Construction

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 Il me fallait écrire cette lettre. Officiellement, la consigne était de révéler ses sentiments, quelle qu'en soit leur nature. Officieusement, je voulais utiliser cet exercice pour enfin avouer ce qui m'angoissait, ce qui me traumatisait, ce qui m'empêchait de vivre chaque jour un peu plus. J'avais cru qu'il serait facile de tout réveler mais je me retrouvai à présent crayon dans la main sans pouvoir en extraire les moindres mots. Je voulais à la fois tout dire et tout cacher. Je voulais que mon message soit clair mais qu'il y ait une lecture plus fine, une valeur ajoutée, comme si mon histoire n'était pas la mienne mais un roman que j'aurais aimé lire en me disant: "Heureusement que c'est de la fiction !". A présent, tout était plus délicat à aborder. Moi-même je ne trouvais pas la forme tout en ayant accès au fond de ma pensée alors je n'imaginais pas les autres comprendre ce qu'il se cachait dans mon esprit. J'étais résigné et évidemment en retard pour ce travail que je devais rendre le lendemain matin. J'allais passer une nuit à affronter mon passé, qui serait sale au début puis une fois les bons mots trouvés et le style amélioré, immaculé, parfait. C'était vraiment paradoxal.

 Puisqu'il fallait bien commencer quelque part, je m'assis, me redressai et inspirai longuement avent d'expirer. J'étais zen et calme ainsi que profondément boulversé. Comment exprimer des sentiments que l'on vit quotidiennement jusqu'à ne plus remarquer qu'ils existent ? Je connaissais la haine, le dégoût, la peur parfaitement mais tout comme les conducteurs qui ont passés leur permis depuis longtemps, je ne savais plus les expliquer. Sans m'en rendre compte j'avais déjà perdu le fil de mes pensées. Je scrutai ma montre: 22 heures et 35 minutes. Je soufflai. Je pensai un instant à sortir pour provoquer le déclic que je cherchais depuis 2 ans, depuis que j'avais quitté ma "maison". Cette réflexion me donna un premier jet d'idée qui pouvait me mener à tirer au fur et à mesure sur le fil de ma souffrance. Je saisis enfin ma vie, ou plutôt mon crayon à papier, et engageai mes premières formes souples sur un cahier.

"Je vivais dans ce foyer depuis ma plus tendre enfance, sans mon père, partit trop tôt pour me voir grandir. Ma mère en parlait peu et je ne voulais pas en savoir plus. Nous vivions dans une petite maison mitoyenne elle et moi avec des faibles revenus et des dettes. Cette situation n'était pas idéale mais au début, nous étions juste bien. J'étais jeune et innocent face à ce genre de chose et je voyais ma mère comme une personne forte qui chaque jour m'élevait avec autorité mais tendresse en m'apprenant ses valeurs."

Je dû déjà m'arrêter, confronté à une marée de sentiments; majoritairement de la nostalgie. Ma petite enfance avait été celle d'un garçon insouciant et léger. Si seulement la suite était la même. Fondamentalement, je pouvais encore changer le sujet de ma lettre qui n'avait par ailleurs encore aucun destinataire, mais c'était un devoir envers moi-même. Je sentais qu'il fallait poser ce poids maintenant pour mieux avancer dans la vie. Je continuai:

"Dès mes 5 ans, les choses se dégradèrent. Je ne sais pas comment, je ne sai spas quel mécanisme était lié à cette violence que je decouvrais avec mes yeux d'enfant. La période heureuse qui venait de passer était trop floue pour que je construise ma personnalité sur ce bon socle. Ma mère, autrefois aimante n'était plus qu'autoritaire. J'allais maintenant à l'école et ma crainte se trouvait lors du chemin du retour lorsque je me demandai si j'allais manger le soir même ou encore si on allait me punir. Cela peut paraitre anodin mais je sentais déjà que résidait ici le début d'une pente de plus en plus glissante avec comme finalité un ravin dont on ne peut sortir seul.

Je me rappelle d'un soir, peut-être à mes 6 ou 7 ans , durant lequel le fil entre violence psychologique et physique fut dépassé. Je passai le pas de la porte, entrai dans la cuisine pour prendre mon goûter, comme à mon habitude, en rentrant des cours, et ma mère était au téléphone. Je su que j'avais surpris une conversation privée. Elle parlait d'argent à quelqu'un, peut-être un banquier, un ami, un copain ... mon père ? Elle m'avait vu dans le coin de la cuisine, les yeux rivés sur elle et raccrocha. Elle était furieuse et je ne l'avais jamais vu comme cela. Son visage tordue de colère, rouge, larmoyant m'implorait de partir. Mais je restai paralysé. Elle m'avait attrapé par le bras, approchant sa tête de la mienne. Je pouvais sentir l'odeur peu plaisante de la cigarette et une autre que je n'ai jamais su identifié mais qui resta autour d'elle les 10 années suivantes. Elle cria de plus en plus fort à quel point j'étais malpoli et leva son poing avant de l'abattre sur mon épaule. J'essayai désespéremment de me défaire de son emprise mais elle enfonçait ses doigts dans ma peau pour me garder près d'elle. Soudainement, elle se mit à genou et pleura en s'excusant et me prit dans ses bras. J'étais désabusé."

J'avais écrit ces lignes d'une traite par peur d'oublier des détails mais je savais qu'ils n'étaient jamais loin dans mon esprit car trop marquants pour être oubliés. Je me rappelais de tout. De tout ce qui suivait et je devais faire une pause. Je me noyais dans mes propres sanglots, dans tout ce que ressassait ce simple souvenir, traumatisant. Je fis une pause, j'en avais besoin.

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