La princesse - 1° partie

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Le soleil dardait ses rayons sur mes joues. Le jour déclinait quand je repris connaissance. L’esprit embrumé, je sentais quelqu’un me tapoter la main. Jérôme, un large sourire sur le visage, me regardait. Le calme ambiant me surprit. Ni cris, ni hurlements. Ici, des guerriers se félicitaient, là, exténués, ils se reposaient adossés au mur. Les seuls soldats actifs amenaient eau et bandages à leurs camarades. Assoiffés et harassés, ils inondaient leur visage à grands cris de soulagement.

— La bataille ?

— Ils ont fui. Ils ont fui, princesse. Nous avons tenu !

— Nous avons tenu… murmurai-je, surprise par la faiblesse de ma voix.

Même si les renforts n’étaient pas ceux attendus, leur soutien s’était révélé décisif. Contre toute attente, malgré leur faible nombre, ils avaient fait pencher la balance en notre faveur. J’avais hâte de rencontrer celui qui les guidait.

Je cherchai l’animal à longue queue annelée. Il avait disparu.

— Les officiers vont se réunir, m’informa Jérôme. Désirez-vous participer au conseil ou rejoindre le dispensaire ?

Avide d’en apprendre davantage sur l’identité de nos bienfaiteurs, je mentis sur mon état. Les soins attendraient.

— Je me sens bien. Je veux participer.

— Bien. Ensuite, nous nous occuperons de vos plaies.

On m’allongea sur un banc à l’intérieur de la grande salle et on recouvrit l’un des accoudoirs de coussins pour me permettre de tenir inclinée.

Autour de moi, les officiers s’enquirent de mon état. L’inquiétude sourde dans leur regard renvoyait à mes propres frayeurs. Les blessures, quelles qu’elles soient en temps de guerre, rimaient souvent avec amputation.

Il n’était pas dans mes attributions de présider le conseil de guerre. Cette tâche incombait naturellement au général. Néanmoins, il m’appréciait et aimait recueillir mes avis. Il m’avait un jour avoué, clin d’œil à l’appui, que ma présence adoucissait l’humeur de ses officiers et qu’il s’agissait d’un facteur à ne pas négliger.

— Tenir le conseil en présence de Krys ne serait-il pas préférable ? demandai-je.

— Krys ? répéta un officier.

— Le meneur du groupe qui nous a rejoints, répondit Gauthier, notre général.

— Sacré groupe ! Sans eux…

— En effet.

La conversation tourna sur la qualité de leur équipement et leur maîtrise de l’art de la guerre. Certains avaient trouvé le temps de tester leurs armes et faisaient part de leur étonnement.

— Et les nôtres ? m’enquis-je. Avons-nous perdu beaucoup des nôtres ?

— Depuis l’arrivée des renforts, très peu. Ces archers sont très mobiles et font mouche à tous les coups. En intervenant derrière nous, ils nous protègent. Ils valent de l’or. Et pour répondre à ta question, princesse, oui, leur chef est invité à nous rejoindre.

— Avons-nous des nouvelles de mon père ?

— Pas de nouvelle. Désolé…

— Je vois. Et où en sommes-nous ? Les Galiens rentrent-ils chez eux ?

— Ils reviendront ! clama une voix extérieure à notre cercle. Dès demain.

Nos regards se tournèrent vers la silhouette méconnaissable apparue dans le contrejour de la grand-porte. Le silence régna le temps qu’il nous rejoigne. Je reconnus Krys dès qu’il sortit de l’ombre.

Gauthier lui serra la main d’une poigne virile, nous présenta et s’enquit de l’endroit d’où provenait la troupe. Cette question nous taraudait. « Du Grand Sud. » se contenta-t-il de répondre.

Il n’en dit pas plus, persuadé de l’effet produit par la nouvelle. Le Grand Sud, une terre oubliée de la mémoire des hommes, représentée uniquement sur d’anciennes cartes. Une terre aride, battue par les vents, peuplée de buissons, de cactus et de chauves-souris. Ainsi, non seulement il provenait du pays de nos ennemis, mais il avait traversé leur territoire dans sa totalité.

— Mais qu’y faisiez-vous ? demanda Jérôme, éberlué.

— Nous nous sommes échappés des grandes cités. La plupart d’entre nous ont été enlevés très jeunes tout près d’ici. Nous avons brisé nos chaînes il y a près d’un an désormais.

— Un an… Pourquoi… Pourquoi y avoir séjourné si longtemps ?

Des esclaves ! Il s’agit d’anciens esclaves ! Comment sont-ils parvenus à s’enfuir ? Se sont-ils entraînés chez les Galiens pour devenir si performants ? Dans ce cas, pourquoi ceux-ci ne nous battent-ils pas à plate couture ? Autour de moi, mes compagnons paraissaient aussi surpris que je l’étais.

— Emprunter la voie directe nous aurait été fatal. Après tout ce temps, nos poursuivants se sont essoufflés, aussi avons-nous décidé qu’il était temps.

— Eh bien, nous ne nous plaindrons pas de votre décision, argua Gauthier, reconnaissant.

Comme mes compatriotes, bien des questions se bousculaient dans mon esprit.

— Ce matin, nous avons quitté le château de mon enfance. Ces terres étaient nôtres autrefois. Nous ne nous attendions pas à retrouver les Galiens si tôt.

Il se tourna vers le général.

— Puis-je me permettre ?

Gauthier acquiesça.

