CHAPITRE 5

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~ Justine ~

Je me lève précipitamment du matelas en percevant un vacarme de tous les dieux qui provient du rez-de-chaussée. Mes jambes me conduisent à toute allure jusqu’en bas de l’escalier. La vision à laquelle je fais face me remplit autant d’effroi que d’incompréhension. Mais que lui est-il arrivé ? Je me rends à son côté aussi rapidement que possible et l’aide à s’allonger sur le canapé. Pas un mot ne s’échappe de nos lèvres. Seule ma panique envahit la pièce. Le sang qui macule certaines parties de son corps vient tâcher mes doigts. J’aperçois aussi des bouts de chair brûlée. Dans quoi est-il allé se fourrer ?

A peine l’ai-je installé que je retourne à l’étage à toute vitesse. Mon cœur bat à mille à l’heure, les questions se succèdent dans mon esprit. La trousse à pharmacie à la salle de bain, je vais réveiller mamie.

— On a besoin de toi, m’exclamé-je sans plus de cérémonie en entrant dans sa chambre.

Ses yeux s’ouvrent péniblement mais elle ne perd pas de temps et se lève quelques secondes après son réveil forcé.

— Que se passe-t-il, Justine ?

— C’est Mattys, lâché-je sans plus de précision en rebroussant chemin.

Je ne l’attends même pas tant l’affolement fait vibrer mes muscles. Elle jure les dents serrées puis s’empresse de me suivre jusqu’en bas où nous retrouvons le blessé qui essaie de se mettre debout. Je me dirige vers lui et le force à se rallonger malgré ses protestations. Mamie se place face à nous puis prend une expression sévère en le regardant.

— Qui était-ce ?

— On peut en parler plus tard ? soupire-t-il. En privé.

— Certainement pas. Ce n’est pas souvent que tu rentres dans cet état alors je veux le fin mot de l’histoire.

J’observe leur échange en espérant ainsi obtenir la vérité sur ce qu’il trafique. Leur regards s’accrochent l’un à l’autre, ils semblent lutter l’un contre l’autre. Il cède finalement face à la résistance de son adversaire en se dérobant de ses yeux acérés.

— Tu penses pas que…

— Non, explique, le coupe-t-elle.

— Cellian et sa clique se sont ramené pendant qu’on faisait… pendant qu’on traînait. Ils sont plus nombreux et plus forts qu’avant, on les a repoussé mais on s’en est quand même pris plein la gueu… la tête, se corrige-t-il avant même qu’elle ne le reprenne.

Je muselle mes lèvres alors même que l’envie d’exiger des réponses à grands cris me ronge l’estomac. Je sors du coton et du désinfectant tandis qu’elle se frotte le bout du nez en semblant réfléchir à la situation présente. Mes doigts compressent le disque imbibé sur la plaie à la jambe de mon frère. Il ne peut s’empêcher de grimacer sous la douleur. Bien fait pour lui. Et en même temps, je suis morte d’inquiétude pour les ennuis qu’il s’est attirés.

— Ça va devenir problématique, Mattys. Ils savent maintenant qu’ils peuvent s’opposer à toi et te causer des dommages.

— Mais… tente-t-il d’intervenir.

— Tu as gagné cette fois. Rien ne dit que ce sera le cas les prochaines. Tu as gagné au moins ?

— Dans la mesure où ils sont plus amochés que nous, je dirais que oui.

Je prends les bandages après avoir terminé de désinfecter ses plaies sanguinolentes. Je les enroule avec d’infinies précautions autour de ses avants-bras sévèrement brûlés. J’ai mal pour lui à la simple vision de ses blessures. Il ne me prête pas vraiment d’attention durant toute la procédure, se contentant de laisser échapper quelques rictus et grognements de douleur. Une fois ma tâche finie, je regarde les deux membres de ma famille en m’appuyant contre le dossier du canapé. Comme ils ne semblent pas décidés à m’expliquer de leur propre initiative, je n’ai d’autre choix que de les y pousser.

— Quelqu’un peut-il me dire ce qu’il se passe exactement ? lâché-je plutôt sèchement.

— Oui, répond brièvement Mattys.

Une vague de soulagement m’étreint. Mais, alors que j’attends une suite, rien ne vient. Je lui fais signe de continuer.

— On peut mais je ne veux pas.

La réponse qu’il me donne me satisfait encore moins. Elle m’énerve même. Il veut me faire sortir de mes gonds, ce n’est pas possible autrement. Voyant la situation déraper, mamie sort discrètement de la pièce afin de nous laisser de l’espace.

