CHAPITRE 6

13 minutes de lecture

~ Justine ~

J’ai tenté tout ce que je pouvais pour convaincre Mattys d’aller voir Zack pour lui parler de ce que j’ai proposé hier soir. Rien à faire. Il n’arrête pas de m’opposer qu’il ne sera jamais d’accord pour se joindre à eux. Sans aucune surprise et parce que je suis encore plus butée que lui, je suis sur le chemin du bar-restaurant de Bob tout en espérant que la personne que je cherche y soit. J’ai peu d’espoir mais qui ne tente rien n’a rien. Je pousse la porte de l’enseigne et me rends directement au comptoir derrière lequel se trouve le gérant.

— Salut. Tu aurais vu Zack ?

— Non, pas depuis la dernière fois, répond-il en fronçant les sourcils. Pourquoi ?

— Mince, pesté-je. Je dois lui parler de quelque chose.

Il se gratte quelques secondes le menton.

— Je pense que tu pourrais le trouver vers le parc.

— Celui à deux rues de là ?

— Non. Au parc Martin-Samson.

Un frisson me parcourt le dos. Ce n’est pas l’endroit le plus accueillant de toute la ville.

— Pourquoi tu le cherches, fillette ?

— Je dois discuter de quelque chose avec lui.

— Fais juste attention alors, me prévient-il. Les endroits isolés, ce n’est jamais bien bon.

Je remercie Bob et me dirige vers le petit bois qui se trouve près de la maison de ma grand-mère. Il n’y a jamais grand monde là-bas. Je ne fais pas exception à la règle. L’atmosphère qui s’en dégage est sombre et angoissante. Les arbres touffus empêchent les rayons du soleil d’atteindre le sol et d’illuminer le lieu. Je pénètre à l’intérieur en serrant les bras autour de mon corps dans une tentative vaine de me rassurer ou de me protéger. On croirait presque que quelqu’un va me sauter dessus. A cette pensée, un violent tremblement m’échappe. Je ne me considère pas comme une froussarde mais il faut dire que rien dans cet environnement n’apporte du réconfort.

Mes pas foulent le sentier tout en évitant les passages trop irréguliers. Pas un bruit ne vient accompagner celui de mes pas et ce silence commence à devenir pesant. Je jette des regards inquiets dans mon dos pour m’assurer que je ne suis pas suivie. Rien. Seulement la végétation.

Un croassement puissant me fait subitement sursauter. Je m’arrête net. Mes yeux guettent nerveusement la source de ce son jusqu’à ce que j’aperçoive un corbeau tout près. Je soupire, soulagée que ce ne soit qu’un oiseau lorsqu’un bruit de pas venant de derrière moi me parvient. Mon corps se fige. Je n’ose plus regarder, de peur que ce ne soit pas une simple illusion de mon esprit. J’exhorte mes jambes figées par l’effroi à se mouvoir. Je passe de l’immobilité à une course effrénée en vue d’atteindre la clairière où se trouve le parc. Les pas accélèrent eux aussi, se rapprochent inexorablement. Vite. Plus vite. Ma respiration est saccadée. Mon rythme cardiaque s’affole sous le coup de l’adrénaline. Allez. Je dois y arriver.

La lumière m’éblouit alors et mes pieds foulent une herbe fournie. Je me retourne d’un bloc, rassérénée par cette luminosité bienvenue. Je ne peux que distinguer une ombre rebroussant chemin et disparaissant dans les buissons. J’avais raison, j’étais bien suivie. La pression redescend avec la fin de cette course-poursuite. L’appréhension demeure cependant logée dans ma poitrine à la pensée que je devrais faire le chemin du retour. Il va m’attendre, j’en suis persuadée. Sinon, pour quelle raison m’aurait-il poursuivie ? Et pourquoi s’être arrêté à la lisière de la clairière ? Et surtout, pourquoi cela tombe-t-il sur moi ? Ce n’est pas comme si j’avais quoi que ce soit d’enviable, même pas un sac avec de l’argent. C’est pour dire. Tant de questions que je préférerais ne pas me poser.

Tandis que j’observe ce qui m’entoure, mon regard en capte un autre d’un bleu rendu quasiment gris par la luminosité abondante. Je me retiens de justesse de hurler de frayeur quand je le reconnais. Zack. Bob n’avait donc pas tort, il se trouve bien ici. Rassurée à l’idée de ne plus être seule après ce qu’il vient de se passer, je vais m’asseoir par terre à ses côtés. Allongé et les bras coincés derrière sa nuque, il semble paisible.

— Pourquoi tu n’as pas réagis ? Je te signale qu’un gars me courait après, l’attaqué-je, assez sèchement.

