CHAPITRE 4

9 minutes de lecture

~ Justine ~

Aujourd’hui n’est définitivement pas une bonne journée. La pluie n’a pas cessé plus de dix minutes depuis hier soir, mon frère s’en est de nouveau allé je ne sais où et je m’ennuie à mourir. Le dessin et ma séance de sport m’ont bien occupée durant la matinée mais cet après-midi ne s’annonce pas franchement palpitant. En plus de cela, je ne peux pas faire une partie d’un quelconque jeu de société avec mamie car elle a décidé de profiter du mauvais temps pour se reposer dans sa chambre.

Allongée à l’envers sur mon lit, mes pieds sont posés sur le mur adjacent. Je les agite paresseusement, à la limite d’en faire des marionnettes et de créer une histoire avec. L’ennui est encore plus présent que je ne le pensais pour que j’envisage d’arriver à cette extrémité. Mes yeux se baladent sur le plafond qui n’a pas changé depuis toutes ces années. Toujours autant de fissures qui le parsèment. Je change de position et me mets à plat ventre tout en lovant ma tête au creux de mes bras pour plus de confort. Peut-être le parquet sera-t-il plus intéressant. Après tout, il a connu tant de choses au plus près de nous contrairement au plafond qui reste perché en hauteur et n’a aucun contact direct avec n’importe lequel d’entre nous.

Certaines lames sont plus usées que d’autres, victimes de l’âge et des nombreux passages. On voit encore où le lit était précédemment puisque ses pieds ont laissé leurs marques rondes au sol. A côté, des traces sombres en forme de gouttelettes attirent mon attention. Du sang. Je le sais. Je me rappelle de la raison pour laquelle il a coulé. Et je me rappelle également que personne dans cette maison n’est au courant que cela a été le cas. Je m’en suis assurée précautionneusement. Depuis ces quelques incidents qui ont eu lieu dans le secret de ma chambre, je fais attention de ne plus les réitérer. Je ne dois le faire sous aucun prétexte autre qu’une situation urgente. De priorité maximale même. La douleur est bien trop intense pour être prise à la légère et être provoquée à tous vas.

J’ai surtout peur de ne pas m’en remettre la prochaine fois.

Lâchant un soupir, j’ai besoin de plusieurs minutes pour parvenir à détacher mon regard de ces tâches renfermant tant de souvenirs et de secrets. Lorsque j’y arrive finalement, je me retrouve au point initial, sans idée de quoi faire. Je me triture les méninges en quête d’une activité. Et s’y je mettais de la musique ? Ça pourrait m’inspirer. Je saisis mon téléphone sur la table de nuit en me contorsionnant pour l’atteindre sans avoir à me lever. Je manque de m’étaler sur le sol. De mon pouce, je commence à parcourir la longue liste de chansons puis opte pour une playlist aléatoire. Parfois, quand je tombe sur un titre, celui-ci ne me donne pas envie de l’écouter de manière spontanée alors que s’il se déclenche au hasard, cela me plaira.

Le volume à un niveau raisonnable, des mélodies des années quatre-vingts et quatre-vingt dix se mettent à tourbillonner dans ma chambre, m’entraînant du même coup dans des danses effrénées, ne répondant à aucune loi préalable. Mon corps se laisse simplement porter par la musique, comme une entité externe à ma personne. Je ne le contrôle plus et je ne le souhaite pas. Ce moment est synonyme de liberté. Seules les notes guident mes pas. Mes bras se tendent vers le plafond tandis que mes mains balaient ma chevelure au passage. J’ondule des hanches pour, quelques minutes plus tard, me mettre à bouger telle une poupée désarticulée.

Il n’y a pas à dire, la danse est vraiment un art libérateur. Elle exprime tant d’émotions tout en nous allégeant quant à ce qui pourrait nous peser. Qu’importe le niveau que chacun a dans cette discipline, son talent inexistant ou non, ce qui est important est d’aimer l’exercer de temps à autre ou de façon active. C’est de trouver un échappatoire en elle, un exutoire.