— Eh bien je ne te laisse pas vraiment le choix ! m’emporté-je. Tu me caches quelque chose et j’estime mériter d’être mise au courant à partir du moment où tu rentres dans un état pitoyable.

Ses yeux se voilent de colère.

— Si je ne te dis rien de cette affaire, c’est peut-être pour ne pas t’impliquer, tu ne crois pas ? Pour te protéger, Ju’. Alors ne viens pas me dire quoi faire, s’il te plaît.

— Mais c’est une blague ?

Il tente de se lever malgré ses plaies mais je l’arrête d’un regard noir.

— Reste à ta place, je n’ai pas fini. Tu crois vraiment que me maintenir dans l’ignorance va m’être d’une aide quelconque. Ne pas connaître la nature du problème va encore plus m’exposer car je ne pourrais pas prendre les précautions nécessaires ou être prudente. Alors, certes, tu partais d’une bonne intention. Mais à partir du moment où je te demande la vérité parce que je l’estime primordiale, tu dois m’en informer. Pour ma sécurité. C’est aussi une question de respect, selon moi. Est-ce que tu comprends ça ?

Je suis prise d’une violente quinte de toux à la fin de ma petite tirade alors je place mon visage au creux de mon coude. Mattys attend qu’elle soit passée pour me fournir une réponse et j’apprécie cette attention. Mais ça ne m’adoucit pas pour autant. De toute façon, nous ne nous serions pas entendus au milieu de ce vacarme.

— Je sais pas si t’as raison. J’arrive jamais à prendre les bonnes décisions quand il s’agit de toi, avoue-t-il, presque à contrecœur. Je veux pas t’inclure là-dedans même si je me dis que je ne vais pas avoir le choix. J’ai peur de ce qui pourrait arriver…

— Je sais mais tu ne devrais pas. Quand on y pense, la situation n’est pas modifiée. Je suis au courant mais personne d’autre ne sait que je le suis. Rien d’autre ne change.

Il passe ses doigts derrière son oreille droite et se frotte pensivement cette zone. Au bout du compte, il lâche un profond soupir puis un grognement.

— Bordel. Bon, d’accord.

Je me retiens à grande peine de laisser éclater ma joie face à cette victoire. Garder une expression neutre, dans la mesure du possible du moins.

— Par contre, je suis pas sûr que tu me crois.

— Sérieusement ? Rien ne peut plus m’étonner, lâché-je avec une pointe d’amertume que je regrette aussitôt d’avoir laissé paraître.

— J’arrive toujours pas à croire que je vais te raconter ça ! s’exclame-t-il en se prenant la tête dans les mains.

Quelques secondes plus tard, ses paumes quittent son visage pour venir se poser sur ses genoux qu’il serre à s’en faire mal.

— On va commencer par le plus invraisemblable… En fait, tout est invraisemblable dans cette histoire. Autant te raconter l’essentiel.

Ses yeux se rivent aux miens. La seule chose que je vois s’y refléter est un sérieux à toute épreuve. Je passe nerveusement une main dans mes cheveux. Ça ne peut pas être si grave. Si ? Ou alors, c’est exactement ce que j’imagine depuis quelques temps. Ou… Je ne sais pas.

— Bon.

Il marque une pause.

— Ne m’en veux pas si je ne trouve pas les bons mots, je n’ai jamais été doué pour la parlotte.

Un nouveau soupir et l’impatience me gagne.

— Allez, Matt’. On n’a pas toute notre vie.

Je rirais presque devant la terrifiante véracité de la chose.

— Je suis certain que tu ne vas pas me croire, soupire-t-il encore.

— Mattys, parle enfin !

— J’ai des pouvoirs ! Voilà, t’es contente ? Et c’est la même chose pour de nombreux habitants de la ville. Ne me demande pas pourquoi, je n’en ai aucune idée. Et… J’en étais sûr, c’est encore plus ridicule à voix haute. Vas-y, dis quelque chose. S’il te plaît.

~ Mattys ~

Je marque un long silence en appréhendant sa réaction. Va-t-elle me croire ? Bordel. Je ne sais même pas pourquoi j’ai consenti à lui avouer la vérité. Et si elle pense que je me moque d’elle ? Ou pire, que je suis fou. Son visage n’affiche aucune expression suite à ma révélation. Qu’est-ce qu’il se passe ? Mon ventre se tord. Merde. Je n’aurais jamais dû. J’ai fait une grosse erreur en l’impliquant. Mes mains couvrent à nouveau mon visage mais un éclat de rire me les fait retirer. Hein ?