— J’ai failli venir t’aider jusqu’au moment où il a laissé tomber, se justifie-t-il avec une grimace désolée.

— Et s’il revient ?

— Je ne pense pas qu’il le fera.

Je me tords les mains de nervosité. La crainte qu’il réapparaisse ne me lâche pas malgré l’apparente décontraction du jeune homme.

— Allez fillette, t’en fais pas. Au pire, je lui botterais les fesses, me dit-il gentiment avec un sourire en coin.

— Encore ce surnom… T’es incroyable.

— Si Bob peut t’appeler comme ça alors moi aussi, non ?

Je fais la moue.

— Ce n’est pas pareil. Je le connais depuis que je suis petite.

— Je te connais aussi depuis des années, argumente-t-il.

— Parce qu’on avait déjà discuté avant ça ?

— Non mais c’est pareil.

— Vraiment ?

— D’accord, peut-être pas.

Je lui fais un grand sourire. Celui-ci ne quitte pas mes lèvres alors que je saisis l’occasion qui se présente. Il se fait simplement plus innocent, en apparence, du moins.

— Dis, commencé-je, je me demandais… Enfin, je me disais que tu pourrais aider mon frère et ses amis.

Bravo Justine. Zéro, question tact.

— Non.

Sa réponse est aussi directe que ma question.

— Mais pourquoi ? insisté-je tout de même.

— Ils n’ont jamais eu besoin de moi donc ce n’est pas aujourd’hui que ça changera.

— J’en ai discuté avec lui, il est d’accord.

Je ne précise pas que l’idée vient seulement de moi et que j’ai dû convaincre Mattys pour qu’il accepte. Le dire ne ferait que le conforter dans son point de vue.

— Ça ne change rien, tu sais, rit-il doucement. Je ne porte pas vraiment ton frère dans mon cœur.

Je l’interroge du regard, attendant qu’il développe.

— Il faut pas t’attendre à une information de malade. Je n’apprécie simplement pas son caractère impulsif.

— Mais ce n’est qu’un aspect de sa personnalité. Est-ce que vous avez déjà essayé de mieux vous connaître ?

— Je n’en ai pas l’envie. Au cas où tu n’aurais pas remarqué, je préfère être seul.

— Dis tout de suite que je te dérange, ironisé-je.

Un rictus prend place sur ses lèvres tandis qu’il secoue la tête négativement.

— Bien sûr que non. Toi tu es…

Il marque une pause, les yeux vagabondant sur ma personne comme perdu dans ses pensées. Un frisson me parcourt en sentant son regard effleurer ma silhouette. Je frotte mes bras recouverts de chair de poule. Qu’est-ce que c’est que ce soudain courant d’air ? Enfin, courant d’air...

— Je suis… le relancé-je, peu sûre de vouloir connaître la suite.

Il paraît d’un seul coup retrouver ses esprits et il se passe une main sur le visage en évitant mon regard.

— Rien. Rien du tout.

Est-ce que je rêve ou il est gêné ? C’est à mon tour de laisser un sourire s’épanouir sur mes lèvres. Il croise à nouveaux mes prunelles lorsque je décide de m’allonger sur le ventre à ses côtés. Je pose mon menton sur mes bras croisés en observant les balançoires s’agiter au gré du vent. Je laisse mes pensées s’évader, profitant ainsi de ce moment de sérénité en compagnie d’un garçon avec lequel je n’ai jamais réellement discuté. Jusqu’à aujourd’hui. J’aurais pensé être hésitante à parler avec un presque inconnu mais ça n’a pas été le cas avec lui. Et ça me plaît. Beaucoup.

Même si je ne veux pas l’avouer à voix haute, j’aimerais de tout cœur pouvoir observer ses iris bleutées qui, je ne peux le nier plus longtemps, font naître une étrange sensation au creux de mon ventre.

— Eh fillette.

Je reporte mon attention sur mon interlocuteur qui fixe d’ailleurs un point invisible au-dessus de lui.

— Tu étais venue me voir seulement pour me parler de ton frère ?

— J’imagine.

— Alors pourquoi n’es-tu pas repartie ?

Il n’a pas tort.

— Aucune idée. Sûrement à cause du gars qui m’a suivi. Mais il faut dire que t’es plus sympa que ce que les gens disent.

— Faut pas se fier aux rumeurs, répond-il amèrement.

— J’ai remarqué.

Une question me turlupine depuis qu’il est arrivé en ville il y a quelques années : la raison de son isolement. Il reste toujours seul et ne se mêle pas aux autres alors qu’il n’a pas l’air dérangé par ma présence. Je trouve ça un peu contradictoire malgré le fait qu’il ai dit qu’il préférait rester seul. Qui refuse la proximité sociale à ce point sans avoir une raison plus profonde ?

