Deux options, une réalité

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Deux semaines avant l’impact donc, en visioconférence, Ikar Babi annonça aux cinq cent quatre-vingt-quinze nations la funeste information ainsi que l’ordre de se concerter entre eux et de mobiliser leurs forces militaires au plus vite (en gros, débrouillez-vous et bon débarras). Cinq cent quatre-vingt-quinze interlocuteurs, rien que ça. Leur nombre n’avait cessé d’augmenter, année après année, fracturant des territoires les uns après les autres, multipliant les frontières, cloisonnant les cultures, barricadant les échanges.

Cependant, face à l’urgence de la situation et après moult débats virtuels nuit et jour, il n’y avait guère plus que deux solutions. La première, plébiscitée par la majorité, consistait au lancement de missiles en direction de ces arrogants dix kilomètres de circonférence de roche. A priori, la seule façon possible de pulvériser cette menace et de la réduire en morceaux (l'opération fut baptisée "Bruce Willis" en hommage à ses actions de sauvetage de la planète dans les films du 20e siècle). Les détracteurs de cette option insistaient sur le fait que les débris pouvaient demeurer très dommageables, car on ignorait par avance leur hypothétique nouvelle taille. Ils vantaient plutôt la méthode du détournement. L’idée était d’expédier une mission spatiale jusqu’à faible distance du monstre. Elle exercerait une pression en envoyant ce qu’il fallait envoyer et son orbite serait modifiée. Un jeu d’enfant, si seulement le délai eût été assez long pour acheminer une navette jusqu’à lui… Amers, ces détracteurs regrettaient le temps précieux dont on les avait privés.

Bref, la première option fut retenue. Les militaires prirent le relai et rassurèrent tout le monde avec leur flegme et leur sang-froid légendaire. En vrai, ils n’en menaient pas large. Ils devaient surtout déterminer le meilleur endroit pour braquer les engins de guerre puis s’assurer de la procédure de tir. Il n’y aurait pas de seconde chance. La base militaire d’Europe du Nord avait été choisie. Il ne restait plus qu’à désigner la personne chargée d’appuyer sur le bouton de lancement de missiles, à l’heure « H ». On décida de tirer à la courte paille. Léopold Cugnac fut l’heureux perdant ou gagnant, (cela dépend du point de vue de chacun). Il encaissa la décision comme le gradé expérimenté qu’il était, mais dans sa tête des pensées contradictoires l’inondaient. Il avait l’impression de n’avoir jamais vraiment eu de chance dans sa vie, mais plutôt la fâcheuse tendance de toujours se retrouver au centre d’un maelstrom. La minute d’après, il se convainquait plutôt du contraire. Devenir le sauveur du monde était un privilège. Il se devait de gérer au mieux cette situation.

Plus l’heure de l’impact se rapprochait, plus le ciel arborait une couleur dantesque prémonitoire dans les tons jaune-gris. Un silence mortel flottait entre les nuages. Léopold, les mains moites et les pieds poites, commençait à ressentir les effets du stress.

Pendant ce temps-là, l’humanité ignorait encore qu’elle était dans de beaux draps. C’est donc soixante-douze heures avant le choc prévu que la population mondiale fut avertie. On repoussa au maximum le moment de la divulgation de cette bombe de peur des conséquences. Avec raison, car dès l’annonce les parano-sceptiques manifestèrent leur mécontentement en faisant preuve d’une grande créativité : abandon de postes, blocages des rails, incendies de wagons, réalisations de banderoles aux slogans haineux… Les terrifo-crédules, eux, se barraient aussi vite que possible loin, très loin. Des déplacements massifs s’intensifiaient alors vers les régions éloignées de la zone d’impact prévue, multipliant le chaos dans les gares, le vol de multipédalos, créant des marées humaines avec des ampoules aux pieds. Quant aux déprimo-sadiques, ils étaient devenus incontrôlables. Certains s’en donnaient à cœur joie et commettaient toutes les atrocités qui leur passaient par la tête. D’autres se suicidaient directement.

Alors que les hommes n’écoutaient que leur cerveau reptilien, ailleurs sur la planète tous les animaux ne réagissaient pas pareil. Les petites bestioles mutantes comme les poissards, castoutres et crapnouilles désertaient la surface pour s’enfuir sous terre. Par contre, les vaches, cette espèce endémique sur laquelle aucun mélange génétique n’avait porté ses fruits, restaient en place à regarder passer les trains archi bondés, en toute quiétude.

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