23 octobre 1993 - 01h55

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Je n'ai pas osé allumer la lumière, même s'il fait nuit noir.

J'ai retenu mes larmes toute la soirée. Je n'ai pas avoué à ma mère que je venais de briser la seule amitié que j'avais jamais réussi à construire. Je ne lui ai pas avoué que, si je n'étais pas déjà complètement détruite, maintenant c'était chose faite. Je ne lui ai pas avoué que les larmes dans les yeux de Shay, Shaylon je veux dire, se sont plantées dans mon coeur comme autant de poignards pour y rester fichées à jamais.

J'ai mangé.

Je me suis douchée.

Je suis montée dans ma chambre.

J'ai attendu qu'elle s'endorme.

Et pendant tout ce temps, je n'ai pas lâché une seule, pas une seule larme.

Il est environ deux heures du matin, et je viens enfin d'entendre sa respiration s'apaiser à travers la cloison, fine comme du papier. Je sais que je peux me laisser aller. Mais ça ne vient pas. La crise est passée. A force de me contenir, les bonnes vieilles habitudes sont passées. Mes yeux sont à nouveau secs comme un désert.

Je trouve de plus en plus que je porte bien mon prénom.

Je suis aussi desséchée, aride et insensible que le désert. Pas seulement extérieurement, mais aussi intérieurement. Mon corps n'est plus qu'une enveloppe, à l'intérieur seules hurlent mes pensées torturées, hachées en petits morceaux, tellement mélangées à des souvenirs infâmes que je ne peux plus réfléchir tranquillement. Peut-être est-ce mieux ainsi. Si j'avais eu toutes mes capacités de réflexion, je serais déjà partie depuis longtemps.

D'ailleurs, n'est-ce pas le bon moment pour quitter l'Enfer et rejoindre le Paradis ? Contrairement à ceux qui croient en Dieu, je n'ai pas peur d'attérir en Enfer : rien ne peut être pire que la Terre. Alors, n'est-ce pas le bon moment ? Je n'ai plus rien, rien qui me retient ici.

Il me suffit de prendre le couteau qui a remplacé ma lime à ongle sous l'oreiller. Il me suffit de le passer sur mes veines, d'appuyer assez fort, et de me laisser engourdir. Ensuite, tout sera terminé. Exactement comme avec Shay... lon. Je n'ai pas de projets pour l'avenir. Pas d'avenir du tout. Je n'ai aucun espoir.

Tout mon être ne vit que pour cet instant où je cesserai enfin de vivre.

Alors qu'est-ce qui m'en empêche ?

Je ne sais pas.

Je me creuse la tête, mais rien ne vient, aucune réponse illuminée, aucune clef envoyée par le ciel. Je hais ma vie, et je me déteste encore plus de ne pas arriver à définir mon lien avec elle. Je veux une étoile qui brille au-dessus de ma tête. Je veux un guide qui me dise quel chemin prendre. Je veux une chance d'être comme les autres, une chance de ne pas être cette fille folle qui entend des voix dans sa tête, une chance de grandir, d'être libérée de ce cauchemar. C'est pourtant pas demander une montagne d'or, non ?

C'est seulement quand le dernier mot résonne dans ma tête que je la sens.

Je la sens.

Cette unique larme salée qui vient de rouler le long de ma joue, ma joue parfaite, lisse, exempt de toute cicatrice. Elle n'est suivie d'aucune autre. Mais je sens une minuscule lueur d'espoir se rallumer en moi.

Si je suis capable de pleurer ça veut dire que je suis humaine.

Si je suis humaine, ça veut dire que je ne suis pas un robot.

Si je ne suis pas un robot, ça veut dire que j'ai une chance... d'avancer.

Avancer avec la certitude que j'ai pris la meilleure décision pour Shaylon, avancer avec la certitude que, malgré mon père, malgré ce qu'il a fait, je suis encore maître de mon destin.

Maintenant, il est parti, et tout est possible pour moi, pour ma mère.

La larme, ma larme, a dévalé tout mon visage, et vient maintenant rouler le long de ma machoire, pour ensuite bifurquer dans mon cou. Elle se perd dans mes cheveux en bataille, et je ne la sens plus. Mais ce n'est pas grave. Elle est à présent ancrée dans ma tête, son contact glacé sur ma peau.

Je repose le couteau que j'avais inconsciemment attrapé.

Un nouveau départ. Combien vais-je encore en avoir ?

Combien serai-je encore capable d'en supporter ?

Parce que nouveau départ signifie que tout ce qui existait avant a été détruit.

River flows in you (Chanson) - Yiruma

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