Chapitre 44 : Le siège de la Résidence

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Nouvelle entorse historique : ce fut au début du siège de la Résidence, le 4 juillet 1857, que Sir Henry Lawrence trouva la mort. Il fut remplacé par le major Inglis qui prit la tête des combattants britanniques jusqu'à la libération de la ville. J'ai choisi de maintenir Sir Henry en vie, pour de multiples raisons. Vous les découvrirez au fil de l'histoire...

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Au cours des jours qui suivirent l'attaque contre les cantonnements, Sir Lawrence donna l'ordre de faire arrêter plusieurs personnalités de la ville, dont le frère de l'ancien roi, soupçonnées d'avoir incité la population à la révolte. Il parvint aussi à faire saisir le trésor royal, pour éviter que cet argent ne soit utilisé pour financer la rébellion et le fit mettre sous haute protection. Ce furent les dernières opérations que la police indienne accepta de mener pour le compte des Britanniques avant de rejoindre, elle aussi, les rebelles.

Durant les deux premières semaines de juin, la tension monta progressivement. Il était devenu aisé de comprendre que la mutinerie s'était déclenchée à grande échelle, au moins à travers toutes les provinces du nord, d'après les renseignements que Sir Lawrence et ses hommes purent obtenir avant de se retrouver isolés et coupés du monde. Plusieurs échanges furent en effet encore possibles avec le général Wheeler qui commandait la garnison de Kanpur, située à une cinquantaine de miles au sud-ouest de Lucknow. Elle se trouvait aussi sur une des deux routes menant à Delhi. Le général Wheeler devait faire face à l'un des meneurs de la révolte, Nânâ Sâhib, avec lequel il avait pourtant noué des liens d'amitié. Lorsque la mutinerie se déclencha le 4 juin, le général demanda des renforts à Sir Lawrence, mais ce dernier dut se résoudre à les limiter pour ne pas dégarnir ses propres défenses.

Suite à la réddition de la garnison de Kanpur le 28 juin, plusieurs centaines de rebelles se regroupèrent à Chinhat, un petit village au nord de Lucknow. Ils se placèrent sous les ordres du maulvi de Faizabad, un homme qui, bien qu'extrême dans sa façon de vivre sa religion, s'attirait l'estime de beaucoup car il était un rude combattant et un ennemi acharné des Britanniques. Ce regroupement inquiéta vite l'état-major autour de Sir Lawrence et ce dernier convoqua sans tarder une nouvelle réunion.

- Nous pouvons tenter une attaque, commença le Colonel Bradley alors que l'attention de tous les officiers se portait vers lui. De ce que nous avons appris, ces rebelles ne sont pas encore très nombreux, à peine un millier. Cela permettrait de réduire un foyer de résistance et d'avoir la maîtrise de la rive nord de la Gomti. Nous connaîtrions alors moins de risque d'attaques de ce côté et pourrions concentrer nos défenses vers la ville.

- C'est juste, dit Sir Lawrence, combien d'hommes estimez-vous nécessaires pour mener à bien cette attaque, colonel ?

- Au moins autant que de rebelles, répondit-il. En sachant que nous aurons un armement supérieur.

Le front de Sir Lawrence se barra d'un pli soucieux. Cela signifiait priver la Résidence de plus de la moitié de ses défenseurs. En cas d'échec, non seulement, ils manqueraient d'hommes pour protéger les réfugiés et maintenir la présence britannique à Lucknow, mais en plus, ils risquaient de perdre des officiers. Sans compter qu'il était difficile d'estimer la loyauté des cipayes obéissant encore. Nombre d'entre eux pourraient être tentés de rejoindre les rebelles, comme ce fut le cas parmi la petite troupe envoyée à Kanpur.

- La nuit porte conseil, dit-on, reprit Sir Lawrence. Nous déciderons demain.

Mais ce délai supplémentaire permit aux rebelles de renforcer leur organisation et lorsqu'il se mit en route à la tête de ses troupes, Sir Henry Lawrence ne savait pas encore qu'il commentait une terrible erreur. La bataille se mena sous une chaleur écrasante, étouffante. Les soldats indiens étaient bien organisés et firent surtout preuve de ruse, parvenant à encercler la troupe britannique. Sir Lawrence dut alors se résoudre à sonner la retraite et parvint non sans difficulté à ramener les soldats à Lucknow. Les pertes étaient conséquentes : plus de trois cents soldats perdirent la vie dans cette bataille et les blessés furent nombreux. Les Britanniques perdirent aussi des armes et notamment un de leurs canons.

