CHAPITRE 7

8 minutes de lecture

~ Justine ~

Mes lèvres n’ont pas un instant abandonné le sourire qui les étirait depuis que Zack et moi nous sommes quittés quelques rues plus bas. La chaleur qu’il a fait naître s’est peu à peu évanouie mais n’a pas complètement disparu non plus. Je n’arrive pas à croire que nous nous sommes tenus la main pendant tout le trajet dans le bois. Encore moins que j’ai regretté son contact aussitôt qu’il l’eut rompu. C’était une expérience quasi irréelle tant elle était particulière. Comment expliquer le fait de se sentir si bien avec un presque inconnu ? A chaque fois, la réponse qui me vient à l’esprit demeure la même. Le destin. Auparavant, je ne croyais pas à toutes ces superstitions, à la fatalité ou tous ces concepts farfelus. Seulement, je suis bien obligée d’avouer que ce que j’ai vécu dépasse toutes les croyances que je pensais figées. Ce bien-être instantané et la sécurité ressentie ainsi proche de lui…

La porte s’ouvre d’un coup sans que je ne fasse quoi que ce soit dans ce sens et le visage de Mattys apparaît dans l’encadrement. Son expression faciale n’augure rien de bon.

— Tu étais avec lui ? m’interroge-t-il d’entrée de jeu.

— Qui ?

— Ne joue pas à l’innocente.

Je le bouscule gentiment afin de passer. Il ne m’oppose aucune résistance mais me suit dans les escaliers puis jusqu’à ma chambre. Sérieusement ? C’est la première chose qu’il me demande lorsque je rentre de ce moment fantastique ? Sauf qu’il n’en sait rien.

— Mamie n’est pas là ?

— Elle se promène avec la voisine, m’informe-t-il brièvement avant de revenir au vif du sujet. Alors ? Tu étais avec Zack ?

— Oui.

— Tu te jettes dans la gueule du loup sitôt au courant de la situation. C’est dingue !

— N’en fais pas tout un fromage. Je suis simplement allée lui exposer ce dont je t’ai parlé.

C’est peut-être un peu simpliste pour décrire ce qui s’est passé entre nous, cette alchimie.

— Ça ne change strictement rien à la situation.

— Et d’abord, comment sais-tu ce que j’ai fait ? tiqué-je.

Il prend un air coupable durant quelques secondes. Celui-ci laisse rapidement place à de la détermination.

— Je te cherchais alors j’ai demandé à Bob.

Je jure intérieurement. Il a cafté.

— Il a répondu quoi ? reprend-il.

— Qu’il ne veut pas.

— Donc, tu t’es mis en danger pour rien.

Je ne réponds pas. Il s’assoit sur le bord du matelas puis se lève et commence à faire les cent pas en continuant de me reprocher de m’y être rendue seule. Je ne comprends pas qu’il prenne cela si à cœur. Je sais qu’il est protecteur, que ça peut être plus fort que lui mais… Le fond de sa pensée me parvient soudain et m’éclaire sur ses motivations. Bien sûr. Il est encore question du danger que représentent ceux qui possèdent des pouvoirs mais pas seulement. Zack est un garçon. Mattys est mon frère. C’est normal qu’il ne veuille pas que j’aille le voir seule. Et il ignore tout ce que j’ai ressenti de manière si intense durant cette entrevue. Il ne sait pas que la sensation de ses doigts noués aux miens est une des plus agréables que j’ai éprouvé depuis longtemps. Sinon, il se ferait bien davantage de soucis, j’en suis persuadée.

L’interruption prolongée de ses pas me ramène doucement à la réalité. Un long silence s’ensuit. Dans ma vision périphérique, il ne bouge plus d’un poil. Je m’allonge sur mon lit sans relever les yeux dans sa direction, balançant mes jambes qui dépassent du matelas. Je me donne la sensation d’être une petite fille à me mouvoir de cette manière. C’est étrange. C’est comme un retour dans le passé différent de ce que je connais habituellement. Alors, je continue pour profiter de ce furtif sentiment d’insouciance.

— Que s’est-il passé ? me questionne finalement Mattys.

— De quoi tu parles ?

— T’as l’air… ailleurs, lâche-t-il en me regardant attentivement.

— Ah bon ? Pourtant, il n’y a rien, nié-je avec un sourire visant à renforcer mon affirmation.

Son front se plisse dangereusement, signe qu’il n’en croit sûrement pas un traître mot. D’un geste de la main, je lui signifie que ce n’est pas important. Il se déride peu à peu en m’observant et soupire finalement.

— D’accord. Viens me voir s’il y a quoi que ce soit.

Je suis tentée de lui demander de préciser ce qu’il évoque, s’il n’est pas question d’un quelconque rapprochement entre Zack et moi, mais la chaleur qui prend possession de ma nuque et de mes oreilles m’en dissuade fortement. Oh, je rougie en pensant à lui. Est-ce inquiétant ? De toute façon, il ne peut pas s’en douter.

Ma poitrine se serre subitement, m’obligeant à me redresser. Je peste intérieurement lorsque je commence à tousser sans plus pouvoir m’arrêter. Ma respiration est rendue de plus en plus difficile et mon ventre me fait souffrir tant les secousses sont incontrôlables. La main de Mattys vient frotter mon dos. J’ai l’impression qu’on s’amuse à me déchirer de l’intérieur.

— Eh. Ça va aller, me rassure-t-il.

