C'était un beau soir de l'hiver indien, une de ces soirées enchanteresses qu'offre le nord des Indes en cette saison. La Gomti coulait tranquille et dans ses eaux se reflétait la douce lueur de la lune.

Alex et Luna profitaient de ce moment, seuls, admirant tout autant les ombres des banians sur l'autre rive que les petits scintillements dans le lent cours du fleuve. Enveloppés dans l'agréable chaleur de ce début de nuit et dans les parfums enchanteurs qui se mêlaient, parfums dominés par les fragrances des orangers parvenant jusqu'à eux, ils se tenaient enlacés sur la rive. Alex avait passé ses mains autour de la taille de Luna, elle appuyait son dos contre lui, la tête sur son épaule gauche. Sa lourde tresse coulait sur le bras de son mari.

La nuit était emplie des cris des animaux sauvages : petits piaillements des singes, roucoulements des oiseaux, coassements des grenouilles et crapauds, et parfois, du feulement d'un fauve, dans le lointain. De temps à autre, un vif éclat argenté se dessinait à la surface de l'eau, preuve du passage d'un poisson.

A un moment, Luna leva ses deux mains vers le ciel, comme si elle avait voulu faire reposer la lune dans ses paumes.

- Elle est presque ronde, fit-elle, comme le soir où vous étiez venu pour la première fois à la Casa de los Naranjos, que nous nous étions revus et... aimés.

- Oui, c'est vrai, nota Alex. Elle était magnifique ce soir-là et vous aussi. Et vous m'aviez raconté l'origine de votre prénom, c'était très émouvant. Vous étiez très émouvante, mon amour. Je ne pouvais pas résister à ce charme qui m'envoûtait. Vous, la lune, la nuit, les parfums... Tout était trop beau, trop fort, trop intense pour moi. Je ne pouvais que m'agenouiller devant tant de beauté.

- C'était comme un rêve... soupira Luna. Mais plus beau encore, car il était vrai. Je n'avais pas compris, Alex, que je vous aimais déjà quand nous nous étions revus à Londres... Sinon...

- Croyez-vous que cela aurait changé quelque chose ?

- Peut-être aurais-je eu des arguments à avancer à mon grand-père maternel, pour qu'il ne m'amène pas à ce mariage d'apparat avec Russell.

- Il n'aurait pas accepté ma demande. Ni la vôtre. Même s'il l'aurait considérée avec sérieux. Il voulait un mariage plus... convenable pour vous. Pour votre rang et votre fortune.

- Pour ce qu'ils m'importaient... fit Luna en secouant doucement la tête. Je connaissais la richesse de votre cœur et c'était bien plus important pour moi. Vous avez veillé sur moi depuis toujours, Alex, depuis ce premier jour où vous étiez venu avec votre mère. Vous souvenez-vous ? Nous nous étions pareillement promenés jusqu'à la rivière. Vous vouliez que je vous fasse découvrir le jardin.

- Oui et c'était une belle découverte. Votre grand-père a su créer ici un havre de paix et de beauté, mariant savamment l'architecture espagnole à celle des Indes, et les jardins sont eux-mêmes à cette image : riches, foisonnants, beaux. Nos enfants ne s'y trompent pas, d'ailleurs !

Luna sourit.

- Je suis si heureuse, mon aimé, que nous puissions vivre ici. J'ai caressé ce rêve tant de nuits quand j'étais à Wellington. J'aspirais tant à revenir ici... Puis à être ici avec vous.

- Moi aussi. J'espérais que ce soit un jour possible. Et cela l'est désormais. Et pour toute notre vie.

Ils demeurèrent à nouveau silencieux, puis Alex fit tourner Luna vers lui. Ses perles noires brillaient d'un éclat magnifique, de cet éclat qui éclairait chacun de ses jours, qui peuplait chacun de ses rêves. Ils se fixèrent ainsi, Luna accrochant le beau regard gris d'Alex. Ce beau regard qui avait la couleur de ses rêves, la couleur de son amour.

Puis ils s'embrassèrent longuement, au creux de cette nuit indienne, sous la douce lumière de la lune.

FIN