Alex ne participa pas à la bataille de Chinhat. Il fut le seul officier, avec le major Evans, à demeurer à la Résidence. Tous les autres, y compris Arthur Robinson, y participèrent. Par miracle, aucun des officiers ne fut blessé sérieusement, seul le colonel Bradley fut touché, mais sans conséquence.

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Après l'échec de Chinhat, il ne fut plus possible pour Sir Lawrence et ses hommes d'envisager une quelconque sortie. La retraite avait causé beaucoup d'émoi et de frayeur parmi les civils, car les rebelles avaient poursuivi les soldats jusque sur les rives de la Gomti. Le siège de la Résidence allait véritablement commencer et les réfugiés se trouvèrent alors sans plus aucun contact avec l'extérieur. Ils allaient ainsi demeurer dans l'ignorance de la prise de Kanpur par le général Havelock, le 16 juillet, le lendemain de l'exécution des derniers survivants de la garnison, principalement des femmes et des enfants. Cet effroyable massacre fit cependant se retourner une partie des rebelles ou de leurs soutiens. Il galvanisa aussi les troupes britanniques et alliées pour reprendre les villes et les territoires abandonnés, tout au cours de l'été.

A partir du début du mois de juillet, ce fut une période étrange qui s'installa : les attaques contre la Résidence étaient sporadiques, peu ou mal organisées. Pour Sir Lawrence, la raison principale en était le manque d'officiers chez les rebelles et un commandement divisé. On entendait cependant des tirs chaque jour. Le colonel Bradley avait ordonné à ses hommes de ne tirer qu'à coup sûr, au moins pour blesser les assaillants, dans le but d'économiser les munitions même si les réserves en poudre, cartouches et boulets de canon étaient conséquentes.

Malgré son âge, Don Felipe faisait face. Alex, à chacune de ses visites, le voyait toujours aussi solide et résistant. Comme si le fait de devoir veiller sur Luna, Myriam et la famille Faulkner lui avait donné une énergie et une force qui lui faisaient oublier la maladie. Pedro était aussi d'une aide appréciable et parvenait toujours à se débrouiller pour trouver ce qui pouvait améliorer un tant soit peu le confort de tous. Il avait aussi gagné la confiance et les bonnes grâces de Lady Honoria et si la nourriture était rationnée pour tous sans qu'il y ait de favoritisme, en revanche, il parvenait aisément à obtenir un peu plus d'eau, un drap, ou même un sari pour une des jeunes femmes. Brenda et Sophie avaient en effet vite abandonné leurs robes trop lourdes et trop chaudes, peu pratiques quand elles devaient se déplacer ou quitter l'étage dans l'urgence pour se réfugier dans les abris construits à la hâte le long du bâtiment.

L'écroulement d'un pan de mur de la façade est de la Résidence avait causé le décès de trois personnes et des blessures sérieuses à deux autres, dont un enfant. Sophie avait alors compris que la survie pouvait se jouer à peu de chose et pouvoir se déplacer vite était un avantage, surtout dans son état. Elle se trouvait en effet, au début de ce mois de juillet 1857, à environ six mois de grossesse. Elle était - ils étaient tous - sans nouvelle des autres régiments, sans nouvelle de William. Son inquiétude pour lui était vive, mais elle la gardait pour elle : ici, chacun avait peur. Pour lui-même, pour un proche. Les soldats qui tenaient la Résidence se battaient sans relâche : chacun d'entre eux savait que s'ils flanchaient, tous seraient tués et que les femmes et les enfants qui s'étaient réfugiés là seraient horriblement massacrés.

**

En tant qu'officier, Alex avait sous ses ordres une bonne centaine de soldats et était responsable du secteur sud-ouest de la muraille. Arthur se trouvait juste à ses côtés, plein ouest. Et le major Evans s'était attribué la partie la plus exposée, au nord et au nord-ouest. Face à la ville et au sud, les attaques étaient pour l'heure moins nombreuses, car les maisons gênaient les assaillants alors que des terrains plus larges s'étendaient autour du secteur ouest. Le jeune homme veillait à la relève des troupes et passait une grande partie de son temps à inspecter la muraille et surveiller les mouvements des rebelles cipayes. Il se rendait aussi chaque jour, parfois deux fois par jour, auprès de Luna. Ils ne passaient pas forcément beaucoup de temps ensemble, mais ils pouvaient se voir et Alex avait vite compris que ses visites quotidiennes rassuraient la jeune femme.