Je retrouve le contrôle de mon corps après de longues minutes sans accalmie. L’inquiétude émane de mon frère même s’il fait en sorte de la maîtriser. J’essuie un peu de sueur sur mon front du dos de la main. J’ai chaud, terriblement chaud après cette horrible quinte de toux.

— Tu n’aurais pas chopé une crève ?

J’acquiesce de la tête, peu convaincue.

— Oui, sûrement.

— Va te coucher tôt ce soir, dans ce cas. Un peu de repos ne te fera pas de mal.

A nouveau allongée, ma main saisit celle de mon frère sans que je ne réfléchisse. Il hésite quelques secondes avant de me rendre mon étreinte. Je suis aussi surprise que lui par ce geste spontané puisque j’ai perdu depuis longtemps le goût du contact physique. Une chose me frappe à cette pensée.

Zack. Son contact. Ce simple contact que j’ai d’habitude tant de mal à supporter, celui que j’évite comme la peste, celui qui m’affole de la pire des manières. Et pourtant, rien de tout ça ne s’est produit. Pas de nausée, pas d’envie dévorante de m’enfuir, pas de cœur qui bat à mille à l’heure, complètement paniqué. Juste cet apaisement, ce bien-être. Il n’y pas eu une once d’appréhension à ses côtés. Je n’ai pas hésité un seul instant à resserrer mes doigts autour des siens. Et je ne me suis pas détachée d’eux pendant tout le trajet. Cette rupture me perturbe au plus haut point compte tenu des mes habitudes. Non. Pas seulement. Ce qui m’interpelle le plus, c’est que mon aversion pour les contacts soit demeurée la même toutes ces années mais qu’il ai suffit d’une simple entrevue, d’une simple discussion pour qu’elle mue comme elle ne l’avait jamais fait jusque là. Cette alchimie entre nous semble avoir tout changé.

Mattys s’installe à mes côtés après m’avoir demandé la permission d’un regard. Il garde néanmoins une certaine distance, comme si une barrière intangible me séparait du reste du monde. Peut-être est-ce le cas. Parfois, j’ai l’impression de me trouver dans une dimension parallèle, en totale inadéquation avec la réalité. Étrangement, cet éloignement ne me dérange pas puisqu’il survient généralement lors de situations qui le réclament. Sa paume contre la mienne, je prends la parole d’une voix ténue.

— Ils te manquent parfois ?

— Tous les jours.

— Pareil.

— Si je pouvais faire quoi que ce soit pour les ramener, je… sa voix se brise sous le coup de l’émotion. J’hésiterais pas une seule seconde.

Mon ventre se tord d’une façon bien différente de quand j’étais avec Zack. C’est douloureux. Si cela ne tenait qu’à moi, je me recroquevillerait afin de faire cesser cette souffrance. Je ne le fais pas car cela ne changerait rien, c’est une douleur fantôme générée par un mal-être émotionnel. Ce n’est pas soignable avec un simple médicament.

— Pas toi ? reprend-il, les yeux rivés au plafond strié de fissures.

— Si, articulé-je alors que la boule au creux de mon ventre ne fait que grossir davantage.

Je me déteste. Je me déteste. Je me hais. Mais je ne lui en dévoile pas un traître mot, peu encline à l’énoncer distinctement. Ces paroles demeurent dissimulées dans un coin de mon esprit, invisibles à toute personne extérieure. Je suis la seule capable de les percevoir. Je suis l’unique personne sachant la vérité. J’aurais pu, j’aurais dû faire quelque chose. Les empêcher de se rendre dans ce supermarché. Les en faire sortir avant que la situation ne se complique. Faire en sorte que le braqueur n’entre jamais. Dévier le tir. N’importe quoi. Simplement les sauver de leur destin funeste pour qu’ils puissent rester à nos côtés et continuer de vivre leur vie. Ils ne méritaient pas de se faire tuer. Personne ne le mérite et encore moins eux. C’étaient des gens vraiment extraordinaires.

Mes yeux s’humidifient mais pas une seule larme ne s’échappe. J’y veille. J’apaise ma respiration qui s’était faite plus irrégulière. Je me tourne légèrement vers Mattys afin de vérifier s’il n’a pas perçu un changement dans mon comportement mais il n’a pas bougé d’un pouce, le regard perdu dans le vide. Seule sa poitrine qui monte et s’abaisse m’indique qu’il est toujours en vie ou que le temps n’est pas suspendu. Je me concentre à mon tour sur l’espace immaculé qui nous surplombe.

Si mon esprit demeure agité, je n’en laisse rien paraître et me laisse bercer par le silence environnant en attendant que l’appel du dîner retentisse.

Durant celui-ci, nos inquiétudes et mes regrets ont laissé place à des blagues saisissantes, des piques taquines et des éclats de rire. Mamie ne nous fait pas une seule réflexion sur notre niveau de langage qui bascule complètement dans le familier. Nous débarrassons dans la joie et la bonne humeur et je profite de cette ambiance détendue pour refiler la vaisselle à Mattys qui grommelle. Malheureusement pour lui, notre aïeule tombe d’accord avec ma décision et le laisse à sa tâche sans d’autre forme de procès. Je ris encore lorsque je me rends au salon, lorsque je souhaite bonne nuit à tout le monde et que je ferme la porte de ma chambre après une dernière plaisanterie mordante. Une fois dans mon lit, emmitouflée dans ma couette, mon hilarité se transforme en ce sourire rêveur que j’arborais en rentrant de cette journée merveilleuse. Quel sentiment incroyable…

Annotations

Vous aimez lire Mayyra__s ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0