Trixin

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Quant à Trixin, confortablement installé au fond de son abri, il entamait son septième bouquin intitulé « Adieu Groenland », drame burlesque datant de 2085. Sanxton D’Auboine, l’auteur, racontait l’histoire vraie d’un groupe de clowns parti vivre au Groenland avant la fonte des dernières glaces et leur disparition totale. Entre performances artistiques à l’allure de revendications et survie dans un environnement périlleux, l’écrivain décrivait la difficile transition qui s’opérait entre des habitudes révolues et un présent bien différent où l’on envisageait de domestiquer l’ours polaire.

Lors de l’impact, Trixin entendit une forte détonation puis sentit les quatre murs de son abri trembler. Il crut que la structure allait s’effondrer et le réduire en poussière. Un grondement sourd provenant des entrailles de la Terre avait retenti pendant des heures. Puis plus rien. Il referma son livre et se figea, s’attendant au pire. La notion du temps dans cet abri souterrain était devenue un concept abstrait et en plus sa montre avait cessé de fonctionner. Il resta pétrifié un long moment. Quand il reprit connaissance, un filet de bave s’échappait de sa bouche et avait formé une flaque sur le sol. Les trapèzes contractés, il n’osait pas encore bouger. Ces terribles sons résonnaient toujours dans ses tympans et avaient ébranlé son système nerveux.

Des jours s’écoulèrent. Trixin sortait petit à petit de sa torpeur et s’était remis à lire, ne s’arrêtant que pour s’hydrater et se nourrir. Les heures défilaient et ne se ressemblaient pas. Du fond de son abri, la chaleur montait en intensité et il se déshabillait au fur et à mesure. Alors qu’il venait de terminer un roman graphique retraçant l’évolution du maillot de bain au fil des siècles, son propre slip commençait à l’incommoder. Il pressentait que de rester plus longtemps dans cet abri le mettrait à coup sûr en péril. Il devait se rendre compte de la situation au-dehors. Nu, mais muni de son masque à gaz, il actionna l’ouverture de l’immense porte blindée, monta un escalier et se retrouva dans le couloir qui menait à la sortie sur le monde extérieur. Il entrebâilla cette dernière ouverture et n’aperçut que d’épais nuages de poussière, pas plus loin que le bout de son nez. L’air y semblait moins étouffant que sous terre, car des vents soufflaient en tous les sens. La porte se referma violemment. Des particules en suspension flottaient à présent autour de lui et des fissures inquiétantes étaient apparues le long du mur. Il se hâta de rejoindre son bunker où le contraste de température était devenu flagrant. Il se devait de trancher très vite : rester à l’abri et mourir de chaud ou s’aventurer dehors et mourir d’épuisement. Après réflexion, il choisit de sortir. Non sans mal, il revêtit la combinaison et les bottes qu'il s'était confectionnées des mois auparavant "au cas où" (les rumeurs d'apocalypses étaient fréquentes à cette époque au vu de la dégradation du monde). Il vérifia ensuite la provision de pilules nutritives gardée dans sa poche banane et se sentit prêt. Il jeta un coup d’œil à tous ces bouquins qui l’avaient nourri spirituellement pendant ces dernières heures. Sans eux, il n’aurait certainement pas eu la foi de partir s’aventurer dans ce monde hostile. En sueur, mais animé d’un optimisme imperturbable et d’une détermination toute particulière, il sortit, non pas pour survivre, mais pour dénicher un ultime ouvrage.

C’est dans un décor ravagé que Trixin, équipé de la tête au pied, commençait sa déambulation dans les rues détruites de ce qu’il restait de sa ville. Les routes parsemées d’embûches devenaient des pièges. Seule une intuition aiguisée permettait d’éviter les obstacles. Prendre à droite plutôt qu’à gauche pouvait lui sauver la vie. Des balcons chutaient brutalement, des toits s’effondraient, des murs basculaient. Il avançait à tâtons et au son. Il pensa soudain à son frère qui avait fait partie des candidats à l’expatriation sur la Lune des années plus tôt. Ils n'étaient plus en contact depuis. Il se demanda s’il allait bien là-haut dans l’espace, car on ne voyait plus la Lune. Lui, par contre, avait voulu rester sur Terre, chez lui, jusqu’au bout du bout de la fin des haricots, un choix qu’il assumait pleinement, sans aucun regret.

Le goudron des routes mijotait. Des bulles éclataient en des « PSCHIIIITT » et libéraient un concerto de pets de bitume nauséabonds. Ses grosses bottes aux semelles recouvertes d’hafnium — un matériau ultra résistant aux hautes températures — lui permettaient de ne pas trop s’engluer dans ce sol mouvant. Sa combinaison à capuche tissée en fibre de verre l’isolait un tant soit peu de la forte chaleur. Des restes d’enveloppes charnelles à moitié fondues jonchaient le sol un peu partout et semblaient griller comme des saucisses sur un barbecue. L’air fluctuait entre suffocant et irrespirable. Au milieu de cette fournaise, Trixin, le miraculé, poursuivait son petit bonhomme de chemin, malgré les conditions apocalyptiques. Il perdait ses cheveux et sa peau se craquelait par endroit, laissant la chair à vif parfois. Heureusement, il savait parfaitement où il allait. Il ne s'écarterait en aucun cas de son objectif, car lire un dernier livre était la seule chose qui faisait encore sens dans tout ce chaos.

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