Chapitre 45 : Seul le temps pourra l'aider

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Très vite, Luna aida aussi à sa façon Lady Honoria. Dès qu'elle avait nourri Myriam, elle la laissait aux bons soins d'Ameera, de Satya ou de Brenda et sous la veille de son grand-père. Luna éprouva vite une très vive admiration pour l'épouse de Sir Henry qui œuvrait sans relâche pour les réfugiés de la Résidence. Au moins deux fois par jour, on la voyait traverser les jardins pour se rendre à l'ancien palais de la Begum pour voir comment y vivaient les familles et aider les épouses du docteur Fayrer et du colonel Bradley à organiser tout autant la distribution de nourriture que les soins et le réconfort.

Elles bénéficiaient aussi d'une aide précieuse par le soutien que les plus jeunes des élèves de l'école militaire de la Martinière leur apportaient. Les plus âgés des élèves secondaient les soldats sous les ordres du directeur de l'école, George Schilling, en veillant notamment à ce que ils ne manquent jamais de munitions. Ils aidaient aussi à l'entretien et à la vérification des armes. Les plus jeunes, pour qu'ils soient moins exposés, avaient été répartis en deux groupes. Le moins nombreux aidait directement Lady Honoria et les familles réfugiées dans le bâtiment de la Résidence, l'autre secondait Julia Bradley et Bethia Fayrer.

Lady Honoria était très organisée. Elle commençait toujours sa journée par une brève entrevue avec son mari et le colonel Bradley. Parfois aussi, le major Evans était présent. Ensuite, elle rendait sa première visite aux réfugiés du palais de la Begum, avant de revenir à la Résidence pour la distribution matinale de nourriture. Une fois ces premières tâches terminées, elle faisait une évaluation des stocks dont elle disposait à la Résidence, puis elle rendait une visite aux civils soignés dans la maison du docteur Fayrer. Et quand cela était nécessaire, elle visitait aussi les soldats blessés. Anita la suivait quasiment partout, retenant les avis et les remarques de Lady Honoria et lui offrant ainsi une aide précieuse. L'après-midi, elles préparaient et organisaient la seconde distribution de nourriture de la journée. Deux hommes - au départ des civils qui furent remplacés ensuite par des soldats légèrement blessés - surveillaient en permanence l'entrepôt de nourriture, situé au sous-sol de la Résidence. Il en allait de même pour les deux autres entrepôts, l'un réservé aux autres civils, l'autre destiné aux soldats. Ce dernier se trouvait près du mess et des cantonnements où les soldats avaient leurs quartiers. Les élèves de la Martinière avaient été hébergés dans un des baraquements du quartier militaire, là où se trouvaient autrefois les bureaux de Sir Lawrence et de ses hommes. Alex avait rarement l'occasion de s'y rendre. Après deux semaines de siège, il avait eu du mal à reconnaître les lieux, transformés en dortoirs et en abris pour les élèves.

Même si les conditions de survie au sein du quartier de la Résidence étaient précaires et difficiles, cette organisation et cette discipline furent des atouts essentiels pour les réfugiés et leurs défenseurs. Cependant, malgré tous les efforts de Lady Honoria, du docteur Fayrer et de quelques femmes d'un dévouement admirable, les morts furent quotidiens.

Une des premières victimes de la sous-alimentation fut Madame Faulkner. Elle s'était épuisée au fil des jours, n'ayant que peu d'appétit et n'étant pas attentive à boire, malgré la chaleur étouffante qui régnait dans les pièces de la Résidence, surtout l'après-midi. Elle ne quittait plus guère le lit et, un matin, après avoir aidé Lady Honoria, Sophie l'y trouva morte alors qu'elle lui apportait sa part de nourriture. Elle s'était éteinte dans son sommeil. Sophie et Brenda la pleurèrent à chaudes larmes et Luna elle-même fut très affectée par ce décès. Madame Faulkner avait été d'une compagnie si agréable durant le voyage la ramenant aux Indes, puis toujours accueillante avec elle lors de ses séjours à Meerut.

