Ikar Babi

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L’avènement d’Ikar Babi à la présidence de l’autorité mondiale avait profondément marqué le début du XXIIe siècle. Parce qu’il croulait sous l’or, il avait acheté territoire après territoire et était devenu un jour le maître du monde. Il régnait ainsi en monarque tout puissant et indéboulonnable depuis cinquante ans et cela durerait jusqu’à sa disparition. Les tentatives de coups d’État avaient échoué les unes après les autres, car on ignorait sa résidence exacte. Nul ne savait non plus s’il avait une famille, une descendance pour lui succéder ou encore des problèmes de santé. Sa vie entière demeurait un vrai mystère tout comme les décisions qu’il semblait ne prendre qu’en concertation avec lui-même, incomprises la plupart du temps. De ce fait, il était devenu très impopulaire au fil des ans. On le qualifiait souvent de personnage égocentrique, fantasque et quelque peu simplet.

Il avait un jour, par exemple, réquisitionné avec l’aide des militaires de toute la planète, les plus belles pastèques sur les étals des marchés afin de remplir sa piscine et de s’offrir un bain exotique aux vertus anti-âge. Des images d’hommes armés jusqu’au cou arrachant les fruits des mains des gens avaient profondément choqué l’opinion publique et marqué le tournant vers son impopularité retentissante.

Pour couronner le tout, quelques mois plus tard, il imposa l’usage unique d’un carburant nouvelle génération. Il le qualifiait d’exceptionnel tant il était censé révolutionner l’industrie automobile. En effet, on peut dire qu’il fut exceptionnellement désastreux. Au bout de quelques semaines d’utilisation à peine, tous les véhicules eurent leurs réservoirs oxydés et rongés jusqu’à la moelle par cette mystérieuse essence en rien écologique. L’impact sur l’environnement s’avéra pourtant écoresponsable puisque le trafic routier disparut du jour au lendemain et la pollution au dioxyde de carbone se volatilisa dans la foulée. Était-ce une manigance intelligente mise au point par Ikar Babi lui-même ? Connaissant le personnage, on peut en douter. C’était peut-être la conséquence involontaire d’une de ses énièmes décisions hasardeuses. Toujours est-il que des tonnes de carcasses de voitures fleurissaient depuis, le long des chaussées. Ce paysage encombré et défiguré devint la piqûre de rappel quotidienne de tout un chacun leur remémorant ainsi leur perte de mobilité. Il restait cependant le réseau ferroviaire. Celui-ci, pris d’assaut, augmenta ses tarifs de façon exponentielle. Aussitôt, on soupçonna un arrangement tacite entre le président des chemins de fer et Ikar Babi, car comme par enchantement, la construction de voies ferrées se déploya un peu partout. Tout d’abord sur toutes les autoroutes désormais inutiles puis après un ratissage des milliers de ronds-points, sur les routes nationales. Les déplacements se résumaient, désormais, à de grandes lignes droites ponctuées d’un nombre infini d’arrêts. Les temps de trajets d’un point A à un point B avaient triplé. Les tramways prenaient le relai dans les villes. Par contre dans les zones moins denses, il ne restait plus qu’à se débrouiller et finir le trajet en marchant. Le jadis bien aimé « vélo », pour une personne, céda la place à un cycle d’un nouveau genre : le multipédalo. Sur le principe du tandem, des dizaines de vélos accrochés les uns derrière les autres permettaient aux gens d’unir leur force et d’avancer plus vite. Des petites roues de chaque côté équilibraient symétriquement l’embarcation en plusieurs endroits. Des arrêts fréquents donnaient la possibilité aux pédaleurs de se relayer et permettaient de prendre le multipédalo en route, via un système de réservation. Au final, les citoyens avaient réussi à s’adapter et semblaient plus soudés qu’avant. De plus l’air de la planète était de meilleure qualité. Mais c’était sans compter sur la rancœur qui n’en finissait pas de ronger leurs cœurs.

Du haut de son trône, Ikar Babi avait répertorié toutes ses plus grandes actions dans un livre d’or qu’il feuilletait à l’occasion, lorsque l’inspiration se dissipait. Désormais à court d’idées, il s’ennuyait. C’est alors qu’il reçut l’information de la menace de l’astéroïde. Il restait trois semaines avant l’impact.

Son premier réflexe fut d’enrager : les aliens l’avaient bien eu. De toute évidence, l’accord qu’il avait négocié avec eux tombait à l’eau. Comment avait-il pu être aussi naïf d’accepter leur proposition d’infiltrer la NASA contre la promesse d’un séjour dans l’espace, all inclusive ? Sa deuxième réaction fut de ruminer aussi longtemps que possible comme un boudeur infatigable. Puis la colère lui vint. Il tenta pendant des jours de contacter ce fameux monsieur Brixstonk, son interlocuteur extraterrestre, sans succès. La tonalité de son GSM sonnait dans le vide. Embarrassé, il alla réfléchir dans son jacuzzi. Il imaginait déjà les déchaînements d’excès en tout genre des 250 000 milliards d’habitants quand il divulguerait cette annonce implacable. C’était l’étincelle parfaite qui viendrait pimenter son morne quotidien. Au bout d’une semaine, à flotter dans son jacuzzi tiédasse et à fantasmer sur des scénarios improbables, il décida d’en sortir fripé, certes, mais avec la conviction que l’heure était venue pour lui de se délester de cette lourde nouvelle afin que les états gèrent le problème à sa place.

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