La rencontre des rois - 2° partie

6 minutes de lecture

— Je vois ce que tu voulais dire par tenue légère, ma tante. J’aime cette tenue. Je suis vraiment bien dedans, elle est très jolie, mais tu as encore été optimiste avec le décolleté. Et c’est vraiment très près du corps.

— Tu feras ce que tu voudras la bague au doigt, ma chérie. En attendant, c’est moi qui te marie.

Le mariage ! Être libérée de la tutelle parentale ne signifiait pas devenir libre. Tout dépendait du mari. Dernièrement, devant ce qui semblait représenter pour moi le fait accompli, ma tante m’avait suggéré de considérer la situation comme elle se présenterait. Dans le pire des cas, pour elle, un mari volage pouvait fort bien représenter le meilleur parti possible. Il tairait ses frasques en laissant son épouse se comporter ainsi qu’elle l’entendait. Une manière pour ces dames de transformer échec, malheur et adversité en opportunité.

Je considérais ce point de vue comme une échappatoire. Un regard sur la vie qui m’avait échappé. Tout dépendrait de la manière dont je le prendrais. Le tout consistait à profiter du cran nécessaire, voire de l’étincelle salvatrice, de celles qui évitent de s’enfermer indéfiniment dans le marasme et l’humiliation.

Le repli sur soi, un piège dont, curieusement, l’ego finit par se nourrir, telle une puissance de destruction.

— Et tu crois que tous ces jeunes gens vont s’en plaindre ?

Mon apparence, encore…

— Non, s’ils savaient que tu en es responsable, je crois qu’ils te béniraient. Mais moi je ne te bénis pas ! clamai-je, simulant l’indignation.

— Tu me remercieras le jour de ton mariage. Tu verras.

Ma tante me conduisit vers la grande salle jouxtant le balcon de la façade sud. Princes et princesses s’y trouvaient déjà.

— Je t’abandonne ici, c’est ton moment, pas le mien.

— Merci ma tante, dis-je, en parvenant à saisir son poignet.

— Ça me fait chaud au cœur, je t’embrasse. Profite !

Elle me laissait à vingt bons pas des premiers princes. Tapie dans l'ombre d'une colonnade, aucun n'avait remarqué ma présence. La lumière platinée de fin de matinée illuminait le cercle des prétendants. Leur noble allure, nullement ternie par la décontraction de leur tenue, éveilla mon intérêt. Me faudrait-il vraiment choisir l’un d’eux ? J’ai toujours rêvé de l'évidence qui me frapperait lorsque je le verrai. La réalité me plaçait devant un choix exigeant.

J’avais rencontré Krys et ne désirais nul autre. Quelqu’un d’autre que moi aurait dû naître princesse.

Je les épiais. L’un d’entre eux, peut-être…

Sans que ma volonté en soit la cause apparente, mes bras emmenèrent ma chaise dans leur direction. William fut le premier à remarquer ma présence. Il vint vers moi, confiant, comme à son habitude et me poussa vers les autres. Les conversations se tarirent. Après quelques échanges, je proposai à tous le tutoiement. Puis, je leur demandai :

— Êtes-vous là depuis longtemps ?

— Les filles oui, nous on vient d’arriver, répondit Owen.

— Aux prochaines réunions, annonça Robb, pendant que nous nous amuserons, les souverains resteront entre eux. Nous sommes donc libres comme l’air dès maintenant.

— Que s’est-il dit en mon absence ?

— Nous avons parlé de la victoire et de ses raisons, répondit William. Ton père s’est vu copieusement félicité.

Robert mentionna l’intérêt porté aux nouvelles armes. Invité un court moment, le général Gauthier avait amené arcs, arbalètes, épées et cuirasses. Chaque souverain et prince avait tenu en main, tour à tour, des équipements susceptibles de les rendre hors d’atteinte des Galiens. Mon père avait alimenté le mystère, feignant d’en connaître les procédés de fabrication.

— Comment nomme-t-on ce type d’arc, déjà ? s’enquit Robb.

— Des arcs composites, répondit William.

— Vous les avez tenus en main ? demandai-je.

N’ayant pas encore eu ce plaisir, ils représentaient un grand mystère pour moi.

— Avec les arbalètes, il s’agissait de l’attraction principale, précisa Owen. Pour l’acier des épées, il faudrait les tester pour juger de leurs promesses.

— Et vos conclusions ?

Chacun avait inspecté courbures et matériaux utilisés, ainsi que, pour les arcs, la manière dont ils avaient été collés. Mon père leur apprit qu’un second modèle, plus puissant encore, existait, réalisé d’un seul tenant, d’un même matériau. La surprise avait alors été totale. Quel procédé de fabrication permettait de réaliser un objet formé de plusieurs courbes d’un seul tenant ?

