L’acclimatation fut compliquée pour les terriens. Le changement atmosphérique avait altéré leur système immunitaire. Tous atteints de polyglobulie, aucun ne survécut longtemps, mais ils accomplirent leurs missions : le transfert génétique.

Trixin décéda peu de temps après ma naissance. Même si je ne l’ai pas connu, je me retrouve en lui. Sa passion de lire des histoires est liée à celle qui me pousse à les écrire. Mon autre parent, Bachold, ne comprend d’ailleurs pas mon envoûtement pour cette activité. C’est difficile pour moi de le lui expliquer. Nous ne sommes pas faits pareil. Je m’en rends compte maintenant.

Les premiers humanoïdes, arrivés à l’âge adulte comme moi, se sentent très différents des sonatiens pures souches. Nous sommes animés d’émotions incontrôlables nous poussant tour à tour à des ardeurs puis à l’oisiveté, ou encore à une grande fatigue émotionnelle. Cet écart comportemental provoque de l’incompréhension de part et d’autre, un fossé de plus en plus profond entre les pures souches et les hybrides. Un mal-être sous-jacent semble bel et bien en train de fractionner notre peuple Sonatien au passé si harmonieux. Le gène terrien aurait véritablement pris le dessus en positif comme en négatif et Sonate serait en train de recréer la symphonie infernale de la société humaine avec ses mêmes travers. J’ai bien peur que ce gène terrien nous ait déjà dominés et rendus fous.

J’ai l’âge de Trixin lorsqu’il arriva sur Sonate, et je m’apprête à engendrer la vie à mon tour et à prolonger le métissage de nos races. Jusqu’à présent la reproduction de notre espèce se déroulait en suivant un protocole précis. Notre patrimoine génétique étant inscrit dans un fichier à notre naissance, nos futurs partenaires étaient choisis via une intelligence artificielle à partir de la compatibilité de nos gènes. De cette manière, nous avions la garantie de ne créer que des êtres robustes. La souche sonatienne garantissait un esprit d’analyse, intelligent, et un corps résistant à toute épreuve. La souche terrestre promettait de la fantaisie, de la passion et un soupçon d’emportement.

Dorénavant, nous les humanoïdes nous rebellons face à ses méthodes de conception arbitraires et revendiquons le droit à déterminer seuls notre compatibilité avec un partenaire dit « amoureux », car oui, un nouveau concept a vu le jour : l’amour. Autrement dit, l’introduction d’un paramètre incertain qui altère le degré d’efficacité reproductif au profit de sentiments aléatoires. En effet, nous savons que ce sentiment amoureux peut ne pas perdurer et peut même dévier vers des pathologies dépressives (un état d’abattement psychique encore à l’étude). Peu nous importe en fait. Nous ne souhaitons plus être manipulés par des machines. Nous voulons être maîtres de notre destin. Nous sommes fiers de notre héritage génétique, de notre mixité, mais nous devons aussi l’apprivoiser et la chérir tous ensemble. En souvenir de la Terre et pour le futur de Sonate.