Assise sur le parquet, essoufflée par cette séance brève mais intense, je tente de réguler ma respiration. Mes pensées s’envolent déjà vers d’autres points d’intérêt. Je n’ai de cesse de repousser certains questionnements pourtant légitimes auxquels aucune réponse adéquate n’a été apportée. Comme celui concernant mon frère et ses activités. Je ne trouve pas cela très clair, d’autant plus après avoir aidé Zack à le fuir lui et sa bande. Peut-être suis-je paranoïaque, peut-être ai-je trop d’imagination mais j’ai l’étrange certitude qu’il me cache quelques chose. Un secret qui pourrait se rapporter au mien. Pas à l’identique, je suppose, mais dans la même catégorie. Mes soupçons se renforcent à chacune de nos visites dans cette ville, en partie par rapport aux activités qu’il mène avec ses amis. Je ne compte plus le nombre de fois où ils auraient révélé ce qu’ils dissimulaient si Mattys n’était pas intervenu pour couper court.

D’un côté, je me doute assez de ce qu’ils me cachent pour le leur avouer. De l’autre, j’ai peur de passer pour une idiote si je me suis finalement trompée. De toute façon, je préférerais que mon frère m’en parle de lui-même. Je sais bien qu’il me faudra attendre longtemps pour qu’il se décide et qu’il devrait être dans une impasse. Parce que si mes soupçons sont exacts, il doit penser que connaître la vérité me mettrait en danger alors que cela ne changerait rien à la situation actuelle. Mieux encore, je serais avertie et certainement plus prudente. Malgré le fait que je le sois à mes dépens depuis que j’ai sept ans.

Un énième soupir franchit la barrière de mes lèvres. Je m’étends de tout mon long sur le sol, telle une étoile de mer. Le parquet refroidit instantanément ma peau exposée. Cette fois, c’est un soupir d’aise qui fend l’air au vu de la température qu’il fait actuellement dans toute la maison. Celle-ci a emmagasiné la chaleur caniculaire des jours précédents et ce n’est pas la pluie qui tombe en ce moment qui y changera grand-chose. Et lorsque j’ai voulu ouvrir la fenêtre afin de rafraîchir, les trombes d’eau se sont déchaîné sur moi et dans la pièce à cause du vent violent. Je me demande bien comment Mattys a pu trouver le courage de sortir par cette météo.

Mon visage se tourne vers la vitre. La pluie forme des sillons le long de la paroi transparente. J’ai définitivement bien fait de rester ici au chaud contrairement à un certain inconscient qui a osé braver la tempête.

~ Mattys ~

Les trombes d’eau n’en finissent plus, nous inondant chaque seconde davantage que la précédente. Quelle idée d’aller dehors par un temps pareil. Je n’ai pourtant pas le choix. Si je disparais dès mon deuxième jour dans cette ville, les rumeurs vont circuler. Je suis déjà parti depuis trop longtemps si bien que certains en ont profiter pour n’en faire qu’à leur tête, prenant des libertés qui mettent en jeu la sécurité de tous. Je dois remettre de l’ordre.

Dire que Zack s’est enfui hier. Je contracte les poings. Je suis persuadé que Justine a quelque chose à voir là-dedans mais je ne peux pas la questionner comme je le voudrais car cela signifierait répondre à ses interrogations en retour. Chose que je ne peux pas me permettre pour qu’elle reste protégée de mes affaires.

Quasiment tout les habitants sont au courant mais ils savent que ma sœur ne doit pas l’être alors ils gardent leur langue dans leur poche par peur des représailles. En revanche, je redoute ce que pourrait faire Zack. Ce gars n’a jamais respecté les règles, continuant ses entraînements et interférant ainsi avec les plans de beaucoup de monde. Il est solitaire mais de nombreuses personnes lui tiennent rancune pour avoir saboté une chose ou l’autre. C’est un véritable danger ambulant. Et un con intelligent. Contradictoire mais qui correspond à ce qu’il est. Il est assez imbécile pour se fourrer dans les ennuis en méprisant les règles mais il sait parfois faire fonctionner son esprit et nous aider lorsqu’il le souhaite. C’est-à-dire rarement. Voire jamais. Pas de manière intentionnelle, d’ailleurs.