Ce jour-là, Alex se rendit dans ses anciens appartements en milieu de matinée. Seule Luna et Brenda s'y trouvaient. Un semblant de calme régnait et Sophie était descendue pour aider Lady Honoria. Don Felipe avait emmené Madame Faulkner se promener un peu au-dehors. Les jardins avaient perdu de leur beauté, à être traversés quotidiennement par les soldats, certains parterres étaient même marqués par les roues des canons qu'il avait fallu tirer d'une muraille à l'autre. Quelques endroits étaient cependant encore épargnés par les combats et il était agréable de s'y trouver pour un moment de repos, de répit.

Satya et Ameera avaient rejoint Sophie dès que Luna n'avait plus eu besoin d'elles. Brenda aimait beaucoup passer du temps avec Luna, à s'occuper de Myriam. Quand Alex entra dans la chambre, la toute jeune adolescente était en train de jouer avec le bébé. Elle lui avait confectionné une petite poupée de chiffon et l'agitait devant son visage. Myriam poussait de petits cris, ce qui amusa Alex.

- Et bien, Brenda, en voilà un petit jeu !

- Je suis certaine qu'elle rit, dit Brenda. En tout cas, elle est bien éveillée et elle aime bien quand on s'occupe d'elle.

Myriam était étendue sur le dos, au milieu du lit, bien coincée entre deux oreillers. Brenda était à moitié couchée à côté d'elle pour agiter la petite poupée de chiffon. Luna s'était assise dans le fauteuil pour les regarder, mais s'était levée à l'arrivée d'Alex. Ce dernier la prit dans ses bras et Luna lui rendit son étreinte. Brenda leur jeta un coup d'œil et dit :

- Je peux rejoindre Sophie, si vous voulez.

- Merci, Brenda, dit Luna en se tournant vers elle.

Une fois que Brenda eut quitté la chambre, Luna prit sa fille dans ses bras et l'amena à Alex. La petite fille fit une drôle de grimace et Luna dit :

- Je crois qu'elle essaye de sourire. Elle vous reconnaît en tout cas. Voulez-vous la prendre ?

- Oui, volontiers.

Alex appréciait toujours ces petits moments. Avec précaution, il prit le petit bébé dans ses bras. Myriam ne semblait pas souffrir de leurs conditions de vie un peu rudimentaires, ni être gênée par le bruit des combats. Elle changeait de jour en jour, mangeait bien. Luna était heureuse et rassurée aussi de pouvoir la nourrir : elle n'avait pas pensé que les propos de Lady Honoria auraient été si prémonitoires, car il était bien plus aisé pour elle de pouvoir allaiter directement sa fille que de la confier à quelqu'un d'autre, au regard de leurs conditions de vie.

Bien vite, cependant, Myriam donna quelques signes de fatigue et Luna la coucha dans son berceau avant de revenir se blottir dans les bras d'Alex. Il profita qu'ils étaient seuls pour l'embrasser longuement.

- Comment vous sentez-vous ? demanda-t-il ensuite.

- Je vais bien, Alex. Nous allons tous bien, sauf peut-être Madame Faulkner qui s'alimente très peu. Sophie a beaucoup de mal à la faire manger, et même Satya et Ameera n'y parviennent pas. Elle va s'épuiser...

- C'est à craindre, fit Alex et son front se barra d'un pli soucieux.

Luna soupira et reprit :

- Elle est parfois agitée, aussi, quand les tirs sont plus fréquents, qu'il y a des mouvements dans les jardins, que les soldats vont en renfort sur un des murs... Ameera lui prépare des tisanes, mais elle n'aura bientôt plus les plantes nécessaires. Pauvre Madame Faulkner... Elle est si gentille... C'est triste de la voir ainsi.

- Je comprends, dit Alex. Le choc de la mort de son mari a été trop violent pour elle.

A ses mots, il sentit Luna resserrer son étreinte autour de sa taille. Il eut l'intuition qu'elle s'imaginait, durant un bref instant, à la place de Madame Faulkner. Il ne voulait pas l'inquiéter plus, ni susciter de sombres pensées : leur avenir était des plus incertains. Il lui rendit son étreinte, puis l'écarta doucement de lui, prit son visage entre ses mains pour plonger son regard dans ses perles noires. Il la fixa ainsi, en silence, un long moment, puis l'embrassa à nouveau, plus profondément et plus longuement.

Luna leva ses bras, entoura le cou d'Alex, puis passa ses mains dans ses cheveux, avant d'en faire descendre une dans l'échancrure de sa chemise. Un premier bouton sauta et Alex comprit qu'elle voulait profiter de leur relatif isolement. Depuis la naissance de Myriam et compte-tenu de leurs conditions de vie au cours des dernières semaines, ils n'avaient guère eu de moments pour se retrouver seuls et avoir un peu d'intimité.