— J’estime leurs pertes du jour à deux mille cinq cents soldats. Reste cinq mille fantassins commandés par un Oupale qui ne se contentera pas de rentrer chez lui bredouille, hormis les pieds devant. Vous n’êtes qu’un bon millier, auquel s’ajoute les miens, cent cinquante hommes et femmes. L’Oupale aura vite fait le calcul : il estimera avoir encore les moyens de prendre le fort et, de surcroît, la capitale, en déficit de défenseurs. Il aura alors gagné son pari d’offrir de nouvelles terres aux siens. Il ramènera butin et esclaves comme prévu.

Si les soldats réunis nourrissaient l’espoir de retrouver leur foyer, ils ne pouvaient que déchanter.

— L’Oupale va changer de tactique, continua-t-il. Ses observateurs le conseilleront dans ce sens.

— Observateurs ? fit Olivier.

— Les Galiens répartissent un certain nombre d’observateurs au sein de leurs armées depuis toujours. C’est ainsi qu’ils s’améliorent, en étudiant le jeu de l’ennemi. Ils rapportent leurs constats ; les officiers adaptent leurs stratégies.

Il temporisa.

— Vos hommes annoncent des renforts. Combien de soldats attendez-vous ?

— Mille cinq cents, répondis-je, résignée. Peut-être davantage.

— Avec mille cinq cents hommes de plus, la victoire est à nous ! Quand vous rejoindront-ils ?

Il parlait de victoire comme si elle était assurée. Lorsque nous avions évoqué le sujet, à la dernière rencontre des officiers, nos conclusions étaient bien plus pessimistes. À qui donc avons-nous affaire ?

— Ils devraient déjà être là, reconnut le général, dépité.

— Le plus grave, c’est que nous ne savons rien, ajouta Antony, nous n’avons aucune nouvelle.

— Ils sont peut-être tombés dans une embuscade, supputa Gauthier. Auquel cas, nous aurions une seconde armée ennemie dans le dos. Ils pourraient alors fondre sur nous d’un moment à l’autre !

J’eus un léger mouvement de recul. Cette perspective m’assomma au point de rendre inaudible la suite de l’échange. Je n’avais pas songé un seul instant que mon père et mon frère puissent être en danger alors même qu’ils étaient censés venir à notre secours. L’armée avait été décimée et nous pourrions être encerclés. Pourquoi diable n’étaient-ils pas déjà avec nous ? Je chassai ces pensées de mon esprit. Nous avions survécu avec peine jusqu’à aujourd’hui et nous étions exténués. Nous n’en avions pas terminé, loin de là.

Après avoir fait mention des guetteurs nécessaires pour parer à toute éventualité, la discussion continua sur la tactique à suivre. Krys y participa activement. Il posa soudain ses yeux sur moi, semblant me remarquer enfin.

— La princesse est très fatiguée et ses blessures ne peuvent attendre. Je propose de la transporter dans sa chambre avec l’aide de mes soignantes. Vous pouvez continuer sans moi.

J’évitai de croiser le regard de Jérôme. Je l’imaginais abasourdi. En présence d’officiers, il n’oserait pas s’offusquer. Le général me fixait des yeux, incertain. Je le dédouanai d’un signe de tête.

— Quant à nous, décida Gauthier, allons nous enquérir de l’état de nos hommes. Krys, nous te sommes reconnaissants, ainsi qu’à ton groupe.

Toujours sous le coup de sa proposition, mon regard ne l’avait pas quitté. Si l’attention dont je faisais l’objet m’honorait, avais-je intérêt à me confier aux bons soins de « l’étranger » ? Était-il aussi bon praticien que tacticien ? Comme pour répondre à ma question, chacun le congratula avant de quitter les lieux.

Il se dirigea vers moi. Je pris une forte inspiration lorsqu’avec d’infinies précautions, il se positionna pour me soulever. « Laissez-vous faire, annonça-t-il. » Que je me laisse faire ? Pensait-il me transporter seul ? Sans doute avait-il remarqué l’étroitesse de l’escalier menant à ma chambre. Au premier mouvement, sa chaleur m’enveloppa, sa douceur, son odeur, tout me perturbait et j’oubliais un instant la douleur. Elle se rappela vivement à moi lorsque je voulus le soulager en plaçant mes bras autour de son cou.

Il prit le chemin de la pièce qui m’avait été affectée pour le temps de la bataille. Malgré le poids mort que je représentais, j’eus l’impression d’être une plume dans ses bras. Je sentais son souffle dans mes cheveux, une respiration régulière malgré l’effort. Ses gestes restaient prudents, afin d’éviter tout imprévu. Toute à ces pensées, j’entendis à peine ce qu’il disait. Sa voix chaude me sortit de ma rêverie.

— Trois soignantes de mon groupe ont préparé votre chambre et y ont amené le nécessaire. Elles nous attendent avec des herbes de la prairie.

Jérôme, inquiet, et Antony, qui désirait se rendre utile, nous suivaient. Le prêtre-guerrier, le regard inquisiteur, s’interrogeait manifestement. Comment un inconnu pouvait décider seul de me soigner sans rencontrer d’opposition ? Chacune de ses déclarations sonnait comme une instruction à suivre absolument.

Je me rendis compte à quel point l’autorité que lui conférait la victoire acquise sur le champ de bataille m’impressionnait et m’influençait au point d’imaginer qu’il fut aussi compétent un scalpel à la main qu’avec une épée. Si le prêtre-guerrier désirait demeurer le maître en matière de soin, il lui faudrait préparer ses arguments. Pour le moment, Krys menait la danse. Et je comptais bien le laisser faire pour mieux juger de ses capacités.

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