Le plan - 4° partie - L'attente

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Au sol, deux hommes furent assommés sans ménagement. Un corps gisait, sans vie. Sara estima que deux ou trois des fuyards étaient blessés, dont l’un grièvement. De quoi insuffler de l’espoir à ses compagnes.

— On ne sait pas combien ils sont, mes amies, mais c’est déjà une grande victoire. La surprise est totale.

Un malfaiteur apparut à bonne distance.

— Que fait-il ? demanda Alina.

— Il tente d’évaluer nos positions. Il ne peut nous voir, il fait beaucoup trop sombre hormis autour du trait de lumière.

Elle se leva pour tenter de l’abattre, mais il s’éloigna. Elle se rapprocha de la cloison, consciente de la présence des brigands attroupés de l’autre côté. Cassy et Julia l’observaient, curieuses de ce qu’elle percevait.

— Ils sont effarés, commença-t-elle. » Allie et Emma la rejoignirent. « Ils ne comprennent pas ce qui se passe. Ils ne parviennent pas à imaginer que des femmes puissent s’en sortir seules. » Elle répétait ce qu’elle entendait au fur et à mesure. « Ceux qui nous ont échappé n’ont aperçu aucune d’entre nous. Ils ont seulement entendu des voix féminines. Ils se demandent si nous avons reçu de l’aide extérieure. Ou si des traîtres les ont infiltrés.

Elle se retourna. Toutes souriaient. Cassy tendit la main. Le chef des brigands apparut quelques secondes, puis s’éloigna, plaça ses deux mains en porte-voix et cria : « Où sont les nôtres ? ».

Elles se regardèrent. Fallait-il répondre ? Aucune n’osa émettre un avis. Au départ dubitative quant à l’intérêt de ce type d’échange, Sara se rapprocha de l’entrée. Elle parvenait à maintenir son équilibre en s’agrippant aux meubles.

— Les vôtres ? clama-t-elle d’une voix forte. Aucun des vôtres ne se trouve ici. Un troupeau de pourceaux nous a bien tenu compagnie un moment, il est vrai. Personne ne savait quoi en faire… Après débat, nous en avons fait de la saucisse et de la pâtée pour chien. » Elle temporisa. « On peut partager si vous voulez.

Elle s’amusait à imaginer l’incrédulité du responsable de cette funeste expédition.

— Au fait, merci pour ce supplément d’outils tranchants que vous avez eu l’amabilité de nous apporter. Ils nous seront fort utiles pour dépecer ces trois nouveaux pourceaux bien gras tout frais qui allaient avec. À quelle sauce désirez-vous que nous les préparions ?

Incapable d’interpréter ce qu’il entendait, l’homme clama puissamment : « José ! Eh, José ! Répond ! »

L’intéressé, lui, resta coi, Lucette le menaçait.

— José, c’est l’homme au chapeau noir ? demanda Sara.

— Amenez-le-nous.

— Je peux t’amener son chapeau si tu veux. Avec ou sans sa tête dedans ?

Elle s’étonnait des horreurs qu’elle devenait capable de proférer en de telles occasions. Une pensée la traversa. Cette épreuve l’avait-elle changée ? Peut-être pas. Elle espérait les amener à commettre une nouvelle faute. Ils ne retomberaient pas dans le piège une seconde fois. Décontenancé, le chef des brigands réagit en regardant ses hommes puis le sol tour à tour. Hargneux, il ne parvenait pas à interpréter la situation. Décidé à en connaître la raison, il hurla :

— Faîtes sortir les nôtres et nous vous laisserons partir !

Bien entendu, les prisonnières ne pouvaient se fier à lui, pourtant il insistait dans l’espoir d’obtenir une information qu’il serait capable d’interpréter. Au lieu de cela, la princesse décida de l’enfermer encore plus dans le doute et la dérision.

— Tu crois que nous sommes ici selon ton bon vouloir ? Nous sommes des chasseuses de pourceaux, nous éradiquons les ordures de ton acabit. Nous nettoyons la terre du lisier puant qui la recouvre. Nous t’avons manipulé pour que tu nous conduises dans cette bicoque. Nous avons attendu que tu réunisses ton réseau. Maintenant que c’est fait, il ne nous reste plus qu’à éliminer le reste de ta bande ! » Elle parlait par bribes afin d’ajouter de l’effet et s’assurer d’être comprise. « Onze ! Nous en avons déjà eu onze. D’autres sont blessés et nous ont échappé. Ils ne doivent pas être bien frais. On vous attend pour en finir. Le gibier, c’est vous. Ne vous y trompez pas !

Elle observa ses amies, un sourire aux lèvres. Elles ne comprenaient pas vraiment sa stratégie. En avait-elle une ? Plus détendues que jamais, elles portaient une arme ou un projectile sur elles, prêtes à toute éventualité.

— Veux-tu que nous débarrassions l’entrée pour te permettre de nous rendre visite plus facilement ? Qu’on en finisse ? » Elle feignit d’attendre la réponse. « D’accord, on va le faire. Vous serez nos invités !

Cette fois, une barrière de sourcils froncés s’érigea contre elle. Décontenancées, les filles se rassuraient en soupçonnant une ruse. À celles qui l’entouraient, elle chuchota :

— On va vraiment le faire. Sinon, ils vont soit chercher à mettre le feu au mobilier, soit tenter de nous encercler. Le propriétaire du lieu a barricadé ses fenêtres à cause de la tempête. S’ils se mettent à casser les planches, ils pourraient entrer et nous encercler en passant par la chambre et la petite pièce. Nous avons juste assez de meubles pour bloquer l’accès à ces deux pièces.

