CHAPITRE 3

12 minutes de lecture

~ Justine ~

De retour en salle après avoir participé à l’évasion de Zack, je manque de percuter mon frère de plein fouet. Il se recule juste à temps et me dévisage.

— Est-ce que j’ai quelque chose sur le visage ? l’interrogé-je.

— Quoi ? Non, pas du tout, se reprend-il. Mais pourquoi es-tu là ?

— Je suis venue voir Bob.

Il hoche la tête, distrait. Ses yeux ne cessent de naviguer entre mon corps et la porte dont je sors à l’instant. Les miens se posent sur les amis qui l’accompagnent. Un sourire prend forme sur mes lèvres lorsque je reconnais Timothée, Bastien et Romuald.

— Coucou les gars.

Chacun vient me saluer tout en jetant un œil hésitant à Mattys. Le regard que je fixe sur ce dernier est davantage soupçonneux qu’hésitant. Je crois comprendre ce qu’ils sont en train de chercher. Zack, naturellement. La coïncidence me paraît trop grosse pour que ce ne soit pas le cas.

— Qu’est-ce que vous faites ? demandé-je malgré tout, seulement pour vérifier s’ils se montreront honnêtes ou non.

Ils s’échangent un regard lourd de sens et tardent à répondre.

— On cherche un ami, se décide enfin Tim.

— Qui ? Je le connais peut-être.

— T’inquiète, Ju’, s’empresse d’intervenir mon frère. On va se débrouiller. Il ne doit pas être bien loin.

Je lui jette un regard pesant qu’il me rend avant de sortir du restaurant, suivi par son groupe. Il croit pouvoir me berner si facilement ? Et surtout, est-ce qu’il pense réellement s’en sortir de cette façon ? Une discussion s’impose. J’attendrais ce soir parce que le confronter devant ses amis n’apportera rien de positif et je n’aimerais pas non plus qu’il le fasse si le choix se présentait. Quoi que mon entourage est limité voire inexistant donc le problème ne se poserait pas.

La situation de Zack m’inquiète un peu. Certes, mon frère n’est pas violent de nature mais il doit bien y avoir une raison importante pour justifier une telle poursuite et j’ai peur de l’issue de celle-ci. Malgré toute la gentillesse de Mattys, je ne lui fais pas entièrement confiance quand il s’agit de faire preuve d’autant de compréhension et de patience à l’égard d’autrui.

Je m’en vais rejoindre Bob qui m’attend encore à côté de la table à laquelle nous nous étions installés. En voyant son expression préoccupée, je décide de ne pas le questionner sur cette histoire. Je saisis la paille de mon smoothie entre mes lèvres et le bois tranquillement, masquant ainsi la fébrilité que cette situation a provoqué en moi. Assis en face de moi, il m’observe étrangement. Il s’attendait visiblement à une toute autre réaction de ma part. Pour une fois, je le surprends de façon positive.

— Si tu ne me poses aucune question c’est que tu les réserves pour Mattys, devine-t-il.

— En effet.

— Tu as conscience qu’il ne voudra pas te répondre honnêtement ?

— Tant pis. Peut-être ma présence et toutes mes qualités lui manqueront-elles le temps qu’il se résolve à le faire.

— Il est buté.

— Moi aussi, avancé-je à juste titre.

— Pas faux, se moque-t-il.

— Sinon, comment se passent les affaires pour toi ?

— Comme toujours. Les journées sont calmes et les soirées remplies.

— Tu… Tu t’en sors ? demandé-je timidement.

— Comme toujours, répète-t-il avec un geste évasif de la main.

Il a perdu sa femme il y a maintenant quelques mois dans un accident de moto. C’était une grande fan de circuits et elle n’hésitait pas à prendre de nombreux risques pour faire monter l’adrénaline. Bob a toujours redouté le jour où elle ne se relèverait pas d’une chute. Celui-ci est arrivé bien trop vite au goût de tous. Élodie était souvent rude dans ses paroles mais jamais elle ne mentait ou se jouait de nous. J’aimais cet aspect d’elle. Tout aussi blessants que pouvaient être les mots qu’elle utilisait, ils ne nous donnaient pas de faux espoirs, nous forçant ainsi à nous confronter à la réalité dans notre intérêt.

A chaque fois qu’on évoque le sujet, il l’évite ou se contente d’assurer qu’il a fait son deuil. Or, il n’a pas l’attitude de quelqu’un pour qui c’est effectivement le cas.