Justine n’est plus de marbre et est effectivement en train de rire. Elle pose sa paume sur sa bouche comme pour s’en empêcher cependant rien n’y fait. Tout ce que je ressens est une incompréhension profonde. Mes peurs ne font qu’augmenter en intensité alors qu’elles semblent se confirmer. Elle se moque de moi. Ma propre sœur ne me croit pas. Cette prise de conscience me fout un coup au cœur. Une violente envie de casser tout ce qui me passe sous la main me prend. Je la réfrène autant que je le peux. Je la laisserai éclater une fois en privé, dans le secret tout relatif de ma chambre. Ou dans une ruelle reculée.

Je me lève avec difficulté tandis que ma sœur formule des excuses à travers ses larmes d’hilarité. Mes pieds me conduisent avec lenteur jusqu’au pied de l’escalier. Le fait qu’elle ne me fasse pas assez confiance pour me croire même sur un sujet comme celui-ci me fait mal. J’ai naïvement espéré qu’elle serait toujours à mes côtés mais je n’aurais pas dû sur ce coup-là. Cette vérité est trop abracadabrante. Une main autour de mon bras me retient avant que je ne puisse gravir une marche.

— Excuse-moi, Mattys, retentit sa voix, cette fois dénuée de toute hilarité face à la manière dont j’ai réagi. Ce n’était pas contre toi. Je te crois. C’est juste que, dit de cette façon, ça avait l’air complètement ridicule.

— Vraiment ? j’hésite, toujours dos à elle, peu sûr de moi.

J’ai tellement peur qu’elle me réponde par la négative.

— Oui. Promis. Je te crois. Je suis désolée. Je n’aurait pas dû réagir comme ça, ça a dû porter à confusion. Je te crois, répète-t-elle encore.

Le soulagement m’envahit chaque fois que ces trois mots parviennent à mes oreilles. Elle me croit. Merde. Elle me croit. Tout va bien. Je me passe furtivement une main sur le visage, excédé d’avoir agit si spontanément sans même chercher à comprendre le fond de sa pensée.

— Non, c’est moi, dis-je en me retournant vers elle. Je n’ai simplement pas réfléchi. J’étais tellement persuadé que tu n’allais pas me croire que j’ai mal interprété ta réaction. Mais ça va, maintenant.

Et en y réfléchissant, je suis d’accord avec elle. Mes propos ne paraissaient pas très sérieux. Elle me sourit, désolée. Soudain, une question de première importance émerge dans mon esprit. C’est vrai que...

— Comment ça se fait que tu ne mettes pas ma parole en doute ?

Elle me fixe bizarrement.

— Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas vraiment plausible. Et pourtant, tu n’as pas hésité à me croire sans poser plus de question. Je trouve ça bizarre, avoué-je.

— Tu es mon frère. Si je ne te fais pas confiance, où va le monde ?

— Mais quand même…

— Tu préférerais que ce ne soit pas le cas ?

— Non, bien sûr ! m’exclamé-je.

Un petit sourire étire ses lèvres tandis que ses yeux se plissent légèrement. Elle me regarde d’en bras, le visage à peine penché. Sa bouille d’enfant innocente ne prend plus avec moi depuis bien longtemps. Je la connais trop. Et je suis actuellement persuadé qu’elle me cache des choses. De quelle nature et envergure, je l’ignore. Mais maintenant que je ne suis plus coincé dans une situation où je dois faire attention à la moindre de mes paroles, je compte bien découvrir ce qu’elle dissimule avec tant d’ardeur. Et ce, sans qu’elle puisse me mettre de bâtons dans les roues.

— Par contre, tu pourrais m’expliquer un peu plus toute cette histoire ? demande-t-elle.

J’acquiesce d’un mouvement de tête et désigne le salon du menton afin que nous nous y rendions. Installés sur le canapé côtes à côtes, j’attends qu’elle me pose ses questions. Elle ramène ses jambes en tailleur puis me regarde.

— Bon. J’ai deviné que mamie était au courant. Les messes-basses c’est bien beau quand ils sont discrets.

Je suis surpris par cette affirmation car je pensais pourtant que nous l’avions été. Je n’ai pas dû prendre autant de précautions que je le croyais. Je hoche la tête histoire d’appuyer son propos.

— Est-ce qu’il y a beaucoup de monde qui connaît ce secret ?

— Presque toute la ville.

— Et personne n’a jugé utile de m’en parler, remarque-t-elle, amère.

Je prendre une expression gênée. Je sens que la décision que j’ai prise il y a quelques années ne va pas tarder à me retomber dessus.

— Je le leur ai interdit.

