Chapitre 64 : Le meilleur choix possible

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Lors du petit trajet qui les avait menés jusqu'à la maison, Sonya avait pu faire connaissance avec sa petite-fille. Elle trouva ravissant le prénom que Luna et Alex lui avaient donné. A maintenant six mois, Myriam était bien éveillée et distribuait des sourires à toute personne se penchant vers elle. Lors du voyage jusqu'à Calcutta, pour occuper les lentes heures de la journée, Brenda avait confectionné une petite poupée avec des morceaux de chiffons, la précédente ayant disparu lors d'une des évacuations de la Résidence consécutive à une attaque.

La maison apparut aux réfugiés de Lucknow comme un véritable havre de paix après les journées si difficiles vécues au cours des mois précédents. Elle comptait deux niveaux. Le rez-de-chaussée était entouré d'une longue véranda ouverte sur le jardin. Et, à l'étage, les fenêtres étaient protégées du soleil par un toit tombant assez bas. Côté nord se trouvait aussi une véranda et plusieurs chambres y donnaient.

Chacune des jeunes femmes y logea dans une chambre, claire, joliment décorée. Don Felipe s'installa au rez-de-chaussée, plus aisé d'accès pour lui. Rodrigo et Isabella s'étaient aussi logés à cet étage. Rodrigo avait engagé plusieurs serviteurs, il se félicita cependant que Yussev, un de ses cousins et les deux Indiennes aient survécu au siège. Parmi les serviteurs engagés étaient demeurés deux des neveux de Yussev qui avaient fait partie de leur escorte quand ils avaient quitté Lucknow.

La maison, jusque-là bien calme, allait se remplir de vie avec l'arrivée des réfugiés. En quelques jours, le confort, la sécurité, la joie de retrouver des proches, redonna le sourire aux jeunes femmes et à Don Felipe, même si l'inquiétude concernant le sort d'Alex, William et Nagib était toujours bien visible dans leurs regards.

Sonya, Luna et Don Felipe passèrent de longs moments à évoquer les mois passés. Rétrospectivement, Luna et son grand-père s'inquiétèrent du voyage que Sonya avait entrepris, ignorante encore que la rébellion allait se déclencher. Luna remercia plus d'une fois le destin de l'avoir menée en sécurité jusqu'à Calcutta où elle avait pu retrouver Rodrigo et Isabella. Non seulement elle ne s'était pas engagée plus loin vers le nord, mais, en plus, elle avait eu la compagnie de proches pour garder espoir tout au long de l'été.

- Ce fut certains jours si difficile, soupira Sonya, en regardant avec tendresse Myriam endormie dans les bras de sa mère.

C'était l'heure de la sieste de la petite fille et Luna venait de l'allaiter. Elle la berçait encore avant de la coucher. Sonya poursuivit :

- Surtout quand nous avons appris ce qui s'était passé à Kanpur, nous avons alors eu grande peur que vous ne connaissiez pareil sort funeste. Les nouvelles que nous recevions d'Oudh étaient éparses, confuses. Rodrigo se rendait très souvent au palais du gouverneur, mais il était difficile d'avoir des renseignements précis. Soit le gouverneur et son entourage n'en recevaient guère ou pas de plus détaillées que ce que nous parvenions à apprendre de notre côté, soit, ils ne voulaient rien dire... Mais quand nous avons su, fin août, que des opérations militaires étaient sérieusement envisagées vers Oudh, alors, nous avons repris espoir.

- L'absence de nouvelles fut aussi un élément difficile à vivre pour nous, dit Don Felipe, surtout parce que nous étions ignorants de la situation dans les provinces voisines. Nous ne savions pas combien de temps il nous faudrait tenir et si nous y parviendrions. Le plus délicat était le manque de nourriture, au fil des semaines.

Luna hocha la tête. Elle se souvenait encore d'une conversation qu'elle avait suivie entre Nagib et Alex, quand il avait été question d'abattre des chevaux. Si les bêtes les plus fatiguées ou celles qui avaient été blessées gravement durant des sorties avaient été abattues et avaient alors fourni de la nourriture bienvenue, ils se trouvaient maintenant dans une situation beaucoup plus délicate. Des animaux en bonne santé seraient désignés. Car il ne restait presque plus de vaches ou de moutons. Ceux qui demeuraient seraient préservés car ils fournissaient du lait, essentiel pour les enfants notamment. Le tour des chevaux des soldats était donc venu. Et Alex avait dit alors, d'un ton très grave, qu'il abattrait lui-même Kashmir si cela s'avérait nécessaire. Mais Kashmir avait été épargné et Luna pensait au fier étalon avec une certaine tendresse. Pour elle, il était un élément de réconfort au même titre que William et Nagib, sachant combien Alex et sa monture étaient liés. Elle ne pouvait oublier leur évacuation de la Casa de los Naranjos, la chevauchée dangereuse qu'ils avaient menée jusqu'à la Résidence. Et elle était certaine que si Alex devait s'échapper de Lucknow ou de tout autre endroit où il serait en danger, Kashmir saurait le mener à bon port, comme il l'avait mené, blessé, des mois plus tôt, jusqu'à la Casa de los Naranjos.