Je le vois jeter un regard à sa montre puis se mettre debout.

— Tu devrais y aller. Il va bientôt y avoir forte affluence et Beth t’attend certainement à la maison, dit-il en faisant référence à ma grand-mère.

Je lui souhaite donc une bonne journée en passant la porte de l’enseigne. Un frisson me parcourt le corps en sentant la brise bien plus fraîche qu’elle ne l’était ce matin. Quand je pense au chemin que je vais devoir parcourir pour rentrer, je regrette sincèrement de ne pas avoir pris de la monnaie en partant. Mon téléphone étant également resté dans ma chambre, je ne peux pas contacter mamie pour savoir si elle est toujours en ville et veut bien me ramener. Mes yeux se dirigent vers le ciel qui commence à se couvrir. Ces fichus nuages n’ont pas intérêt à déverser ne serait-ce qu’une goutte d’eau sinon ils vont m’entendre. Je frissonne à nouveau. C’est bien ma veine.

~ ~ ~

Je me débrouille finalement pour échapper de peu au déluge et c’est mon frère qui le subit. Je jubile intérieurement. Voilà ce qui arrive quand on tente de me tenir à l’écart. Ce n’est pas sympa de ma part de penser ainsi, surtout lorsque je le vois débarquer dans le salon, semblable à une vieille serpillière dégoulinante. Peut-être devrions-nous lui demander de se traîner sur le sol afin de nous épargner une partie du ménage.

Les cris de grand-mère le suivent jusqu’à la salle de bain tandis que j’attends tranquillement leur retour, les coudes posés sur l’accoudoir du canapé. Elle revient en marmonnant des malédictions à son encontre et s’assoit à côté de moi.

— Pas croyable cet enfant. Il a laissé de l’eau partout sur son sillage. Ses oreilles vont en prendre un coup s’il ne nettoie pas, assure-t-elle, fortement mécontente.

Un rire m’échappe malgré moi mais je m’arrête instantanément à cause du regard noir de cette femme franchement terrifiante par moment.

— Sauf si tu veux t’en charger, bien sûr.

— Non, non. Merci de proposer, réponds-je précipitamment.

— C’est ce que je pensais.

— Au fait, je suis allée voir Bob.

— Ça ne m’étonne pas. Tu ne perds pas tes bonnes habitudes.

— J’ai croisé Zack aussi. D’ailleurs, il faut que j’en discute avec Mattys.

— Zack ? Pourquoi donc ? m’interroge-t-elle, perplexe.

— Parce que Matt’ et sa bande le poursuivaient, soupiré-je.

Elle se claque le front de la main.

— Quel idiot celui-là.

— Duquel parles-tu ?

Mon frère entre dans la pièce alors qu’elle s’apprêtait à répondre.

— J’espère que ce n’est pas de moi.

— Comment oserais-je ? répond-elle malicieusement.

— Justement. Tu n’es pas du genre à te gêner.

Prenant un air totalement innocent, elle s’en va à la cuisine mais ne manque pas de me glisser un clin d’œil au passage. Son départ est donc dans l’objectif que je puisse interroger Mattys. Étrangement, plus le temps passe, plus j’ai l’impression qu’elle est dans la confidence, qu’elle partage certaines vérités que j’ignore avec lui. Néanmoins, elle semble plus encline à m’inclure que ne l’est mon frère d’après ses réactions. Être tenue à l’écart ne me dérange pas tant que cela. Bon, peut-être un peu. Tant que cela ne concerne pas nos parents ou moi, je peux l’accepter.

Je lui jette un regard. Il répond à celui-ci par un hochement d’épaules interrogateur.

— Pourquoi poursuiviez-vous Zack ? me décidé-je à demander, la tentation étant devenue trop forte pour résister.

Il semble momentanément déstabilisé par mon interrogation pourtant, il adopte rapidement une expression impénétrable ce qui ne le fait paraître que davantage suspect. Je suis habituée à ses détournements de sujets mais pas à cet air glacial qu’il affiche. J’ai presque l’impression de ne plus avoir la même personne face à moi même si je sais bien que ce n’est qu’une attitude passagère.

— Qui est Zack ? fait-il mine d’ignorer mais cela ne fonctionne pas dans ce cas précis.