— Tu as fais quoi ? s’écrie-t-elle en se redressant, manifestement outrée.

J’ai presque envie de me fondre dans les coussins ou de me carapater de là pour échapper à son courroux. J’essaie à mon tour la tactique des yeux doux. Par miracle, elle soupire et finit par se radoucir. J’en sauterai presque de joie. Pas besoin d’un aller simple pour l’Alaska.

— On va dire que ce n’est pas la partie la plus importante, marmonne-t-elle mais elle me jette tout de même un regard agacé. Donc… D’autres ont aussi des pouvoirs.

— Pas tous, seulement quelques-uns.

— Romuald, Timothée et Bastien, suppose-t-elle.

— Exact.

— Il y en a d’autres que je connais ?

— Zack et grand-mère.

Ses yeux s’arrondissent suite à cette révélation.

— J’y crois pas ! s’étonne ma sœur. Je me doutais qu’elle était dans la confidence mais pas qu’elle en avait, elle aussi.

— Elle peut voir l’avenir. Enfin, de temps en temps parce que son pouvoir ne fonctionne pas à chaque fois.

— Mais c’est tellement bien !

Sa gaieté me fait rire et se répercute sur moi si bien que ma bouche s’étire en un sourire. Au contraire de ce que j’aurais pu imaginer, pas une once de crainte ne vient ternir sa bonne humeur alors que je fais la description de mon pouvoir et de ceux de mes amis. L’électricité pour moi, Tim qui maîtrise le feu, Bastien le vent et Rom’ qui est une sorte d’aimant humain. Alors que j’allais enchaîner sur une autre explication, elle m’arrête en levant sa main face à moi.

— Attends, attends. Et Zack ? Tu le poursuivais pour quelle raison hier ?

— Disons… qu’il nous a gênés alors qu’on s’occupait de gars récalcitrants.

— Comment ça ?

— A cause de lui, on a dû se battre à mains nues et c’était beaucoup moins simple qu’avec nos aptitudes, précisé-je.

— Qu’est-ce qu’il a fait ? insiste-t-elle malgré la réponse qui paraît pourtant évidente.

Évidente pour moi, cela dit.

— Il s’entraînait à utiliser sa capacité d’annulation. Sauf qu’il a touché notre zone.

Elle manifeste à nouveau sa surprise en écarquillant les yeux.

— Ça existe un truc comme ça ?

— Oui, malheureusement, marmonné-je.

Il n’y a pas à dire, son pouvoir ne crée que des ennuis et ne nous est d’aucune utilité. Elle se lève soudain et commence à s’agiter en faisant des gestes de la main pour illustrer ses paroles. Je retiens un rire qui pourrait la vexer.

— Tu ne comprends pas ou tu n’y as jamais réfléchi, je ne sais pas. En tous cas, c’est super pratique. Tu pourrais sûrement lui demander de s’allier à vous au lieu de le tenir à l’écart. Il empêche tes cibles d’utiliser leur pouvoir si la situation ne se règle pas en discutant. Comme ça, pas de complications et tu ne risques plus de rentrer dans cet état. Hop ! Tout benef’ !

Je la regarde, éberlué de cette solution mais surtout de ne pas y avoir songé plus tôt. Il faudra tenter. Cependant…

— Je ne pense pas qu’il soit d’accord avec cette idée, l’informé-je.

— Tu ne peux pas savoir si tu ne lui en parles pas, contre-t-elle.

Je lève les yeux au ciel.

— Et arrête de faire ça, c’est impoli, me rabroue-t-elle.

— On dirait mamie, je me moque.

— Eh oh ! Je ne suis pas si vieille.

— Qu’est-ce que j’entends ? retentit la voix de l’intéressée.

Elle débarque dans la pièce avec sa cuillère en bois qu’elle brandit telle une arme.

— Faites attention. Je suis peut-être vieille mais j’ai toujours la forme ainsi que les pleins pouvoirs dans cette maison.

— Dictatrice, l’accuse Justine tandis que je me marre.

— Si tu continues, pas de repas pour toi, lâche-t-elle en repartant à la cuisine.

— Mais… Tu ne peux pas faire ça ! s’indigne ma sœur en la suivant précipitamment. La nourriture, c’est la vie, tu le sais très bien.

Je vais pour les rejoindre alors que j’entends les protestations de ma cadette quant à la menace de notre aïeule. Dire que mes révélations ne l’ont pas choquée plus que ça, je ne m’en remets toujours pas. Je secoue lentement la tête en m’installant à table, un sourire aux lèvres face à ce spectacle. Quelle famille.

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