— Mais, si nous libérons l’entrée, remarqua Cassy, ils vont tous attaquer en même temps.

— Cela vaut mieux que de nous retrouver encerclées. Dès qu’ils passent la porte, c’est nous qui les encerclerons. De plus, en supposant qu’ils attendent des renforts, mieux vaut leur faciliter la tâche, qu’ils attaquent tout de suite plutôt qu’en masse.

L’angoisse et la perplexité se lisaient sur les visages. Malgré cela, quelques-unes hochèrent la tête. Elles comprenaient. Quand José vit les meubles migrer vers leurs nouvelles destinations, il n’en revint pas. Elle ne bluffait pas ! Son plan prenait forme devant lui. Qui pouvait se permettre de prendre de tels risques ?

Lors de l’assaut, il n’en avait pas été moins surpris. Les siens s’étaient précipités dans le piège. Pour autant, Debray n’était pas né de la dernière pluie. Cette fois, il était prévenu.

Comme la princesse l’avait demandé, dépouilles et débris furent éparpillées autour de l’entrée, afin de gêner la prochaine attaque. Cassy et Julia s’agenouillèrent auprès des blessés et les achevèrent au moyen de leurs propres lames. Horrifié, José étouffa un cri. C’est ce qui l’attendait ! Aucune n’avait réagi. La princesse, qu’il observait plus que de raison, ne semblait pas l’avoir remarqué. L’aurait-elle empêché ? Représentait-elle son seul rempart à cette heure ? Positionné près de la petite pièce encore ouverte, il jeta un œil à l’intérieur. Jacques semblait avoir rencontré le diable. Lui, elles l’avaient épargné. C’est dans leurs bras qu’il avait rendu son dernier soupir. Peut-être, lui-même, avait-il encore une chance de s’en sortir. Les blessés avaient été achevés pour éviter qu’ils ne se retournent contre elles en plein assaut. Ils y étaient passés pour cette raison. Elles avaient besoin de lui. On ne le tuerait pas.

Pendant les préparatifs, la princesse se positionna au fond de la pièce, face à l’entrée principale, non loin de José, l’arc en partie tendu.

Allie annonça que personne ne s’en prenait aux fenêtres. « Tant mieux, répondit-elle, maintenant que la pièce est dégagée, ils ne chercheront peut-être pas plus loin ».

Elle semblait si sûr d’elle… Trop sûre. Debray lui en ferait voir cette fois. Le vent allait tourner. José en était persuadé.

Deux hommes apparurent dans le champ de vision de José, à bonne distance. Elle avait tenu parole, l’entrée était dégagée. La surprise se lisait sur leur visage. Quelle part de vérité contenait ses annonces démentes ? Les leurs étaient-il encore vivants ? Le doute les taraudait et les élucubrations de la princesse n’arrangeaient pas les choses. Ils s’en retournèrent et Sara sautilla vers une chaise située de l’autre côté.

Cassy la rejoignit après avoir surveillé les environs.

— J’ai fait le tour et j’ai regardé partout en faisant bien attention de rester dans l’obscurité, je n’ai aperçu qu’une seule personne. Elle est de ce côté. » Elle montra la gauche du bâtiment. « C’est un archer.

— Zut ! Je craignais qu’il y en ait un. Tu as vu les autres ?

— Peut-être collés au mur, tout simplement. Je n’ai pas osé regarder sous cet angle. J’y retourne.

Alors que Cassy s’entourait d’un maximum de précautions, Sara se détendit, laissant son esprit divaguer. La tension qui l’habitait depuis ce matin se relâcha et elle en mesura la force destructrice. Elle pencha sa tête en arrière, puis en avant, ce qui soulagea ses muscles du cou et du dos. Malgré tout, elle ne pouvait s’empêcher de penser à ce qui les attendait.

— Cassy, appela-t-elle.

— Oui ? répondit la jeune femme d’une voix étouffée.

— Ils sont sept.

Ébahie, elle se tourna vers elle, jeta un œil dehors puis s’en retourna.

— Comment vous pouvez le savoir ?

— Je… » À vrai dire, elle n’en avait pas la moindre idée. Heureusement, la logique reprit le dessus. « Ils parlent entre eux. Je ne comprends pas bien ce qu’ils disent, mais ils sont tout proche, juste derrière la cloison. Ce doit être là aussi qu’ils soignent leurs blessés.

— Sept en comptant les blessés ?

— Non, en état de se battre. Un surveille la porte, quatre réfléchissent au plan d’attaque et deux viennent de partir, mais je n’ai pas compris de quoi il s’agissait.

Allie et Julia approchèrent. Les yeux de Sara s’égarèrent vers les corps au centre de la pièce. « Découpez leurs habits et entourez vos bras des matières les plus résistantes. Couvrez-vous. Et si vous trouvez quelque part de quoi vous servir de bouclier, n’hésitez pas. »

En regardant au dehors, elle déclara : « S’ils ne s’intéressent pas aux fenêtres, ils risquent d’utiliser la manière forte en entrant tous en même temps. Quatre d’entre nous doivent donc se placer contre le mur, de chaque côté de l’entrée. S’ils entrent, nous pourrons ainsi les assaillir de tous côtés. Quant à moi, je décocherai une flèche sur le premier qui entrera. »

Ils ne sont donc plus que sept, se dit Sara. Pour autant, sept hommes aguerris contre huit demoiselles sans expérience, décidées à sauver leur vie, cela ne scelle pas un destin. Surtout, comparés à leur armement, nos poignards et écuelles font pâle figure. Plusieurs épées traînent à terre autour de nous mais je suis la seule capable de m’en servir efficacement. Et encore, sans l’appui de mes deux jambes, mieux vaut ne pas y penser.

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