— J’ai une question, tenté-je sans grand espoir d’obtenir un éclaircissement.

D’un coup d’œil, il m’enjoint à poursuivre.

— Pourquoi tu es si solitaire ? Hormis parce que tu aimes être seul, précisé-je.

Il me fixe quelques instants avant de se retourner sur le ventre. Le visage au creux de ses bras, il prend la parole suite à un long silence.

— Avant, je n’étais pas comme ça, ose-t-il m’avouer. J’étais clairement le genre de gars qui a des amis à chaque coin de rue. Non, ce n’était pas exactement ça. Les gens m’aimaient instantanément. Du moins, personne n’a jamais dit le contraire. Toute cette attention me plaisait même si je ne m’attachais qu’à certains. Je me sentais… important. Sauf qu’une des personnes les plus importantes de ma vie est…

Il déglutit, se reprend. Ses yeux arborent une teinte plus sombre comme s’ils reflétaient la noirceur et la tristesse qui ont pris possession de son être. J’écoute de manière attentive l’histoire qu’il consent étonnamment à me livrer.

— Enfin, tu vois. Tu sais que c’est très gênant ? tente-t-il d’ironiser alors même que ses yeux reflètent sa douleur.

— Au risque de paraître ridiculement banale, je suis désolée. Pour toi et pour cette personne, murmuré-je pour ne pas briser cet instant de confession.

— T’inquiète. Je n’aime pas forcément en parler, me remémorer tout ça alors, pour faire bref, on va dire que j’ai préféré m’éloigner des autres pour éviter de souffrir à nouveau, avoue-t-il avec un regard vers moi en haussant les épaules.

Son apparente nonchalance ne me trompe pas. Cette peine est toujours fermement ancrée en lui.

— C’est pour ça que tu restes souvent à l’écart.

— C’est ça. C’est plus simple. Pas besoin d’interagir, de nouer des liens. Parfois, je n’y arrive tout simplement pas. L’envie d’échanger, de sociabiliser devient plus forte et je me mêle un peu au reste du monde.

— Ah ! Je comprends pourquoi tu ne m’as pas encore dégagée alors.

Il lâche un rire suivi d’un sourire à mon encontre.

— Un peu pour ça, oui.

— Et sinon ?

Il hausse encore les épaule, ce sourire énigmatique accroché aux lèvres.

— Je veux savoir, le pressé-je en bougonnant, clairement consciente que je me comporte comme une enfant capricieuse.

— Je ne suis pas sûr de comprendre moi-même, souffle-t-il si bas que je ne suis pas certaine de l’avoir vraiment entendu.

Mais étant donnée son expression un brin coupable, je dirais que je ne me suis pas fait de films. Appuyée sur un coude, les joues probablement écarlates, je passe une main dans mes cheveux. Il plonge soudain la tête au creux de ses bras avec un grognement.

— Mais pourquoi je te raconte ça ? Tu n’en as rien à faire de ma vie. Désolé de te saouler.

— Pas du tout, je le rassure aussi bien que je le peux. Je ne me moque pas du tout de ta vie, conte-la moi autant que tu veux.

— Mais quand même. Qu’est-ce qui m’a pris, franchement ? gémit-il. Je ne suis pas du genre à m’épancher, pourtant. Je te jure.

Témoin de son désarroi, je décide d’alléger l’atmosphère. A ma façon.

— Il faut que je t’avoue quelque chose, commencé-je.

— Quoi ? demande Zack, le visage dissimulé au creux de ses bras.

— C’est mon super pouvoir. De faire parler les gens, je veux dire.

D’accord, j’en ai complètement conscience, ma tentative de blague est vraiment nulle. Pourrie même. Désolée si l’inspiration n’est pas toujours là.

Au bout de quelques secondes, il relève à peine le visage de sa cachette, étonné.

— C’est vrai ?

— Pas du tout, en fait.

Il se comporte alors de la façon la plus inattendue possible, il imite le cheval avec sa bouche. Je sais bien que ce n’était qu’un geste normal pour exprimer une sorte d’amusement. Pourtant, des images de chevaux à tête de Zack galopant dans un pré apparaissent dans mon esprit sans que je puisse l’expliquer. Je ne peux m’empêcher de rire face à la scène sous ses yeux éberlués. Mon hilarité est telle que je manque de m’étouffer. J’ignore pourquoi cette image provoque une réaction pareille chez moi mais je n’arrive pas à contrôler mes rires.

Je recouvre mon calme après une dernière quinte de toux empreinte d’hilarité. Zack me fixe, perdu. Il se demande certainement s’il ne vaut mieux pas fuir en courant et laisser la folle que je suis à son triste sort. Je ne le blâmerais pas s’il s’y résout. J’aurais fait de même.

