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Carouge, mardi 9 octobre 2018, 15h45


L' appartement d'Etienne Fournier n'avait rien à avoir avec celui de mademoiselle Tardy. En attique dans la maintenant presque huppée cité sarde carougeoise, auparavant cela n'avait pas été le cas. L'appartement du directeur des douanes de Bardonnex était des plus cossus. Sur deux niveaux, poutres apparentes, magnifique planché vitrifié, mobilier tout sauf IKEA . Et Étienne Fournier avait du goût. Un magnifique et ample salon en cuir beige et brun, table basse en bois clair et verre, escalier en colimaçon aux larges marches, velux aux persiennes brun clair à commande électrique, écran TV 52 pouces une chaîne hi-fi B&O design. C'était de plus en plus rare, avec deux grandes enceintes Bose , parmi ce qui se fait le mieux en audio. Hans le savait parce que Klara lui avait fait acheter la même marque. Elle adorait la musique classique et voulait l'écouter dans les meilleures conditions. Quatre-mille-cinq cent francs la paire d'enceinte. Hans avait grincer des dents. Mais cela faisait plaisir à Klara, et il s'amusait à vrai dire lorsqu'il rentrait et entendait du Wagner jusque sur le trottoir. Et courrait, une fois rentré, baisser le volume. Klara rétorquait alors : "C'est Parsifal soumis à la tentation, c'est normal que c'est fort !"

- Vous boirez bien quelque chose ? leur demanda monsieur Fournier.

Il était vêtu d'un training et T-shirt. Il sortait d'un match de tennis et sentait le produit de douche et le déodorant  Axe.

- Un verre d'eau pour moi, fit Hans.

- Un petit café vous avez ? fit pour sa part Alice qui depuis là où elle se tenait avait une vue imprenable sur la magnifique machine Nespresso dernier modèle qui trônait sur le plan de cuisine.

- Bien sûr!

Étienne s'élança presque vers la machine.

C'était un coureur de jupons , et Alice Noît représentait un gibier et un défi de taille. Rarement il ne lui avait été donné d'admirer une femme d'une telle beauté et d'une telle classe. Il en était perturbé, car il sentait en son for intérieur que là, la barre était trop haute pour lui. Il ne s'en tirerait pas avec de la drague lourde et facile ainsi qu'avec son physique avantageux.

Alice fit changer d'avis à Hans.  

- Alors deux café !, fit Étienne Fournier. Fort, normal, léger, déca ?

- Normal pour moi, fit Hans.

- Fort pour moi, fit Alice.

Hans et Alice prirent leur aise dans les fauteuils en cuir extra large et profond. Si profond que l'on n'avait plus envie de les quitter. Étienne Fournier s'installa à son tour, et avait également opté pour un café. Il regarda ses hôtes. C'était la deuxième fois qu'il les voyaient, il les avait croisé à l'enterrement de Jérôme Bonnetière. Mais c'était la première fois qu'ils conversaient ensemble. Il leur demanda,  le sourire un peu exagéré :

- Alors que puis-je pour vous ?

Dans sa voix transparaissait un malaise. Il savait que les deux inspecteurs allaient rapidement en venir à la relation que lui et Jérôme entretenaient avec les femmes. Il était loin d'être naïf. Il savait que c'était cela qui pouvait être intéressant pour l'enquête. "E" était vraisemblablement une femme et elle en avait peut-être non seulement après l'État, et sa gestion des frontaliers mais peut-être également après les hommes. Il devinait chez "E" un féminisme radical. Lui-même s'était posé la question : est-ce qu'il n'était pas susceptible d'être sur la liste de "E". Il travaillait également à l'État et avait une notion très consumériste de la relation avec le beau sexe. Ne fallait-il pas alors demander une protection policière ? Mais il n'avait pas osé. On allait lui demander pourquoi. Et il faudrait déballer. Mais maintenant, elle était là, la police, venue à lui, toute seule comme une grande, et il allait, ça ne saurait tarder, devoir...déballer. Quand même !

- Quel était votre relation avec Jérôme Bonnetière ?, demanda Hans.

- On se connaissait depuis une quinzaine d'année, par le tennis, puis par le boulot.

- Vous êtes marié ?

On parlait déjà de femmes. La sienne. Hans était pressé.

- Euh...oui.

- Elle n'est pas là ?

- Non elle travaille. Elle rentre à 18h00.

- Vous ne travaillez pas aujourd'hui.

- Non. Je me suis arrangé pour avoir congé le mardi après-midi. Pour mon entraînement de tennis.

- Vous avez un bon niveau ?

Étienne sourit :

- Je ne suis pas Federer, mais pour un amateur, je me défends.

Alice interrompit Hans. Elle était, il fût bien surpris, plus pressé que lui-même:

- Nous savons que vous et monsieur Bonnetière êtes amateur de femmes, et qu'ils vous est arrivés de faire l'amour à trois. Ma question est, est-ce que vous pourriez avoir une idée de quelle femme monsieur Bonnetière est la victime.

Étienne déglutit. Il était devenu légèrement rose. Il soupira.

- Je vois que vous êtes bien renseigné à mon sujet...

- Nous venons d'interroger Jessica Tardy, annonça Hans, satisfait de l'intervention d'Alice.

