La troupe - 4° partie

7 minutes de lecture

— Comprenez-vous ce qui se passe ?

Le général approchait, suivi d’Antony et Olivier, deux des derniers officiers en état de combattre. Un masque de surprise recouvrait leurs traits fatigués. Alors que nous nous trouvions face à un nouveau danger, la formation d’une brèche dans notre muraille, nous assistâmes, incrédules, au recul de l’ennemi. Comme eux, nous dirigeâmes nos regards vers la colline. Ses protecteurs, incertains, avaient subitement pris position le long de la crète, comme pour la défendre. Fébriles, ils reculèrent ensuite dans le plus grand désordre, laissant apparaître des cavaliers aux silhouettes assombries par la distance, rapidement déployées sur cette ligne d’horizon. À ce moment précis, une onde d’espoir m’envahit, proportionnelle à la stupeur des Galiens.

Les nouveaux venus ne semblaient pas manquer de courage. Plusieurs dizaines chargeaient sans états d’âme, secondés de traits meurtriers. L’assaut fut si soudain et précis que l’ennemi s’enfuit promptement sans demander son reste.

À cette heure, la colline se trouvait investie par des humains qui, cela me fascinait, nous observaient.

— Pas du tout, princesse, répondit le général. Je ne sais pas ce qui se cache derrière leur arrivée.

Je n’écoutais pas, incapable de détacher mon attention de la petite troupe amassée sur la pente lointaine. Certains passaient d’un trébuchet à l’autre, une torche enflammée à la main. Ils agissaient avec une belle assurance, sans précipitation. On eut dit une bande de voleurs, sûrs d’eux, opérant en toute impunité.

— Les renforts, supposai-je. Ce sont les renforts.

Une hypothèse qui laissa les officiers dubitatifs.

— Je ne vois pas ton père monter une telle opération, répliqua le général. Qui oserait prendre les Galiens à revers ? Pour y affronter leur cavalerie lourde ? Sur leur propre terrain ?

— Au moins, on sait pourquoi la cavalerie galienne a disparu, nota Antony en grattant sa barbe naissante.

La dextérité de nos alliés inattendus témoignait de leur passé guerrier. Pour autant, quelque chose clochait.

— On dirait, hésitai-je, on dirait qu’ils découvrent le paysage.

— Effectivement, nota Antony. Auraient-ils débarqué par bateau en plein territoire ennemi ?

Surprise par la perte de la totalité des armes de siège, l’armée galienne avait reculé de soixante pas. Massés le long des éboulis, nos hommes profitaient d’un repos mérité.

— Ils n’ont pas l’air très nombreux, fit remarquer Antony.

— Pour peu qu’ils soient tous visibles, moins de deux cents, estima le général.

— Si c’est tout ce qui leur reste après avoir affronté la cavalerie lourde, commença Olivier, il s’agit là d’une bien pâle victoire.

— Peut-être, tempéra Antony, mais cette bataille a tellement impressionné les défenseurs du mont d’en face qu’ils ont dévalé la pente en abandonnant leur matériel.

Les milliers d’yeux rivés sur eux ne les empêchaient pas de se comporter en maîtres des lieux. Pendant que certains escaladaient le sommet dans le but évident d’obtenir la vue la plus large possible, les autres se regroupaient entre les poutrelles en feu.

Nous demeurâmes un moment, muets et immobiles, à les contempler. Ces instants semblaient irréels. Alors que nous nous affaiblissions d’heure en heure, alors que toute lutte devenait vaine, une lueur d’espoir apparaissait en terre ennemie. Les nouveaux venus nous portaient secours. La distance ne nous permettait pas de distinguer les traits de leurs visages. Affichaient-ils un air de revanche ? De victoire ? D’amère déception ? Avaient-ils perdu beaucoup d’hommes ?

— Que peut-on dire ? demandai-je. Des hommes à nous ?

— Je ne reconnais pas leur équipement, répondit le général. Impossible de deviner d’où ils viennent.

— Père aurait engagé des mercenaires ?

— Peut-être. Cela expliquerait son retard. Mais je vois mal une troupe de cet acabit se sacrifier en attaquant un fort parti galien au point d’accepter de perdre autant d’hommes. Combien étaient-ils au départ ? Quatre cents ? Cinq cents ? Mille ? Les mercenaires sont tout sauf suicidaires.

— Quelque chose cloche, nous fit remarquer Olivier, ils ne semblent pas pressés de quitter les lieux. On dirait qu’ils cherchent encore à en découdre !

— Comment ça ? s’étonna notre chef des armées qui s’était mis à estimer la solidité de notre ligne de défense, avec ce qui leur reste ?

— Des tambours de guerre ! signala Antony.

Éberluée, je distinguai l’emplacement choisi. Des membranes de peaux de bêtes s’échappait un véritable rythme militaire.

— Sont-ils fous ? s’étonna Antony.

— Ça bouge côté galien ! remarqua Olivier.

— Un bon millier en contre-attaque, je dirais.

— Et un Morcan à leur tête.

Les humains se demandaient toujours si les Morcans dirigeaient l’armée en raison de leur puissance ou de celle de leur voix. Par bonheur, leur qualité de chef les empêchait de prendre part à la bataille lorsque l’ennemi se retranchait derrière les murs épais d’une forteresse. Ce n’est que pour porter le coup de grâce qu’ils succombaient à leur instinct guerrier. Le légendaire marteau morcan, une arme terrible s’il en est, si lourde qu’un homme seul ne peut la porter, représentait leur arme favorite.

En terre galienne, les Saliens formaient la majorité de la population. Il en était de même lors des batailles. Leur corpulence, assez identique à la nôtre, rendait le combat équitable.