— C’est… C’est juste qu’on aurait dit que tu imitais un cheval et j’ai pensé… Enfin bon, ce n’est pas important, décidé-je d’éluder afin d’éviter de me ridiculiser davantage.

— Alors tu m’as fusionné avec un cheval, devine-t-il avec justesse.

J’acquiesce, une pointe de honte subsiste à l’idée d’avoir extrapolé à ce point. Un ricanement puis un rire franc se font entendre et cette mélodie efface ainsi tout sentiment négatif de ma mémoire. Je laisse les notes de ce son si commun flatter mes sens d’une façon encore inconnue jusqu’à cet instant. Ses yeux rieurs se posent sur moi, renforçant cette sensation si douce qui m’enveloppe inexplicablement. Je me perds dans son regard sans pouvoir me retenir. L’attraction, aussi étrange soit-elle, est plus forte que ma volonté.

— Pas croyable.

— Ne te moque pas, marmonné-je. C’est pour ça que je te ne t’ai rien dit.

— Oui, oui.

L’émotion que j’éprouve ne me quitte pas alors qu’il reprend difficilement son souffle, allongé sur l’herbe. A contrecœur et après un coup d’œil à mon téléphone, je me redresse en m’appuyant sur mes paumes. Son regard se fait interrogateur.

— Je pensais rentrer, trouvé-je utile d’expliquer.

— Toute seule ?

Son inquiétude fait écho à la mienne. C’est bien cet aspect que je redoute de tout mon être. Après ce qu’il m’est arrivé en arrivant, j’ai peur de croiser à nouveau ce gars. Qu’est-ce que je ferais s’il me prend en chasse ? Zack ne sera pas à mes côtés pour l’en dissuader par sa présence. En fait, il n’y aura personne. Je serais livrée à moi-même. Je devrais m’en sortir par mes propres moyens si la situation se présentait. Sauf que je ne suis pas prête. Je ne peux vraiment pas. Non, impossible.

Ma respiration s’accélère tandis que mes pensées s’affolent, envisageant des centaines de scénarios et leur fin presque toujours macabre. La panique m’envahit alors même que la solution se trouve assise à moins d’un mètre de moi. Je régule progressivement mon souffle à cette prise de conscience et je sens sa main caresser mon bras de bas en haut, avec délicatesse. Son geste n’arrange rien à l’état d’effervescence dans lequel se trouve mon corps mais a quand même pour effet d’apaiser mon appréhension. Paradoxal comme le simple contact d’une certaine personne peut diamétralement modifier notre humeur. Une certaine personne ? Est-ce que je viens vraiment de penser à Zack de cette manière ? Comme s’il était spécial pour moi. Alors que… Je ne sais pas.

Il cesse son mouvement pourtant si doux et presse mon avant-bras en croisant mes iris.

— Je te raccompagne. D’accord ?

Je hoche la tête positivement, me sentant incapable d’ouvrir la bouche pour autre chose que le supplier de continuer ce qu’il faisait. Je suis piquée. Il n’y a pas d’autre explication à tous ces sentiments qui gravitent en moi. J’ai beau le côtoyer que depuis peu, j’ai l’impression que cela fait des années. Perdue, je suis complètement perdue. Tout est si fluide, si simple et il cause une véritable éruption au sein de mon âme. C’est comme si nous étions destinés à nous rencontrer, à nous entendre. Ma confusion ne fait que grandir davantage encore à cette prise de conscience. Le destin.

Je me lève, il m’imite et nous prenons ensemble la direction du bois. Alors que je sens la chaleur des rayons du soleil laisser place à cette atmosphère angoissante, une toute autre la remplace sous forme de doigts s’enroulant autour des miens. Je perds mon souffle. Mon esprit s’en va à des kilomètres d’où nous nous trouvons. Les battements de mon cœur résonnent plus que jamais tant ils s’emballent à ce contact.

Les questions se bousculent dans ma tête. Pourquoi a-t-il pris ma main ? Pourquoi je le laisse faire ? Mais surtout, pourquoi cela me paraît-il si naturel ?

— Pour que tu n’ai pas peur, se justifie-t-il avec maladresse dans un chuchotement.

Je ressers ses doigts dans les miens, faisant ainsi taire toutes ces interrogations. Un sourire étire doucement mes lèvres. Mes yeux croisent ses prunelles claires. Son visage affiche la même expression que le mien. Un peu de gêne. De l’apaisement. De la joie. L’impression déroutante d’avoir trouvé sa place.la joie. L’impression déroutante d’avoir trouvé sa place.

Annotations

Vous aimez lire Mayyra__s ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0