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Dimanche 3 mars, 8h00, Sézenove


- Mais venez donc chez nous boire le café cet après-midi. Je serai enchantée de faire la connaissance de votre femme.

Hans, devant sa voiture, il allait chercher des croissants, venait de croiser Elena qui promenait ses chiens. Il réfléchissait et se demandait si c'était une bonne idée :

- Il y a les enfants aussi. Frida 7 ans, et Peter 5 ans, ils ne vont pas vous déranger?

- Mais vous plaisantez! J'adore les enfants!

Mais en fait, il n'était surtout pas sûr que Klara ait envie de se retrouver chez la voisine.

Sa femme déboula. Habillée d'un short en jeans bleu, d'un T-shirt rose et d'une petite laine lilas. Il était huit heure quinze et le fond de l'air, même avec ce printemps qui se donnait des airs d'été, était tout de même frisquet.

- Bonjour, madame, fit Elena, souriante. Alors c'est vous la femme de mon nouveau voisin. Il en a de la chance!

Les compliments pleuvaient ce matin pensa Hans.

- Bonjour, je m'appelle Klara. Oui, il n'est pas toujours conscient de la chance qu'il a...

Elena se mit à rire:

- Alors là! Vous, on entend que vous êtes suisse-allemande. Mais vous parlez très bien...

- Je suis professeur de français à Amriswil.

- Ah d'accord. Ceci explique cela. J'étais en train de proposer à votre mari que vous pourriez boire le café et prendre un goûté cet après-midi avant que vous ne repreniez la route...

- Mais volontiers! répondit Klara.

Rendez-vous fut donc prit.

Quinze heures.


À quinze heures passé de dix minutes, les Pfäfi au complet frappèrent donc à la porte des Pericolos, et ce fut une jeune fille qui ouvrit la porte. Hans ne l'avait encore jamais vu.

- Paula ! Je suis sa fille, se présenta-t-elle.

Cheveux noir coupé court à la France Gall, des grands yeux noir, magnifique, un visage aux traits fins, harmonieux, un sourire rieur. Paula était une très jolie fille aussi mince et longiligne que sa mère.

- Entrez seulement, fit-elle, alors que les chiens étaient partis dans un concert d'aboiements strident, et stressant pour les oreilles.

Frida tenait Bonko en laisse, et celui-ci fit office de diversion pour Vanille, Chocolat et Toufik. Ce chien là était tout de même plus intéressant que les quatre personnes qui l'accompagnaient.

- Vous pouvez le détacher, laissons-les faire connaissance, fit Elena qui sortait de la cuisine, un gâteau à la main.


- Alors ce n'est pas trop dur de devoir vous passez de Hans ? demanda Elena.

Ils étaient tous installés dans le jardin. De magnifiques grands arbres y poussaient, beaucoup de végétation, on y était vraiment bien.

- Non. Ça va encore. Mais il faudrait quand même que bientôt il l'attrape ce « E », répondit Klara en rigolant.

Hans sourit et son smartphone vibra dans sa poche. C'était Alice. Il se leva et se mit à l'écart pour ne pas déranger :

- Oui, Hans. Qu'est-ce qu'il y a ?

- Excuse-moi, je peux te voir là ? C'est un peu urgent !

- Euh...je suis avec ma femme, chez les Pericolos...

- Chez les Pericolos ???

- Oui. Ça t'étonnes ?

- Ouaips. En plus ça les concerne...

- Non. Alice, on va pas remettre ça ! répondit Hans en haussant un peu le ton.

Klara tourna la tête vers lui.

- Un problème Hans ? demanda-t-elle.

Il ne répondit pas, écoutait Alice.

- Il faut que je te montre des documents maintenant, c'est important ! Je passe à ta petite fête ou tu passes au bureau ou chez moi.

Hans réfléchit deux secondes :

- Tu passes à ma « petite fête », fit-il alors, avec une pointe d'ironie dans la voix.

Alice avait été légèrement sarcastique, comme si elle était agacée que Hans passe du bon temps dans le jardin alors que elle, bossait sur l'affaire « E ». Mais Hans devinait aussi une petite jalousie. En ce moment c'était tendu entre Alice et Diae, alors quand au téléphone, Alice entendait que à l'autre bout du fil, ça riait, mangeait et buvait, elle n'avait pas put s'empêcher de piquer Hans. Et Hans éprouvait alors une sensation qui le dérangeait et le gênait lui-même. Il appréciait et se sentait flatté de la jalousie d'Alice. Il lui avait été agréable de sentir sa légère colère.

Il ferma son téléphone et rejoignit les autres.

- Rien de grave Hans, demanda Klara, en suisse-allemand.