La seule chose dans laquelle il s’investit pleinement, c’est son entraînement. Il cherche sans cesse à s’améliorer afin d’être en mesure de protéger ceux à qui il tient. C’est ce qu’il m’avait expliqué lors d’une de nos rares conversations cordiales. A savoir qui, voilà la question. Je ne crois pas l’avoir jamais vu proche de quiconque. Peut-être avant d’habiter dans cette ville, qui sait. Enfin, ce n’est pas comme si son histoire allait m’aider à le contrôler. Il est l’un des seuls auxquels je ne peux me mesurer en égal. Il est en mesure de contrer chacune de mes attaques c’est pour ça que j’ai abandonné l’idée de l’intimider de cette manière depuis des années. J’aimerais néanmoins lui faire comprendre les enjeux. Et parfois, comme hier, je ne réfléchis pas et me met à le chercher sous l’effet de la colère sans prendre en compte ces données évidentes. Ces cas-là me fatiguent de moi-même. Trop d’impulsivité est risquée.

Je reporte mon attention sur Bastien qui est en train de pester contre les deux idiots que nous venons de remettre à leur place. Il s’est fait brûler dans le feu de l’action. Romuald et Tim tentent de le calmer, en vain. Ce n’est pas franchement agréable, je peux le lui concéder.

— C’est bon, interviens-je. Tu as connu bien pire.

— Peut-être mais je te jure que si je les croise, je les…

— Oui, oui, rigolé-je. On finit de faire notre tour et on rentre, d’accord ? je leur propose, seulement pour la forme.

Tous trois acquiescent et nous reprenons notre chemin tandis que Bastien continue de marmonner des injures. Seul le son de la pluie parvient à nos oreilles et les rues sont désertes. Peu de gens se risquent à sortir par un temps pareil. Mes baskets couinent à chacun de mes pas tant elles sont trempées. Grand-mère va vraiment me tuer. Je secoue brièvement chaque jambe même si ça ne changera rien au problème.

Les nuages déversant leurs larmes empêchent les rayons du soleil de parvenir jusqu’à nous, plongeant ainsi la ville dans une sombre atmosphère.

— Eh les gars ! s’exclame subitement Romuald, nous faisant sursauter par la même occasion.

— Quoi ? T’as vu quelque chose ?

— Non t’inquiète, me rassure-t-il. J’ai juste une blague sur les marchés.

Mes yeux croisent ceux de Tim et de Bastien qui a d’ailleurs arrêté de ruminer. Nous reportons nos regards sur Romuald tandis que celui-ci arbore un énorme sourire.

— Mais le problème c’est qu’elle a pas super marché.

Interdit, je le fixe sans comprendre.

— Allez ! Marché… Supermarché ! tente-t-il de nous éclairer.

Bastien commence à se tordre de rire, plus pour se moquer de la nullité de cette blague que pour saluer le trait d’esprit de notre ami. Je me retiens de montrer mon hilarité à mon tour et je me contente d’une bourrade à ce clown.

— Je crois que tu devrais arrêter les blagues pour aujourd’hui, Rom’.

— Mais…

— Je pense aussi, retentit dans mon dos une voix familière.

Je me retourne, sur mes gardes. Putain, pas lui.

— Salut Cellian, lancé-je froidement à ce dernier, pas le moins du monde heureux de sa présence.

— Comment ça va ?

— Ça ira bien mieux quand tu me diras ce que tu fais là.

Je ponctue mes paroles en avançant d’un pas menaçant, énervé de le trouver sur mon chemin.

— Moi ? Et tu ne veux pas savoir ce que mes amis font ?

Sur ces mots, cinq gars sortent de la rue à côté de laquelle nous venons de passer. Merde ! Pourquoi ne les a-t-on pas remarqués ? Nous n’étions pas assez vigilants et je crois que nous allons le regretter.

— Laisse-nous t’expliquer ça à notre manière, fait Cellian avec un sourire en coin qui n’augure rien de bon.

J'espère que ma grand-mère a toujours ce qu'il faut dans son placard à pharmacie car je risque d'en avoir besoin. Et j'espère surtout que Justine ne sera pas là pour voir mon état.

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