Jeudi 4 octobre 2018

La conférence de presse de la police, la veille, avait été historique.

Diffusée en direct à la télévision Suisse Romande.

L'essentielle y avait été transmis à la population genevoise : la boule de verre contenait un puissant poison à base de cyanure, le même que pour Jérôme Bonnetière. Sous forme de gaz cette fois. Et le malheureux en avait inhalé suffisamment pour trépasser, très rapidement. Mais la substance s'était ensuite volatilisée dans l'atmosphère, par la fenêtre ouverte de la voiture. Franco Bernardi avait mentionné la revendication du meurtre par "E" tout en taisant la proposition saugrenue du message. "E" revendiquait. C'était tout. Les gens n'avaient pas besoin d'en savoir plus ! Il ne fallait en aucun cas faire de la publicité pour les idées nauséabondes du ou de la mystérieuse "E". Cette fois-ci, tous les conseillers d'État furent mis sous protection policière. Sauf Elizabeth Page. Elle n'en voulait résolument pas, et proposa, avec une certaine ironie, que l'on donne son garde du corps à Jean-Pierre Lonfat. Tout les drapeaux du canton furent mis en berne. Une véritable folie s'empara des médias. C'était la toute première fois de l'histoire helvétique qu'un conseiller d'État était assassiné ! Président en plus ! Et la revendication de la mystérieuse "E" attisait les discussions autour de toutes les tables. Qui cela pouvait-il bien être ? La Tribune de Genève titra :

" LA TERRIFIANTE ENTRÉE

DE GENÈVE

DANS LA TERREUR

DU TERRORISME ! "

Les trois T résonnaient dans la tête des genevois : Terrifiant, terreur, terrorisme ! Et le "E" était leur dénonymateur commun, leur synonyme.

Jeudi 4 octobre, pas moins de trente-et-une pages rendaient compte de tout ce que l'on savait sur l'affaire "E" , c'est-à-dire pas grand chose en fait, et surtout de tout ce que l'on supputait.

- Bon ! Quels éléments avons-nous aujourd'hui qui nous permettraient de lever un tant soit peu le voile sur ce mystérieux "E" ?, demanda Hans, debout dans le grand bureau du cinquième étage du commissariat de la police judiciaire du boulevard Carl-Vogt.

Le QG de l'affaire "E". Devant lui, assis, Nicolas Vidon qui jouait avec son stylo, Abdel Chentali qui toussait. Debout, derrière et s'appuyant des fesses sur le bureau, Alice Noît.

Il formula lui-même la réponse :

- "E" est une femme, apparemment, sachant manier la cyanure, peut-être une chimiste. Elle sait également comment faire pour saboter les freins d'une voiture. Ce qui me fait immédiatement penser qu'elle n'agit pas seule. Ce qu'elle a accompli jusqu'à maintenant est trop complexe pour être le fait d'une seule personne. "E" est une femme entre trente et quarante ans, je pense. C'est une suissesse, qui habite dans le canton, ou alors éventuellement dans le canton de Vaud. Et il est clair, malheureusement, qu'elle va encore sévir. Je pense que nous sommes devant une affaire qui va durer dans le temps. Évidemment, il est hors de question de céder à la demande de "E". Jean Walder ne sera pas le président intérimaire du conseil d'État. Voilà. Quelqu'un voit d'autre choses ?

Les trois se regardèrent. Abdel ajouta :

- "E" est quelqu'un qui a eu des problèmes pour trouver du travail à Genève, ou alors pour un proche, son mari, ou ses enfants.

- Bien vu, Abdel, approuva Hans.

Et, sur le grand tableau où tous les éléments dont il avait parlé étaient restitués, photos à l'appui, il inscrivit l'hypothèse du commissaire.

- J'ai pris rendez-vous avec Jean Walder. Alice et moi-même le voyons tout à l'heure. Nicolas, ça donne quoi les analyses des sms de Bonnetière ?

- Que c'était un chaud lapin...

- Mais à part cela, concrètement ?

- Concrètement ?! Deux personnes à interroger. Jessica Tardy et Étienne Fournier.

- Bien...tu as les adresses ?

- Pas sur moi. Je te les donnerai.

- Qu'attend-tu ? Nicolas. Je veux que chacun ait tout ce qui concerne l'affaire "E" sur lui. Il faut aller le plus vite possible. C'est toujours au début d'une affaire que l'on se trouve le plus près de sa solution ! Plus d'eau coule sous le pont, plus cette eau emmène loin des éléments cruciaux...

Alice souriait. Mon dieu qu'est-ce qu'il parlait bien pour un suisse-allemand !? C'était tout simplement incroyable : « éléments cruciaux ! ». Comment pouvait-il utiliser un vocabulaire aussi précis ? Et elle le regardait gesticuler, montrer les éléments du tableau, essayer de comprendre. Dans son costume gris, sa cravate noire, sa coiffure, la raie sur le côté. Il semblait débarquer d'un autre temps. Comme s'il sortait d'un film américain des années 50.