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Samedi 22 décembre 2018, 20h30.


Abdel avait invité Éloïse au cinéma. Il était chez elle, dans son deux pièces aux Eaux-vives. Assis au salon, un café à la main. Il avait lui-même fait marcher la machine Nespresso. Éloïse se préparait à la salle de bain. L'inspecteur et l'étudiante en sciences politique se voyait de plus en plus souvent. Éloïse occupait beaucoup plus les pensées d'Abdel que l'affaire "E".

Il entendit la porte de la salle de bain s'ouvrir. Abdel avait craint qu'elle en fasse trop. Qu'elle se maquille outrageusement. Qu'elle s'habille trop différemment. Il avait déjà vu des femmes, qui croyant bien faire, pour séduire, se dénaturait complètement. Il aimait Éloïse comme ça , au naturel. Avec ses lunettes. Ses yeux rieurs pleine de vie, pas besoin de mascara. Pas besoin de jupe courte. Pas besoin de collant sexy. Pas besoin de bottines à talon haut. Éloïse apparut. Et Abdel fut ravi. Elle n'avait rien changé à ses bonnes habitudes. Il se demandait du coup à quoi elle avait passé tout ce temps à la salle de bains. Elle s'en excusait à l'instant :

- Désolé de t'avoir fait attendre. On n'est pas en retard pour le cinéma ? J'ai lu quelques pages de ce livre, dit-elle en tendant l'ouvrage en question au dessus de sa tête: « L'émergence de la politique sociale en Angleterre au XIXème siècle ».

- Non ! On n'est pas en retard à condition de partir maintenant, dit-il en se levant.

Ils firent claquer la porte bruyamment, descendirent les escaliers en courant.

Dehors, un léger brouillard créait une ambiance mystérieuse, tamisée. En deux minutes, Abdel et Eloïse arrivèrent devant le cinéma Scala. L'inspecteur prit les billets :

- Deux billets pour Exelcat s'il vous plaît...

C'était Abdel qui avait choisi le film. Eloïse le questionna sur le métrage en question.

- C'est un film tchèque. Un conte moderne. L'histoire d'un chat magique à Prague ! Il y a même des effets spéciaux !

- Des effets spéciaux !? Oh mais tu sais, moi et les effets spéciaux....

- Oui, je sais...je t'embête...

Ils s’engouffrèrent dans la salle. Il n'y avait pas grand monde. Un film tchèque même avec des effets spéciaux ne pouvait pas rivaliser avec les Marvels, Disneys et autres grosses productions hollywoodiennes.

Deux heures plus tard, ils ressortirent de la salle le sourire aux lèvres.

- Allez ! Et maintenant, pizzas au San Marco, fit Abdel en riant.

- Ouuuiiii ! Je dirais même plus : pizza au San Marco, fit-elle en empoignant le bras d'Abdel.


Attablés,  ils cherchaient sur la carte la pizza qu'ils allaient prendre.

- Vraiment le film de noël idéal, s'exclama Abdel.

- Oui. T'as vraiment bien choisi. Tu t'y connais en cinéma, y a pas à dire !

- Je sais pas si je m'y connais, mais je sais que j'aime le cinéma, corrigea Abdel en reposant la carte.

Son choix était arrêté : une napolitaine.

- Eh ben moi je prend une capricieuse, fit Éloïse en regardant Abdel.

Elle aimait son regard brun foncé chaleureux. Son sourire. Cela faisait deux ans qu'elle n'était plus en couple, comme on dit. Mais depuis quelques semaines, elle sentait l'envie de remettre le couvert. Ils ne s'étaient encore rien passé entre eux physiquement, son geste d'il y a quelque minutes, en prenant le bras d'Abdel, était quasi la première fois qu'elle le touchait. Jusqu'ici, tout passait uniquement par les discussions. L'intellect. Elle voyait bien que lui était un grand timide, et que l'initiative ne viendrait que très peu probablement de lui.

- Tu vas faire quoi pendant les vacances de noël ? lui demanda-t-elle après avoir bu une première gorgée de la bière pression que le serveur venait de poser sur la table.

- Je n'ai pas de vacances, Éloïse, je suis de permanence, répondit-il avec un sourire désolé.

- Ouh là ! Pas de chance...

- Non mais. En fait, ça ne me dérange pas du tout. J'aime mon travail. J'aime le travail administratif. J'aime le commissariat quand il y a moins de monde.

- Je crois que je te comprends.

Éloïse faillit poser sa main sur celle d'Abdel. C'eut été le geste qui confirmerait ses sentiments, mais elle se retint. Tout en le regrettant. Si moi je ne fais rien, peut-être bien que rien ne se passera, pensa-t-elle.

- Et toi, que va tu faire, lui demanda à son tour, Abdel.

Elle sourit :

- Bosser. Moi non plus je n'ai pas vraiment de vacances. J'ai des trucs à rattraper et j'ai deux examens en janvier.

Il y eut un court silence. Puis elle ajouta, la voix plus douce :

- Et je vais te voir toi. Puisqu'on reste les deux ici, à Genève...si ça ne te déranges pas...

Et Éloïse fut alors surprise. Abdel posa sa main sur la sienne, la regarda droit dans les yeux et lui dit :

- Tous les jours, si tu veux...

Puis, comme pour évacuer l'émotion, il saisit sa bière et invita la jeune femme à faire de même. Ils firent tinter leurs verres.


Eloïse et Abdel se trouvaient devant la porte de l'allée de l'immeuble. Il était minuit passé de quelques minutes. Le brouillard s'était encore épaissi. Ils se regardaient en silence. Pendant trois secondes. Une éternité. Puis elle lui dit :

- Embrasse-moi, idiot ! Abdel sourit.

- Billy Wilder, 1964.

Puis il avança son visage, et embrassa Éloïse avant qu'elle ne le traite une deuxième fois d'idiot, l'entoura de ses bras et la serra doucement.

Quelques minutes plus tard, Abdel, sifflotant, marchant dans la rue pour rejoindre sa voiture, se sentait d'une légèreté. D'une légèreté.

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