En termes de taille et de puissance, les Golans se situaient entre Saliens et Morcans. Pour avoir participé à l’effondrement de notre muraille, ils avaient payé un lourd tribut et il n’en restait que quelques-uns.

— Les mercenaires ne bougent pas d’un pouce, s’étonna le général.

Et ces tambours qui battent la mesure…

— Ils vont se faire balayer… prédit Olivier, les mains sur le visage.

— Ils possèdent des chevaux, observai-je. Rien ne leur interdit de fuir au dernier moment. Peut-être un bon moyen d’humilier les Galiens. Ou de nous offrir le temps de respirer.

Dans un premier temps, les événements corroborèrent mes suppositions car une quarantaine de soldats se hissèrent à dos de cheval.

— Ils ne s’apprêtent pas à fuir, remarqua Antony. Ils s’arment.

— Regardez leurs arcs ! m’étonnai-je.

Leur forme expliquait pourquoi les cavaliers s’en munissaient. Plus petits que les nôtres, ils en devenaient maniables à cheval.

— Ils ne doivent pas tirer bien loin avec ça, se moqua Olivier.

— Au contraire, le reprit Gauthier. Remarque leur forme atypique. Leur courbure est multiple. Cela devrait te rappeler quelque chose.

— La puissance dépend de la longueur du cadre, non de sa hauteur, se souvint Antony.

— Exactement, confirma le général. Cette forme sinueuse permet de gagner en longueur. Ils en deviennent beaucoup plus maniables.

— Pourquoi n’en avons-nous pas ? demanda Olivier.

— Trop coûteux.

Il ne s’agissait pas là de l’unique raison. Constitués de plusieurs matériaux différents collés entre eux, il suffisait d’une bonne pluie pour rendre le tir de ces arcs composites aléatoire. La difficulté d’atteindre une cible à cheval représentait le second inconvénient. J’espérais qu’ils en maîtrisaient l’art. S’ils nous rejoignaient, nous disposerions d’une archerie montée, un corps d’armée rare et de grande valeur, efficace contre la cavalerie lourde, ou toute formation ne disposant pas d’armes de jet.

Les archers à pied formèrent un demi-cercle disparate derrière les cavaliers. Alors que l’armée galienne avait parcouru une bonne part du trajet, un des membres de la troupe leva un bras.

— Ils ne vont quand même pas… commençai-je.

— Incroyable, surenchérit Antony, on dirait qu’ils…

— Ils attaquent ! cria Olivier.

Nous assistâmes à un moment remarquable. Une quarantaine de cavaliers dévalèrent la pente à la rencontre de l’armée galienne. Les tambours accéléraient la cadence. Les archers lâchèrent leur corde. Une volée de flèches survola les cavaliers. Le désordre s’installa dans le camp galien : focalisé sur l’assaut, la première salve engendra un carnage. Arrivée à quinze pas des premiers fantassins, la troupe mobile s’arrêta net. Quatre d’entre eux mirent pied à terre et foncèrent sur l’ennemi.

— Je n’en crois pas mes yeux… soufflai-je, alors que mes compagnons contemplaient la scène bouche bée.

Les cavaliers restés en retrait criblaient les Galiens de flèches pendant qu’une nouvelle volée se préparait depuis la colline. Les quatre fantassins détachés, puissamment cuirassés, ferraillaient au milieu d’une armée désorganisée. Si leur audace nous avait abasourdis, nous le fûmes tout autant de leur réussite. De rage, le Morcan les chargea, son puissant marteau à la main. Immédiatement après, au sein de l’archerie montée, deux cavaliers se détachèrent. La deuxième volée de flèches s’abattit sur les Galiens.

— Incroyable ! répéta Antony.

— Les flèches sont aussi tombées sur les quatre humains, s’étonna Olivier.

— Soit c’est de la chance, soit leur armure tient le choc, en déduisit le général.

Le géant se trouvait tout proche. Les Quatre reculèrent mais, soudain, leur agresseur s’arrêta net.

— Ils étaient à sa portée, s’exclama Olivier. Que lui arrive-t-il ?

— Le Morcan recule ! clamai-je, pendant que le général secouait la tête.

Une nouvelle salve s’abattit sur les combattants. Les Galiens tombèrent par dizaines. L’archerie montée décimait le flanc ennemi.

— C’est de l’art, chuchotai-je.

En effet, en combattant au milieu d’eux, les quatre fantassins monopolisaient l’attention des soldats, rendus vulnérables aux pointes d’acier. Les archers de la colline visaient particulièrement la zone occupée par les quatre humains dont les armures, tout comme celle des Morcans, résistaient aux tirs.

— Une stratégie sacrément efficace, reconnut Olivier.

— Leurs cuirasses résistent aussi au tranchant de l’épée, remarqua Antony. Ils essuient de sacrés coups.

Les Saliens les plus proches des archers montés réagirent et formèrent une ligne de défense face aux cavaliers, orientant les boucliers dans leur direction. Les Quatre changèrent de tactique et s’en retournèrent, taillant en pièce les premières lignes pour s’en échapper. Affaiblies, celles-ci furent décimées par les archers montés. Depuis la colline, une nuée de projectiles s’abattit sur les rescapés et ceux qui accouraient en appui. Les officiers Galiens ordonnèrent le rassemblement. L’armée se réorganisa, protégée derrière ses boucliers. Les Quatre retrouvèrent leurs montures et l’ensemble des cavaliers se dirigea vers la colline. Les tambours se turent.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 25 versions.

Vous aimez lire Nicolas Cesco ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0