Je pouvais reprendre mon observation. Et j’étais plus vieux, j’avais le corps fatigué et ma pulsion enfin délivrée était violente. Aussi lorsqu’une porte claquait violemment pour mettre une barrière entre mes yeux et mes cibles, je pouvais entrer en colère, défoncer la porte et passer à l’action.

Ainsi, vous le savez sans doute, je suis passé à l’action une dizaine de fois en ville. Je suis entré dans dix maisons de cette façon pour récupérer les pieds que j’avais observé. Je les voulais pour moi et moi seul.


Je déplore d’avoir tué vos parents ce jour-là que vous me décrivez. J’espère que vous comprenez que ce ne sont pas vos parents que je voulais mais leurs pieds. Maintenant qu’ils sont morts et enterrés au cimetière du centre, vous me dites… j’ai encore leurs pieds. Ils sont au frais à la cave.



Vous pensiez peut-être tomber sur un fou mental qui ne serait pas capable d’avancer deux mots et d’expliquer clairement ce qu’il est. Vous avez eu tort. Je ne me considère pas comme fou, je sais décrire ma démarche et exposer mon pourquoi.

Simplement, je ne sais pas qui sont les « êtres humains » dont vous me parlez. Je ne sais pas ce que c’est et je ne veux pas savoir. Je n’ai d’interaction qu’avec des pieds. J’ai réussi depuis mon enfance à transformer mes cauchemars en rêves doux, en une fascination positive. Je ne changerai pas.



Bien à vous, Boris

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