25 octobre 1993 - 7h55

3 minutes de lecture

On pourrait presque croire que rien ne s'est passé vendredi, juste avant le weekend.

Je sens l'espoir poindre, cruel, dans ma poitrine, que tout ça ne soit qu'un rêve. Shay va descendre de la voiture de son père, le sourire aux lèvres, elle viendra me parler, comme chaque matin. Et quand je regarderai dans ses yeux, je n'y verrai pas le poids de ma trahison. Et quand je lui demanderai si tout va bien, elle dira oui, elle mentira, mais au moins, ça ne sera pas à cause de moi.

Mais non.

Cette fois, quand elle descend, elle se dirige vers moi d'un pas décidé. Plus que quelques minutes avant que les cours ne commencent. Elle ne me salue pas en arrivant. Normal. Elle préfère attaquer tout de suite.

- Tu ne pensais pas un mot, pas un seul, de tout ce que tu m'as dit vendredi. Et je refuse que tu brises notre amitié parce que tu trouves que tu n'es pas assez impliquée et trop nocive pour moi.

Ah! Son bien connu sixième sens qui a dû s'actionner toute la nuit. Et comme d'habitude, elle vise exactement là où ça fait mal : la vérité.

- Tu te trompes.

Je suis impassible. Je n'ai plus envie de pleurer. J'ai toujours mal, et je crois que ça ne s'arrêtera jamais, mais au moins, je n'ai plus cette pitoyable apparence de déchêt que je devais arborer hier.

- Non. Arrête de nier, s'il te plaît, Saa. Ca ne sert à rien.

- Ecoute, je sais que tu viens vers moi parce que tu n'as pas envie de te retrouver définitivement seule, mais c'est terminé, Shaylon. Ter-mi-né! Qu'est-ce que tu ne comprends pas là-dedans ? C'est vraiment trop dur à accepter que tu n'es peut-être pas une personne si géniale que ça, que je n'ai peut-être vraiment pas envie de rester avec toi ?

Oui, je suis un monstre. Ce que je viens de dire, c'est la dernière chose qu'il fallait pour la convaincre que je ne mens pas, et je viens de l'asséner avec une telle force que je recommence à douter de mon humanité, comme cette nuit. Je vois la compréhension se frayer un chemin dans son esprit. Je vois ses épaules s'abaisser, j'entends son inspiration tremblotante. Les dernières bribes d'espoir auxquelles elle a dû se raccrocher toute la nuit sont détruires pour de bon.

Monstre, monstre, monstre, monstre, robot, inhumaine, monstre, monstre, monstre...

- D'accord.

Je vois bien qu'elle essaye de reprendre contenance.

La cloche sonne.

- Au revoir.

Mais je suis déjà partie quand je prononce ces mots, et ils sont si faibles que je doute qu'elle les ait entendus.

*

La matinée passe, pour une fois, à une vitesse incroyable. Mes pensées volatiles me laissent heureusement tranquille, ne venant s'immiscer dans mon cerveau qu'une fois pendant le déjeûner.

J''ai senti - et évité - le regard de Shay sur moi des heures durant. Mais je me suis concentrée de toutes mes forces sur le cours, et je me suis répété sans fin que c'était pour le mieux. Alors, la matinée a fini par passer sans que je m'en rende compte. Nous n'avons plus qu'un cours avant que ma mère ne vienne me chercher, et j'ai hâte, tellement hâte que le calvaire prenne fin. Est-ce que ça va être comme ça tout le temps à partir de maintenant ? Aujourd'hui, j'ai retrouvé mon amie la solitude. On ne me dévisage plus, parce que tout le monde part du principe que je suis toujours amie avec Shaylon, toujours si prompte à me défendre, mais bientôt, les théories vont fuser. Quelqu'un va bien finir par se rendre compte que nous ne sommes plus collées ensemble quel que soit le moment de la journée...

Cependant, pour le moment, ma tranquillité est encore relativement là. Si mon esprit ne bouillonnait pas de remords, je pourrais peut-être m'enfermer dans un de mes mondes imaginaires, mais à chaque fois que j'essaye, mes pensées se dirigent invariablement vers mon ancienne meilleure amie, comme pour accroître ma culpabilité jusqu'à ce que je n'en puisse plus.

Quand la sonnerie retentit enfin, je bondis de ma chaise si vite qu'elle se renverse en arrière. J'entends quelques rires dans mon dos, mais je sais maintenant les ignorer à la perfection. Ce genre de petites choses ne m'atteignent plus. La seule émotion que leur acharnement provoque en moi, c'est de l'agacement. J'attrape mon sac à dos, fourre mes affaires à l'intérieur et me dirige à grands pas vers la porte.

Le trajet de retour, avec Maman, se déroule dans un silence pesant. Elle sent que quelque chose ne va pas, c'est évident, mais sait-elle exactement quoi ? J'espère que non, pitié...

"Et j'ai vu la dernière lueur d'espoir s'éteindre dans tes yeux, et jamais je n'avais eu aussi mal."

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