- Nous avons pu compter sur une très bonne organisation des soldats et de Lady Honoria, dit encore Don Felipe. Elle est une femme admirable, très dévouée et solide. N'est-ce pas, Luna ?

- Oui, fit Luna avec un sourire. Les circonstances nous ont aussi rapprochées et j'ai été heureuse de pouvoir l'aider quotidiennement ou presque. Faire face avec elle, c'était trouver aussi du courage, chaque jour, pour tenir et aider autant que nous le pouvions. Surtout quand il a fallu s'occuper des blessés...

Don Felipe hocha la tête. Il se souvenait parfaitement de ces journées durant lesquelles il ne vit pratiquement pas Luna, hormis quand elle revenait pour nourrir sa fille.

- Même si je comprends qu'elle aurait aimé demeurer à Lucknow, poursuivit Luna, je suis heureuse qu'elle soit maintenant à Calcutta, comme nous. Il faudra l'inviter à nous rendre visite prochainement, n'est-ce pas, grand-père ?

- Oui, bien entendu. Elle sera certainement très heureuse de nous revoir, sans compter que nous avons désormais un petit lien particulier avec elle...

Le petit sourire de Don Felipe cachait un mystère que Sonya perçut vite. Elle regarda alors Luna. Cette dernière s'était levée et avait installé Myriam dans son berceau. C'était un petit lit plus grand que celui qu'elle avait eu dans la Résidence, plus confortable aussi. Elle referma soigneusement la moustiquaire et reprit sa place dans le fauteuil, face à Sonya. Elle aussi avait remarqué le sourire de son grand-père et elle prit les mains de Sonya dans les siennes, lui souriant également.

- Nous avions beaucoup à nous dire depuis hier, mais il était une chose que je voulais vous annoncer dans le calme. Madame Randall... J'espère que vous accepterez que je vous appelle "mère", désormais, puisqu'Alex et moi nous nous sommes mariés durant le siège. Et si mon grand-père fait ainsi allusion à Lady Honoria, c'est parce qu'elle avait proposé d'être mon témoin.

Sur le visage de Sonya s'afficha une foule d'émotions, allant de la surprise à la joie. Elle serra fort les mains de Luna en retour, puis ne put s'empêcher de se pencher vers elle et de l'attirer contre elle. Elle l'étreignit un moment, les larmes perlaient à ses yeux.

- Ma chère petite... Je suis si heureuse que cela ait été possible... Je craignais tant... tant de difficultés pour vous, pour Alex, et pour votre ravissante petite Myriam. C'est aussi pour cela que j'ai voulu vous rejoindre, pour être avec vous et vous aider autant qu'il me serait possible... Si jamais... Mais qu'est-il donc arrivé ? Racontez-moi tout maintenant !

Elle s'écarta de Luna, essuya ses yeux avec un petit mouchoir brodé, et se rassit pour écouter le récit de la jeune femme.

- Vous saviez que j'avais décidé de demeurer à Lucknow durant ma grossesse. Je voulais que mon bébé y naisse et plus encore, qu'il naisse à la Casa de los Naranjos. A quelques jours près, Myriam aurait pu voir le jour dans l'enceinte de la Résidence, mais mon souhait de lui donner la vie dans ma maison a pu être exaucé. La rébellion s'est déclenchée au cours de la semaine qui a suivi et nous nous sommes donc tous retrouvés à la Résidence. C'est là qu'Alex nous a appris que Russell était mort, à Delhi, quand la mutinerie s'y était déclenchée. Un voyageur qui nous connaissait s'était trouvé à Delhi à ce moment-là et s'était rendu dans la propriété de Russell. Il avait pu constater de ses propres yeux que... qu'il était mort. Il s'est enfui ensuite et est parvenu à Lucknow où il a fait partie des réfugiés. Il avait raconté son périple à Sir Lawrence, qui en a fait part à Alex ensuite...

- Je comprends, dit Sonya. Cette nouvelle... a quand même dû vous affecter.

- Oui, dit Luna. J'avais beaucoup de mal à réaliser ce qu'elle allait signifier, mais j'ai eu de la peine pour Russell, car je n'avais jamais souhaité être libérée de l'engagement pris de cette façon. Même si c'était la seule façon... Nous nous sommes donc mariés, Alex et moi, lors d'un répit durant le siège. Ce fut une cérémonie très simple, mais très belle à mes yeux et très émouvante. Et nous avons pu faire baptiser Myriam à l'arrivée des troupes libératrices. Ainsi, William a pu devenir le parrain de Myriam, et Sophie sa marraine. Nous tenions vraiment tous les deux à ce que William soit son parrain... Alex par amitié pour William et moi, parce que... parce que j'étais et suis toujours persuadée qu'elle bénéficie désormais de la meilleure protection possible, au-delà de celle que nous-mêmes, vous et grand-père pourrons lui apporter.

Sonya sourit à ses derniers mots. Elle se sentait très heureuse pour son fils et pour Luna, désormais sa belle-fille, mais heureuse aussi à l'évocation de William.

- C'était le meilleur choix possible, c'est certain, conclut-elle.

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