- Non. Je suis désolé mais ma collègue va passer dans un moment, elle a quelque chose à me montrer.

- Ouhh là là, vous allez peut-être bientôt arrêter « E », fit Paula en découpant le gâteau aux carottes qu'elle avait elle-même confectionné.

- Paula ! Fais attention ! Tu es en train d'en mettre à côté ! dit alors sa mère, légèrement agacée.

Effectivement, un morceau de gâteau était tombée sur la nappe.

- Ouhh là là, maman, c'est pas grave, fit Paula, honteuse d'être réprimandée. De plus devant des inconnus.

Elena soupira.

Et Klara vint à son secours :

- Moi aussi, je suis très maniaque sur ce genre de détails...

- Oh oui !...maniaque, confirma Hans en souriant.

Et la discussion se poursuivit. On parla du travail d'Antonio, prof de mathématique. On vanta ses horaires. Sa semaine finissait le jeudi soir, et il avait alors plein de temps pour s'adonner à sa passion: le bricolage.

On parla de la vie à Amriswil, des enfants Pfäfi, des enfants Pericolos, Renard. Erihl Renard avait donc émigré en Valais parce que ne trouvant pas de job à Genève. Et c'est ainsi que « E », en même temps qu'Alice Noît sonnait à la porte, fit irruption dans le jardin des Pericolos.

- Ce n'est pas pour dire, argumenta Elena, alors que Hans se leva pour aller ouvrir la porte à Alice, mais c'est tout de même incroyable que des gens pure souche doivent changer de canton pour trouver du travail, et que en même temps, on engage à tour de bras des français !

Antonio acquiesça :

- C'est monstrueux dans un sens...

Klara ne comprenait pas le sens de monstrueux dans la phrase.

- Non mais, mon mari adore ce mot, monstrueux, dit Elena en riant ! Il le met dans une phrase dès qu'il le peut ! Regardez ce jeune là, comment il s'appelait déjà...qui est rentré dans le bus...

- Amir, répondit son mari.

- Oui. Amir. Mon fils aurait...

Elle arrêta sa phrase.


Hans arrivait avec Alice.

Klara s'était tournée et avait eu une désagréable surprise.

Hans ne lui avait pas beaucoup parlé d'Alice et elle comprit pourquoi.

La jeune inspectrice portait une robe blanche juste en dessous des genoux avec quelques traits noir disposés asymétriquement. Parfaitement découpée, elle soulignait magnifiquement les formes d'Alice. Ses longs cheveux brun foncé légèrement bouclé étaient détachés et tombaient sur ses épaules nues déjà agréablement bronzées. Elle portait des ballerines noires. Ses grands yeux étaient superbement mise en valeur par un léger maquillage. Klara remarqua avec un sorte d'étrange soulagement que ses ongles n'étaient pas vernis, mais releva tout de même avec envie la douceur, la rondeur délicate de ses mains, ses doigts fins. Elle n'avait pas de rouge à lèvres, elle n'en avait pas non plus besoin, déplora Klara, ses lèvres étaient magnifique. Klara serra les siennes, de lèvres, et sentit une monstrueuse jalousie grimper en elle-même. Qu'elle sut juguler :

- Bonjour, fit-elle à l'adresse de sa nouvelle rivale, avec un grand sourire.

- Bonjour, fit Alice, en serrant une enveloppe B4 dans sa main droite.

En ouvrant la porte, Hans avait immédiatement vu qu'il allait y avoir un problème.

Alice portait la même robe que le jour de la conférence de presse du Conseil d'État suite à la mort de George Pendal. Et Hans avait relevé ce jour-là et avait dit à la jeune femme que cette robe la mettait particulièrement en valeur, soulignait avec grande classe sa beauté. Qu'elle ait choisit cette robe là pour se rendre chez les Pericolos, en sachant que sa propre femme y était présente, était presque une déclaration de guerre. Et une déclaration d'amour. Il avait senti un vertige le parcourir.

- Salut Alice, avait-il dit, le souffle un peu court, son parfum lui parvenant à l'instant.

La jeune femme dégageait un sorte d'érotisme inhabituel. Normalement, elle était discrète dans son comportement de femme belle, et se sachant l'être, et cherchant à ne pas trop le souligner. Aujourd'hui elle lâchait du bride. Se permettait pleinement d'exister en tant que femme sexuellement désirable. Et cela sans la moindre vulgarité. Klara ne pouvait même pas lui reprocher un côté aguicheur, racoleur, une robe qui en montre trop, un maquillage provoquant. Non. Alice était tout simplement une des plus belles femmes que Klara n'avait jamais vues. Elle en pleurerait durant son retour en Thurgovie au volant de son Audi Q3 orange. Elle connaissait Hans, elle savait, il ne lui avait pas caché, son goût pour les femmes, et sa difficulté à se décider à se « ranger ». Autrement dit à se marier et avoir des enfants. Et là ! Il travaillait chaque jour avec la tentation faite femme ! Klara, seule à Amriswil, se remémorant cette Alice de malheur, en devenait folle. Et son but premier, depuis ce dimanche de mars, fut de ramener, coûte que coûte, son mari à la maison.