- Alex… soupira Luna à son oreille. Je voudrais… J'ai envie de vous…

- Moi aussi, ma douce, mais… Le pouvez-vous ?

Il s'inquiétait qu'elle ne soit encore trop sensible.

- Oui, lui répondit-elle avec volonté.

Puis elle s'écarta de lui et commença à faire glisser les pans de son sari. Alex la fixait et son regard s'était soudain assombri. Quand elle fut nue, il la reprit dans ses bras. Elle avait vite perdu les formes de sa grossesse, du fait des restrictions de nourriture qu'ils subissaient, mais elle avait gardé encore quelques rondeurs, notamment sur les hanches, et ses seins étaient plus lourds et fermes qu'auparavant, aussi parce qu'elle nourrissait Myriam, ce dont Alex se douta.

Luna se blottit contre lui, portant à nouveau ses mains vers son visage pour l'attirer plus près du sien et l'embrasser. Il aimait cette façon qu'elle avait de prendre des initiatives, de vivre pleinement ses envies avec lui. Il la tint serrée tout contre lui, commençant à caresser le bas de son dos, ses fesses, mais la laissa glisser ses mains sur son torse, lui ôter sa chemise, puis défaire la boucle de son ceinturon. Il continua à l'embrasser alors qu'elle parvenait à lui ôter son pantalon, mais il l'entraîna bien vite vers le lit. La moustiquaire était relevée et il l'y étendit aisément.

Alex prit le temps de la contempler ainsi étendue, alors qu'il n'avait pu la revoir nue depuis plusieurs semaines. Il allait devoir se réhabituer à ne plus sentir contre lui le ventre rond et les mouvements du bébé. Il sourit à Luna avant de se pencher pour embrasser doucement son nombril, puis de laisser son visage remonter et reposer un instant entre ses seins. Luna gémit faiblement, car ils étaient sensibles et Alex y déposa quelques baisers légers. Elle soupira, mais il vit son visage se crisper légèrement et lui demanda :

- Vous êtes sensible, là ?

- Oui, soupira-t-elle à regrets.

- Je ne les toucherai pas. Je ne veux pas vous faire mal.

- Je sais, répondit-elle en souriant et en lui tendant à nouveau ses lèvres qu'il reprit volontiers.

Les mains de Luna retrouvèrent sans peine les endroits du corps d'Alex où elles aimaient se poser, les muscles qu'elles aimaient caresser. La rude vie du siège l'avait rendu plus sec, mais plus musclé aussi, notamment aux épaules et aux bras, et elle s'attarda à en dessiner les contours. Un peu hésitants par moments, mais attentifs l'un à l'autre, ils se retrouvaient. Quand les mains d'Alex écartèrent doucement les cuisses de Luna, il vit cependant une très légère traînée de sang. Sans rien lui dire, il se mit à caresser plus précisément ses jambes, descendant jusqu'à ses chevilles, pour remonter lentement, s'attardant dans le creux de son genou ce qui la fit se cambrer et gémir plus nettement. Du bout des lèvres, il effleura l'intérieur de ses cuisses et vint goûter sa fleur au parfum différent de celui qu'il connaissait, mais aux chairs toujours aussi sensibles et délicieuses.

Luna poussa un petit cri de surprise, étonnée qu'Alex lui prodigue ces baisers qu'elle connaissait pourtant. Elle n'aurait pas cru qu'il en aurait eu envie maintenant. Sa réaction ne le démonta pas et il se fit plus précis, la regardant par moment de son beau regard gris qui la faisait flancher. Haletante, elle ferma les yeux et s'abandonna totalement, pour le plus grand plaisir du jeune homme. Luna retint quelque peu son cri de plaisir, ne voulant pas réveiller sa fille. Elle retomba, totalement alanguie, et Alex vint s'étendre près d'elle, la prenant tendrement dans ses bras, goûtant à son souffle chaud sur sa peau.

- Alex... gémit-elle encore.

- Luna chérie... lui murmura-t-il à l'oreille. Ma si douce... Mon cher amour...

Luna s'endormit à ses mots et Alex la regarda avec tendresse. En ces jours difficiles, s'offrir l'un à l'autre ces petits moments loin des combats et de la survie était essentiel à ses yeux et pour rien au monde, il aurait empêché, à cet instant, Luna de profiter de ce repos bienvenu.

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