Chapitre 71 : Les petits bonheurs

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Si Alex et William apprécièrent de se retrouver en famille et avec leurs proches à Calcutta et profitèrent de quelques journées de repos bien méritées, ils ne tardèrent pas cependant à organiser le retour de tous à Lucknow. Les dernières poches de résistance rebelle étaient tombées et même si l'un des principaux meneurs et initiateurs du soulèvement n'avait pu être arrêté, l'ordre régnait désormais. Luna et Don Felipe faisaient totalement confiance à Alex quand celui-ci affirmait qu'ils ne couraient désormais pas plus de risques à Lucknow qu'à Calcutta. De plus, Alex tenait à faire le voyage assez tôt, si possible avant la fin du mois de mai, avant les grandes chaleurs qui précèdent la mousson.

Ce fut ainsi qu'un véritable petit convoi quitta Calcutta, à l'heure fraîche précédant l'aurore, par un beau matin de la fin mai, deux jours après l'anniversaire de Myriam et presque un an jour pour jour après qu'ils avaient trouvé refuge à la Résidence. Plusieurs voitures avaient été apprêtées pour transporter femmes, enfants et servantes, puisqu'Ameera et Satya accompagnaient bien entendu leur maîtresse. Don Felipe voyagerait également dans une des voitures. Rodrigo préféra faire le trajet à cheval et ils furent escortés par Yussev et son cousin qui étaient demeurés au service de Don Felipe. Quelques-uns des soldats qui avaient accompagné William et Alex repartirent aussi pour Lucknow. Arthur Robinson qui avait fait partie des soldats évacués pour cause de blessure se trouvait aussi avec eux, étant désormais tout à fait remis. Ils bénéficiaient donc d'une escorte suffisante.

Le voyage se passa sans aléa notoire et ce fut avec une grande joie que Luna vit se dessiner, en une chaude fin d'après-midi, les murs de la Casa de los Naranjos. Don Felipe ne dit pas un mot alors qu'ils franchissaient le grand portail, largement ouvert. Il baissa les yeux, essuya fugitivement une larme : un an plus tôt, il n'aurait pas cru revoir sa propriété, pouvoir de son vivant revenir dans sa maison.

Hamid avait pu rappeler la plupart des serviteurs et tous s'étaient employés à redonner vie et éclat à la belle demeure. Les traces du pillage avaient été soigneusement effacées, même si certaines pièces de vaisselle et objets de valeur avaient disparu, même si quelques meubles avaient été saccagés ou détruits.

Ce fut avec beaucoup d'émotion que tous se retrouvèrent, Satya et Ameera serrant longuement leur sœur entre leurs bras. Don Felipe invita William, Sophie et Brenda à demeurer à la Casa de los Naranjos, aussi longtemps qu'ils le souhaiteraient, les cantonnements militaires n'offrant pas forcément encore le confort pour héberger les familles des officiers. Quant à Sonya Randall, il allait de soi qu'elle résiderait désormais à la Casa de los Naranjos, pour profiter au quotidien de son fils, de sa belle-fille et de sa petite-fille. Pour Don Felipe, accueillir tous ces proches était aussi une façon de faire vivre la belle demeure.

**

Le premier soir, après avoir pris un peu de repos et partagé un bon repas, Luna put réaliser un de ses souhaits secrets : promener sa fille et la bercer en faisant le tour du jardin et en profitant du parfum des orangers. Elle portait Myriam à la façon indienne, comme elle le faisait depuis les premiers jours, grâce au long pan de tissu passé autour de son épaule et de sa taille. Même si la petite fille avait grandi, Luna trouvait toujours très pratique de la porter ainsi, d'autant qu'elle ne marchait pas encore.

Alex les accompagnait, heureux lui aussi de profiter de cette heure calme et de la toute relative fraîcheur apportée par le soir. Il avait calé son pas sur celui de Luna et ils marchèrent jusqu'aux rives de la Gomti. Un petit singe courut devant eux, quelques oiseaux s'envolèrent. Les parfums se mêlaient. La rivière était quasiment à son niveau le plus bas et les bancs de sable se distinguaient nettement sous la clarté de la lune. Tout était paisible.

- Je suis heureuse que nous soyons de retour, dit Luna alors qu'Alex s'était placé dans son dos et l'enlaçait, passant la main sous les épaules de Myriam.

- Moi de même, dit-il. Nous allons aussi prendre le temps de nous réinstaller ici avant que je sois appelé auprès du nouveau gouverneur.

- Vous aurez beaucoup à faire encore... fit-elle remarquer.

- Oui. Mais ce sera constructif. Et il faut aussi espérer que les leçons seront tirées et que nous tiendrons mieux compte des réalités de ce pays et de ses habitants. De trop nombreuses erreurs ont été commises, on n'a pas assez écouté des hommes comme Sir Lawrence et quelques autres. Je ferai mon possible, en tout cas, pour que les choses aillent dans le bon sens et être au service de la population et non de quelques chacals qui veulent faire main basse sur toutes les richesses.

- Je sais, sourit Luna. Je sais que vous ferez au mieux. Et nous serons ensemble. C'est le plus important pour moi.

- Ca l'est aussi pour moi, mon amour, dit-il en déposant un baiser sur sa tempe.

Le regard d'Alex se perdit un instant entre les bancs de sable. Puis il dit :

- Vous souvenez-vous de ma toute première visite ? Quand vous étiez encore une petite fille...