- Vous voulez boire quelque chose inspectrice ? demanda Elena en jetant un œil sur Antonio.

Comment son mari réagissait-il, lui, devant une telle beauté. Apparemment, cela n'avait pas l'air de lui procurer la moindre émotion, ou alors était-il passé maître dans l'art du camouflage.

- Non merci. Sans façon. Je ne vais pas rester longtemps. Je dois juste voir quelque chose avec Hans.

Tous les deux se mirent donc à l'écart au fond du jardin dans deux vieilles chaises longues, le tissus de l'un n'était pas loin de se rompre. Hans, par galanterie, choisit celle-là.

- Alors qu'est ce que tu veux me dire ? demanda-t-il.

- François Champs m'a téléphoné...il arrivait pas à te joindre ce matin.

- Je me suis mis en mode avion...

- En mode avion ??? Tu vas bien toi !!! On est en plein dans l'affaire du siècle, et toi, tu te mets en mode avion ?

- Ma femme est là. Un peu de répit... « E » peut attendre un peu, Alice.

- T'es léger là quand même. Je sais pas si Franco Bernardi te cautionnerait là ?

Alice était étrangement énervée. Cela n'avait rien à avoir avec l'affaire « E » et Hans le savait :

- ...Alors c'est pas parce que t'as des problèmes avec Paris que...

- Je n'ai pas de problèmes avec Paris. Diae ! Hans, il s'appelle Diae. Pas Paris.

Cela lui était venu comme ça ! Il s'était dit : « Paris, c'est moins direct !? »

- Calme toi, Alice. Tu as, je l'ai déjà vu, tendance à mélanger ta vie privée, et ce que tu penses, au boulot. Il faut faire la distinction. C'est aussi pour ça que j'ai mis mon natel en mode avion.

Hans avait un talent fou pour calmer Alice. Et elle aimait cela. Elle se sentait comprise. Le calme posé, chaleureux de la voix de Hans était comme un massage relaxant. Elle le regarda, ses yeux, son sourire.

- Pour aussi laisser du temps pour ma famille. Rien que pour ma famille. Un tout petit peu de temps.

Alice souriait à Hans. Hans lui rendait son sourire. À cet instant, quelque chose s’immisçait. Presque imperceptible. Alice avait envie que Hans la prenne dans ses bras, la touche. Lui avait envie de combler ce désir.

Mais Hans replaça les priorités :

- Alors qu'est ce qu'il t'a dit, François ?

- Il m'a dit que les experts ont put déterminer dans quel magasin le drone a été acheté...

- Ah bien.

Hans se demandait quel était le rapport avec les Pericolos dont elle lui avait parlé au téléphone.

- Chez Landi.

- Ah d'accord.

Il voyait effectivement maintenant de quel rapport il pouvait s'agir. Il y avait un magasin Landi juste en bas de la rue. Lui-même y avait acheté des bières un jour.

- Des magasins Landi il y en a également un à Amriswil, Alice. Donc, les Pericolos...

Il s'interrompit, et reprit, vraiment agacé :

- Non mais, il faut arrêter ! On tape sur ma voisine juste parce que on n'a rien d'autre à se mettre sous la dent ! C'est ridicule ! Et j'en ai honte !

Alice souriait et calma son collègue :

- Non mais, je suis d'accord avec toi, Hans. J'ai fait un peu dans la provoc tout-à-l'heure.

Hans soupira :

- Bon. D'accord. Mais en quoi ça nous avance de savoir que le drone a été acheté chez Landi.

- Eh bien, on peut éplucher tout les payements par carte , les seules qui laissent des traces, du magasin Landi de Lully. Ils sont là dans cette enveloppe, fit-elle en agitant celle-ci.

- Mais il y en a dans toute la Suisse des magasins Landi, protesta Hans. Et « E » l'a peut-être acheté cash, son drone !?

Et à ce moment là, les fils usés du tissus de la chaise-longue cédèrent, et Hans se retrouva assis par terre.

Et Alice éclata de rire. Ainsi que toute la tablée d'à côté.

Ceci clôt le débat. Alice, et Antonio aidèrent Hans à se relever.

Klara semblait également très satisfaite de voir son mari les deux fesses par terre.

Bien fait pour lui.



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