— Il y a qu’un seul Zack en ville. Et si je le connais alors que je ne côtoie pas grand monde, il y a peu de chance qu’il n’en soit pas de même pour toi.

Ainsi, il ne peut plus nier. Sauf S’il souhaite continuer à me prendre pour une imbécile, ce que je ne lui conseille pas

— Ah, celui-là.

— Oui, celui-là.

— Ce n’était pas lui qu’on poursuivait.

Je croise les bras, attendant de véritables réponses tandis qu’il semble réfléchir quelques instants. Son visage s’éclaire soudainement. Son expression malicieuse me fait presque regretter de l’avoir questionné.

— Mais pourquoi relie-tu Zack à cette histoire, d’ailleurs ?

Je suis définitivement une imbécile. Citer son nom n’était pas la chose la plus intelligente à faire sachant que je n’étais pas censée avoir fait autre chose que voir Bob. Mes neurones tournent à plein régime. A mon tour de trouver une excuse.

— Il… Il est passé en courant alors que je me rendais au resto, mens-je.

A voir sa tête, il n’est pas dupe. Cependant, il n’insiste pas sûrement dans l’optique que je m’en tienne également là.

— Allez Ju’, c’est bon. Tu veux un câlin ?

Affichant un air dégoûté, je m’écarte précipitamment de lui.

— Non, mais c’est gentil de proposer.

— T’es sûre ? Pourtant, tu adores ça, reprend-il effrontément tout en s’approchant, les bras écartés.

Il continue de s’avancer à ma rencontre alors que je cherche une porte de sortie. Je lui tourne le dos et me précipite dans les escaliers à toute vitesse. Son rire résonne derrière moi tandis qu’il commence à me poursuivre. Mamie nous lance des injures depuis le rez-de-chaussée mais nous rions trop pour écouter ce qu’elle dit. Je me cache comme je peux derrière le lit de ma chambre, ne trouvant aucun endroit qui pourrait remplir ce rôle plus efficacement. Les pas rapides de Mattys se font entendre sur le seuil de la pièce. Soudain, je sens ses mains sur ma taille et je suis soulevée jusque sur le matelas. Mon souffle se coupe et un cri m’échappe quand ses doigts commencent à me chatouiller. Je me tord dans tous les sens pour tenter de m’y soustraire, en vain. Les menaces et les hurlements n’y changent rien non plus alors j’en viens à le supplier.

— J’arrête seulement si tu promets de me faire un massage après le repas.

— Pas… Ah ! Pas des… pieds ! m’exclamé-je tant bien que mal.

— Les épaules, alors, dit-il calmement.

— Ok mais stop ! S’il te plaît !

Il accepte de me laisser tranquille quelques secondes plus tard et part dans un fou rire. Pendant ce temps, je sèche les larmes qui m’avaient échappé au cours de cette torture abjecte. Pourquoi le corps réagit-il de façon si extrême aux chatouillements ? Non. Comment les gens ont-ils l’idée de se livrer à pareil acte barbare ? J’assassine donc Mattys du regard ce qui le replonge dans son hilarité.

Je boude en attendant qu’il ai terminé. Il tente de s’excuser mais n’arrive pas à recouvrer son sérieux. Une partie de moi meurt de rigoler avec lui, simplement pour partager sa joie. Je me déride et lâche un rire en lui donnant une tape sur l’épaule.

— Un vrai gosse.

— Toi-même, rit-il, maintenant allongé sur le dos, les bras coincés derrière sa nuque.

Au fil des années, sa musculature est passée d’inexistante à timide. De toute façon, je ne crois pas qu’il ai jamais cherché à la rendre davantage proéminente puisqu’il ne fait pas de musculations ou d’autres sports de ce genre. Il lui arrive certes de venir courir avec moi mais rien de plus. D’ailleurs, je dois l’attendre à chaque fois car il n’arrive pas à suivre mon rythme. Il finit à deux doigts de la suffocation et jure toujours de ne plus m’accompagner. Néanmoins, il revient toujours. Et j’avoue que ça ne me dérange pas. J’adore mon frère alors partager le maximum de temps avec lui est loin de me déplaire, m’enchante même.