- Ah...Jess !

- Oui, fit Alice. Nous ne nous intéressons pas du tout au détail de votre vie sexuelle, monsieur Fournier, mais dans cette affaire, c'est tout de même par ce biais que nous sommes amènés à nous intéresser à vous (elle sourit un peu sèchement). Alors, je repose ma question, avez-vous vu monsieur Bonnetière être en relation avec une femme qui pourrait, réfléchissez-bien, être la personne qui l'a empoisonné.

Étienne soupira. Pour deux raisons.

La première, il était soulagé que la jeune inspectrice s'écarte de la description de sa vie sexuelle et oriente l'interrogatoire vers une autre personne que lui-même.

La deuxième, il n'avait aucune idées qui ne lui viennent à l'esprit sur une éventuelle personne qui aurait souhaité s'en prendre à Jérôme. Et puis, il avait presque envie de le préciser, mais cela le ramènerait vers sa vie privée et intime, que lui et Jérôme n'étaient pas non plus des prédateurs sexuelles qui baisaient tout ce qui passait. Il ne fallait pas exagérer. Il réfléchissait en buvant son café. Puis il eut tout d'un coup une moue de petite satisfaction :

- Je me souviens que cet été, il a eu une histoire avec une certaine Elizabeth...

- Elizabeth Masson, oui, on est au courant. Nous l'avons déjà interrogée, l'interrompit Hans.

- Oui. Elizabeth Masson. Je dois dire que il me semble qu'elle était un peu nerveuse comme femme...

- Vous avez aussi eu un plan à trois avec elle ? demanda sans détour Alice.

- Euh...non.... ! Dites-donc, vous êtes très directe vous !?

- Dans une enquête policière sur des meurtres on est obligé d'être directe, parfois. Désolée, répondit l'inspectrice sur un ton sec.

Étienne ressentait l'animosité d'Alice à son égard. Son jugement. Lui, n'était qu'un salaud qui saute des femmes (consentantes votre honneur, objection acceptée) en compagnie d'un copain aussi lubrique que lui. Tout ça, dans le dos de leur femmes respectives.

- Non, nerveuse, c'est-à-dire, compliquée...psychologiquement instable. Et son nom commence par un "E", non...

Il devenait légèrement provoquant. L'attaque est la meilleure défense.

- Ouaips ! Si instable, si nerveuse que je la vois mal manipulé de la cyanure, tirer à l'arbalète, à la lueur de l'aube s'il vous plaît , et viser parfaitement le tronc d'un arbre...mais bon, peut-être que vous avez raison, on ne sait jamais !

Alice avait été cinglante. C'était vraiment elle qui cette fois avait prit l'interrogatoire en mains. Hans ne savait pas tout à fait quoi dire. Il l'a laissa poursuivre :

- Non. Ce que nous souhaitons savoir, c'est, est-ce que il est possible que, sans le savoir, vous ayez été en contact avec "E", que vous l'ayez vu ? Essayez de bien réfléchir, bien vous remémorez des détails...

Étienne laissa tomber la provocation, et essayait de se souvenir de quelque chose d'autre.

- Pffff...difficile...

Hans intervint alors avec une proposition concrète, sur un ton presque sympathique, Alice le lui reprocherait sitôt dehors :

- Souhaiteriez-vous une protection policière, monsieur Fournier.

Le directeur des douanes, malmené par Alice, un peu réhabilité par Hans, décida de la jouer fort :

- Non merci. Je ne pense pas que cela soit nécessaire. Je suis quelqu'un de prudent et d'organisé. Si je vois quelque chose qui ne semble pas être normale je suis immédiatement sur mes gardes...il ne me viendrait jamais à l'idée d'avaler des dragées sans savoir d'où elles viennent...


Dix minutes plus tard, Alice et Hans montèrent dans la BM de Hans. Pas plus avancé. Etienne Fournier n'avait pas réussi à leur fournir d'informations sérieuses. Comme ils en avaient l'habitude, les deux inspecteurs lui avait laissé leurs cartes, en espérant que quelque chose lui reviendrait à la mémoire.

- Puant ce mec ! fit la jeune femme.

Hans resta silencieux. Laissa Alice déverser son venin :

- Et toi, tu lui proposes une protection policière, le ton mielleux...

- Tu as été dure avec lui. Un peu trop à mon sens. Tu peux pas le saquer, ce qui te fait croire que tu as le droit de lui parler comme tu l'as fait. Essaie d'avoir le détachement que je t'ai connu jusqu'ici , même quand ça heurte tes convictions personnelles...t'es pas là pour refaire l'éducation des gens.

Alice demeura coi. Il n'y avait plus d'herbes à couper sous ses pieds. Hans avait parfaitement résumé la situation, et il avait tout à fait raison. La voiture tourna sur la route des Acacias, dans quelques minutes, ils seraient au commissariat du boulevard Carl-Vogt.

Au troisième étage, tous se retrouvèrent, Abdel et Nicolas les avaient rejoints, pour le traditionnel débriefing du jour. Il était bientôt 18h00, et avec les nuages qui s’amoncelaient dans le ciel la journée s'assombrissait. L'orage allait bientôt éclater. Tous avaient leur café à la main. Le Délizio de la Migros, c'était moins cher que le Nespresso.


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