J’appris plus tard que mon père avait pris connaissance de ce fait du chef de nos armées et lui avait demandé de lui réserver l’exclusivité de l’annonce.

William me demanda alors si les arbalètes étaient vraiment capables de percer les armures morcanes.

— J’en ai été témoin. Les flèches partent dans un sifflement puissant. Protégés comme le sont ces géants, elles ne les tuent pas, mais les blessent suffisamment pour les faire reculer. Lors d’une attaque, l’un d’entre eux s’en est pris quatre. On ne l’a plus revu.

Je narrais l’épisode de la charge des Morcans, censée venger la mort inexpliquée du principal d’entre eux. Leurs têtes tournées vers moi, attentifs, ils m’écoutaient comme des enfants à qui on raconte une histoire.

Satisfaite de la surprise provoquée par les inventions de Krys, je cherchai à connaître le point de vue d’un des principaux protagonistes.

— Maximiliano était-il présent ?

— Oui, fit Robert, mais le voyage ne lui a pas réussi. Hugo l’a représenté.

Occupé comme il est, son fils n’aura peut-être pas l’occasion de m’approcher, me félicitai-je.

— J’aimerais voir leur tête à tous deux. Ils doivent craindre que mon père ne gagne en influence à leur détriment.

Le royaume de Cassandre, dont les Maximiliano possédaient les rênes, revendiquait toujours un peu plus l’autorité sur les décisions concernant la bonne marche de la Terre des Hommes. Déjà, les territoires voisins lui étaient, en quelque sorte, inféodés. Beaucoup craignaient que leur influence ne s’étende. Avec sa victoire, Andalore tendait à briser cette tentative d’hégémonie. Cassandre ne pouvait impunément nous permettre de croître à leur détriment. Les armes de Krys modifiaient des équilibres difficilement acquis.

— Il reste maintenant à lever le plus grand des mystères, fit Owen.

— N’avons-nous pas déjà entamé l’ensemble des sujets ? plaisantai-je.

— Il reste celui que tu caches à nos regards, surenchérit Robb, debout sur la pointe des pieds, faisant mine de chercher ostensiblement l’objet dans mon décolleté.

— À vrai dire, on est tous plus ou moins missionné pour faire notre rapport au sujet de cet instrument, avoua William.

— Je vais vous le montrer. Mais avant, je me rends compte que je n’ai pas encore salué les princesses.

Quatre princes accompagnaient celles-ci et les amusaient. William manœuvra pour me pousser vers eux. Nous parlâmes de choses et d’autres et je vis avec satisfaction que je ne représentais plus le seul centre d’intérêt de ces messieurs.

William à côté de moi, je lui proposai de nous rendre sur le balcon. Il m’y conduisit. Robb le remarqua et nous suivit. La surprise s’empara d’eux dès que coulissa la trappe située sur le bras droit du fauteuil. Ils suivirent chaque manipulation avec fascination.

J’opérais avec lenteur et amusement. Lorsque la petite boîte apparut dans ma main, leurs regards alternaient de celle-ci à mon visage. Couvercle enlevé, la longue-vue apparut au grand jour.

— C’est ça ? s’étonna Robb, si fort que tous nous remarquèrent depuis la salle.

— Tu t’attendais à quoi ? le taquinai-je.

— Je pensais que c’était plus gros.

— Petit pour voir grand, retiens ça.

— Alors, voici la petite merveille dont tout le monde parle ? s’exclama Owen en arrivant.

Je détaillai le fonctionnement de l’objet puis le tendit à William. Il était adroit et appliquait mes conseils à la virgule près. L’image devenue nette, il ne put étouffer une exclamation qui allécha les babines des prochains sur la liste. En passant d’une cible à l’autre, il préparait sans doute mentalement le rapport attendu par son souverain de père.

Le troisième à s’en servir fut Robb. Lorsqu’il parvint à réaliser la mise au point, il prit peur, éloigna l’instrument de ses yeux, le regarda, nous regarda, fixa à nouveau l’objet qu’il visait au loin, contempla la longue-vue et recommença.

Les réactions des uns et des autres furent relativement similaires. Elles interpellaient tellement que chacun attendait sagement son tour. Tous furent fortement impressionnés. Le regard de ces messieurs, lumineux, laissait entrevoir les conséquences d’une telle démonstration.

Je ne doutais pas des ambitions de Krys de monnayer son invention dans le but d’accélérer la réalisation de ses projets. Difficile de s’inquiéter pour lui. Mon père peinerait à l’affaiblir, si tant est qu’il cherchait encore à le faire. Les grands de ce monde réclameraient chacun leur exemplaire. Et les officiers de l’armée n’arriveraient pas les derniers. En attendant qu’ils en disposent, cet accessoire allait permettre à la grande handicapée que j’étais d’agrémenter une partie de ses journées.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 11 versions.

Vous aimez lire Nicolas Cesco ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0