Mes yeux vagabondent sur sa silhouette gracile. Il a toujours été une personne plus grande que ceux de son âge, dépassant la plupart de ses camarades depuis la maternelle. Concernant sa minceur, elle est certainement due à toutes les périodes où il sautait un grand nombre de repas. Quand j’y repense, cette époque me mine et me fait redouter le jour où cette habitude refera surface. Je sais que ce n’est qu’une question de temps avant que ce ne soit le cas puisque cela le rattrape à chacune de ses baisses de morale. Suite à la mort de nos parents, il a cessé de s’alimenter durant trois jours jusqu’à ce qu’il me trouve à pleurer d’inquiétude sur le canapé. Ces tendances ont beau être fréquentes, je ne m’habitue pas et je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. Ce n’est bon ni pour sa santé, ni pour son moral. Il le sait aussi. Passer des jours dans son lit, sans se nourrir et en affichant un sourire de façade dans le but de me rassurer n’est pas sain.

Je ne me rappelle plus la première fois que ça lui est arrivé. Celle qui me vient en mémoire date de ses onze ans. J’étais rentrée de l’école les vêtements déchirés, le corps plein de blessures après avoir été rouée de coups par mes camarades. Cette situation ne m’atteignait pas vraiment mais ne pas avoir été là pour me protéger l’a fait culpabiliser au point de le faire plonger dans unes de ces périodes. Nos parents ont tout tenté pour l’aider, sans succès. C’est mon intervention, lui assurant que j’allais bien et que rien n’était de sa faute, qui l’a difficilement sorti de là.

Suite à cet épisode, j’ai pris l’habitude de désamorcer tout sentiment de culpabilité de sa part chaque fois que je rentrait amochée. Il faut dire que les gamins de l’école ne me portaient pas franchement dans leur cœur. Ils me traitaient régulièrement de tous les noms, jusqu’à m’accuser d’être un enfant du diable. Je ne sais pas d’où leur venait toute cette imagination mais j’aurais pu m’en passer assez aisément. Je crois ne m’être jamais comportée de manière malintentionnée avec aucun d’entre eux, préférant rester seule et n’osant pas adresser la parole à quiconque. Mon attitude a changé à mon entrée au collège. J’en ai eu assez de la solitude et d’être ainsi mise à l’écart. Je me suis fait quelques amis qui changeaient au fur et à mesure des années, éphémères comme les saisons.

Cela ne me dérangeait pas non plus. Ce qui comptait, c’est que je n’étais plus seule ou brimée par les autres élèves.

Je cligne des yeux. Mes pensées sont vraiment parties loin alors que je détaillais simplement Mattys. D’ailleurs, c’est au tour de son regard aussi clair que le mien de se balader rêveusement sur ma personne, tout en semblant réfléchir. J’attends qu’il revienne dans le présent par ses propres moyens car l’interrompre n’est pas utile pour le moment. Je continue donc mon observation tout en le laissant libre de finir son introspection.

Ses joues sont quelques peu creusées. Je ne suis pas toujours à ses côtés pour vérifier qu’il se nourrit correctement alors je ne peux me fier qu’à ses dires et à son apparence physique. Et là, celle-ci me dit qu’il se néglige.

Je lui fais un sourire en penchant la tête sur le côté, en quête de son regard qu’il finit par fixer dans le mien en me rendant mon geste. Ce que je viens de faire n’est pas vraiment l’interrompre dans sa réflexion puisqu’il a fait le choix de reporter son attention sur moi. Ce n’est pas comme si je l’avais secoué ou interpelé, j’imagine.

— Dis, tout va comme tu veux ?

Il cligne des yeux tout en perdant légèrement son sourire.

— Ça peut aller. J’ai juste pas mal de trucs à régler.

Je note dans un coin de ma tête qu’il reste évasif sur ce sujet mais n’insiste pas, à l’image de notre échangé d’un peu plus tôt.

— D’accord. J’espère que ça sera pas trop compliqué.

— Je gère, m’assure-t-il avec conviction.

— A t’entendre, c’est toujours le cas, me moqué-je.

— Oui… Eh bah… Hein…

— Merci pour cette réponse constructive.

— Je vais t’en montrer des phrases constructives, tu vas voir.

Ses yeux brillent du même éclat que tout à l’heure, lorsqu’il m’avait prise en chasse.

— Non… Tu n’as même pas intérêt à faire ça, tenté de le menacer. Je te jure que je vais hurler.

— Hurle donc.

Et il se jette à nouveau sur moi. Je pousse un cri de détresse et notre grand-mère recommence à nous injurier. Ce que je les aime.

Annotations

Vous aimez lire Mayyra__s ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0