Alex fut alerté très vite de la nouvelle par Pedro et il quitta la surveillance de son secteur, confiant son poste à Nagib et à Arthur le temps de s'occuper de la morte. Des ordres avaient été donnés par Sir Lawrence lui-même pour que toute personne décédée soit enterrée au plus vite, afin d'éviter les épidémies. L'inhumation de Madame Faulkner eut donc lieu le jour-même de son décès, dans l'après-midi.

**

Alors que deux civils qui s'étaient portés volontaires pour s'occuper des morts jetaient les dernières pelletées de terre sur le cercueil de Madame Faulkner, aidés également par Pedro, Sophie et Brenda pleuraient dans les bras l'une de l'autre. Don Felipe se tenait bien droit près de la tombe, accompagné de Lady Honoria qui avait tenu à être présente pour la cérémonie, malgré le travail incessant qui l'attendait. Elle s'était liée de sympathie pour les désormais deux orphelines et éprouvaient beaucoup de tendresse notamment pour Brenda. Sophie pourrait se raccrocher à son bébé et à l'espoir de retrouver son mari, mais Brenda n'avait plus que sa sœur pour veiller sur elle.

Alex et Luna étaient là aussi, et se tenaient aux côtés des deux sœurs. Quand tout fut terminé, on les laissa un petit moment seules, et Alex ramena Luna et Don Felipe à la Résidence. Il revint chercher Sophie et Brenda ensuite.

- Venez, dit-il, il ne faut pas rester. Lady Honoria vous attend dans son petit salon, il n'est pas prudent de demeurer au-dehors à cette heure.

En effet, des tirs se faisaient entendre et les défenseurs de la Résidence étaient tous très concentrés face à leurs assaillants.

- Elle a rejoint notre cher papa, Brenda, dit Sophie doucement. Et elle n'a pas souffert... Viens, Alex a raison. Ne restons pas là.

L'adolescente leva des yeux pleins de larmes vers Alex, puis regarda sa sœur. Le jeune homme en eut le cœur serré, car son regard était comme éteint, semblable à celui de Madame Faulkner depuis qu'elle avait trouvé refuge à Lucknow et sans doute même depuis le jour de la mort tragique de son mari. Il ne pouvait qu'espérer que Brenda se remettrait, mais il savait aussi par expérience que seul le temps pourrait l'aider. Le temps et la présence aimante de sa sœur, ainsi que de Luna.

Lady Honoria leur fit un accueil très chaleureux. La pièce où elle les reçut était effectivement petite et portait bien le nom de "petit salon". Ce n'était en fait à l'origine qu'une antichambre, attenante à celle qu'elle partageait avec Sir Henry. L'espace disponible s'étant considérablement réduit pour accueillir tous les réfugiés de Lucknow, elle n'avait pas hésité à prendre sur ses propres appartements pour héberger une ou deux familles.

Anita avait préparé un thé et, comble du luxe, elle était même parvenue avec l'aide de Satya à confectionner quelques gâteaux secs avec un peu de farine et quelques morceaux de fruits. Cela fut un petit réconfort pour les deux sœurs bien éprouvées, mais les mots de Lady Honoria eurent aussi de l'effet, notamment sur Brenda. Si elle encouragea Sophie à penser à son bébé avant tout, d'autant que sa grossesse avançait et que son ventre était de plus en plus proéminent, elle exhorta Brenda à veiller sur sa grande sœur et lui demanda de venir chaque jour l'aider à la distribution de la nourriture. Alex se fit la réflexion qu'elle allait tenter d'occuper l'esprit de l'adolescente et que c'était le mieux à faire. Quant à Sophie, même si elle voulait toujours apporter son aide, il était plus prudent qu'elle demeure au repos, pour ne pas accoucher prématurément. Même s'il n'était pas dans les petits secrets de la future maman, il avait lui aussi fait ses calculs et se doutait que Sophie avait dû tomber enceinte peu après son mariage avec William. Il estimait donc que son enfant pourrait naître dans le courant du mois d'octobre, mais compte tenu de leurs conditions de vie, il était aussi possible que cela se produise plus tôt. Il se montrait alors discrètement, mais sûrement, toujours attentif à la jeune femme, un peu comme il l'avait été avec Luna.

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