- Oui, dit-elle, je m'en souviens très bien. Je n'ai rien oublié, je crois, des moments que nous avons passés ensemble. Ni de votre regard ébahi et admiratif quand nous étions restés, une fois, dans ma chambre, pour jouer.

- Cette première fois, Luna, j'avais pu goûter une des oranges des arbres de votre grand-père. Je crois que je n'en ai jamais mangé d'aussi bonnes qu'ici.

- Je me souviens que nous l'avions partagée... Vous l'aviez épluchée avec votre couteau. Elle était mûre juste comme il fallait, sourit Luna. Et très juteuse aussi.

- Voulez-vous en goûter une ce soir ?

- Volontiers. Cela fait un an que je n'ai pu en profiter...

Ils quittèrent alors les bords de la rivière pour revenir vers la maison. Ils marchaient d'un pas tranquille, entre les allées et les massifs fleuris. Alex nota que si Hamid et les autres serviteurs s'étaient employés à remettre la maison en ordre et à effacer les traces du pillage, ils avaient aussi eu le temps d'entretenir le jardin. Certes, il restait encore à y faire, mais il avait quand même belle allure.

Arrivés sous les orangers, Alex observa quelques branches et choisit un fruit de belle couleur. Il ouvrit son couteau, l'éplucha et présenta un premier quartier à Luna avant de prendre le deuxième pour lui-même.

- Cela fait partie des petits bonheurs de cette maison et de ce jardin, fit Alex. C'est vraiment un cadre enchanteur pour voir grandir notre fille.

Luna lui sourit. Son regard était serein et tout son visage reflétait la douce quiétude qui l'habitait désormais. Ils étaient en sécurité. Ils étaient de retour à Lucknow, chez eux.

Et ils étaient ensemble.

Alex, Myriam et elle.

**

La chambre de Luna n'avait subi que peu de dommages : tout juste les pillards y étaient-ils entrés, comme dans toutes les autres pièces de la maison, espérant y trouver bijoux ou objets précieux faciles à emporter. Mais Don Felipe avait veillé à mettre à l'abri ces biens, et notamment les bijoux que Luna possédait, la plupart étant héritages de sa mère et de sa grand-mère. Rodrigo et Isabella les avaient emportés avec eux à Calcutta, il avait soigneusement caché quelques autres et il n'avait conservé sur lui que l'anneau de sa défunte épouse, anneau qu'Alex avait passé au doigt de Luna le jour de leur mariage.

Anneau qui brillait doucement sous les rayons de lune alors qu'ils entraient dans la chambre. Elle avait été soigneusement nettoyée et préparée par la sœur aînée d'Ameera et de Satya et Luna avait été heureuse d'y entrer dans l'après-midi, à leur arrivée. Alex n'en avait pas encore franchi le seuil et il retrouva avec plaisir l'atmosphère toute particulière qui y régnait, avec les décors peints sur les murs et le plafond, les tapis moelleux sur le sol et les meubles de bois sombre joliment ouvragés.

Myriam s'était endormie durant leur promenade et Luna la coucha dans le petit lit préparé par Ameera. D'ici quelques mois, quand Luna ne l'allaiterait plus, elle dormirait dans la chambre voisine. Don Felipe avait déjà envisagé de la faire aménager et décorer pour la petite fille.

Ce fut Alex qui referma la moustiquaire autour du lit de sa fille et il demeura un instant auprès d'elle.

- Je ne me lasse pas de la regarder dormir, fit-il doucement alors que Luna passait son bras autour de sa taille. C'est un spectacle tellement apaisant et réconfortant !

- Je pensais souvent à vous, quand nous étions à Calcutta, soupira Luna. Mais je crois que le moment où mes pensées étaient les plus vives, les plus intenses, comme si j'avais voulu qu'elles vous parviennent, c'était à cette heure. Quand je couchais Myriam après son dernier repas. La regarder m'apaisait aussi et m'encourageait à vivre cette attente avec confiance.

Alex sourit et eut un dernier long regard pour sa fille, avant de se tourner vers Luna et de la prendre dans ses bras.

**

Ils étaient étendus, nus, face à face, dans le grand lit bas de la chambre colorée. Avec tendresse, Alex caressait le visage de Luna du bout de ses doigts, dessinant l'arc de ses sourcils, la pointe de son nez, l'arrondi de sa joue. Et ses lèvres ourlées qu'il prit d'un long baiser.

- Alex... soupira-t-elle.

- Oui, mon aimée ? demanda-t-il dans un souffle.

- Je suis heureuse que nous soyons ensemble, pour cette première nuit ici, à la maison.

- Moi aussi, dit-il en souriant. Je suis heureux de revenir à Lucknow avec vous, que nous nous retrouvions ici. Cette chambre... Votre chambre est si belle. J'en ai longtemps gardé le souvenir, de ma visite alors que vous étiez encore enfant et moi adolescent. Et plus encore, ces derniers temps, de notre première nuit... Vous étiez si belle, si désirable, mon amour... Je vous aimais tant déjà ! Et plus encore maintenant...

- Moi aussi, je vous aime si fort... lui murmura-t-elle en retour.

Il n'ajouta rien et la fixa un long moment, tout en laissant ses mains descendre sur sa poitrine, son ventre, ses cuisses. Son premier frisson fut comme un signal. Alex fit basculer Luna sur lui et lui souffla :

- Aimez-moi, ma douce, comme vous le voulez...

Et Luna profita, encore une fois, de cette merveilleuse liberté qu'il lui offrait.

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